(photo : Marcel Mussen, mussen.photo@gmail.com)
En France, on meurt beaucoup en prison ; on en parle peu.
Ils ont installé jeudi 24 novembre une petite banderole et un micro
sur l'esplanade glaciale du parvis des Droits-de-l'Homme, au Trocadéro,
en face de la tour Eiffel, et ont lu gravement la liste des morts de
2010 en détention.
"15 novembre, un homme, 49 ans, par suicide. 15 novembre, un
homme, 32 ans, par suicide. 16 novembre, un homme, 19 ans, par
pendaison. 18 novembre, un homme, 46 ans, par pendaison..." 263 fois, presque tous les jours.
Il s'agissait théoriquement de lire la liste des prénoms, mais on ne les a même pas ; la plupart du temps, on meurt en prison dans la solitude et dans l'anonymat.
"Il s'agit de donner à chacun un visage,
explique Roch-Etienne Migliorino, un ancien infirmier en milieu
carcéral, qui, depuis trois ans, organise ce modeste rassemblement pour "les morts en prison". Ce pourrait être chacun de nous : "On peut à tout moment se retrouver derrière les barreaux." Les touristes japonais viennent jeter un oeil sur ces visages graves, sur la dame à l'écharpe tricolore, la sénatrice verte Esther Benbassa, qui égrène quelques dizaines de noms, après Samia El-Alaoui, aumônière musulmane, et Vincent Leclair,
aumônier catholique. Lourd moment, une heure de lecture de morts sans
nom, devant les représentants figés par le froid et l'émotion du Genepi,
le Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes
incarcérées, la Farapej, la Fédération des associations réflexion-action
prison et justice, le Secours catholique, Emmaüs, le collectif Les
Morts de la rue, la Mission de France et la Cimade.
Sur 263 décès officiellement constatés par l'administration pénitentiaire, 121 détenus se sont suicidés, 138 sont morts "de mort naturelle",
4 ont été tués. 96 % des suicidés se sont pendus, les plus jeunes très
majoritairement (18 ans et moins) ; viennent ensuite les 40 ans et plus.
La grande majorité de ceux qui passent à l'acte étaient en détention
provisoire, et à 60 % pour des délits et non des crimes.
Le choc de l'arrivée en prison est brutal : 15 % des suicides ont
lieu dans les dix premiers jours. Après, on s'habitue, ensuite on
désespère : les deux tiers des suicides surviennent après les trois
premiers mois sous écrou.
Les surveillants se tuent, eux aussi. "Les surveillants et les détenus sont liés par la même humanité, a dit Gabriel Mouesca, de l'Observatoire international des prisons, il n'y a que des barreaux qui les séparent, mais c'est la même prison qui les tue."
Il n'y a pas que les suicides. Une enquête officielle indiquait que, en 2006, 35 % à 42 % des détenus étaient considérés comme "manifestement, voire gravement malades".
Une raison : la proportion de personnes âgées en détention est plus
forte qu'à l'extérieur, résultat mécanique de l'allongement des peines.
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