Photo : Hicham et ses quatre enfants.
Luk
Vervaet
Hicham
Bouhali Zriouil est né à Deurne, une commune d'Anvers (en Flandre,
Belgique néerlandophone). Enfant, il obtient la nationalité belge
après la naturalisation de son papa Ahmed, qui s'est installé ici
en 1976. Aujourd'hui, Hicham, Belgo-Marocain de 33 ans, purge depuis
l'année passée une peine de vingt ans de prison au Maroc pour avoir
participé à la « filière
afghane de Malika Al Aroud ».
Depuis
les attentats du 11 septembre 2001 et l'adoption aux États-Unis et
en Europe de lois antiterroristes qui ont suivi, chaque personne qui
part pour le front afghan du côté des insurgés est considérée
comme un terroriste et un criminel. Tout appel à aller se battre
contre l'occupation en Afghanistan ou en Irak ne fait plus partie de
la liberté d'expression, mais est devenu un acte terroriste et
criminel. Ainsi, en Belgique, les deux principaux inculpés de la
« filière afghane » ont été condamnés à huit
ans de prison. D'autres inculpés ont été mis en liberté
conditionnelle pour « manque de preuve sur leur
complicité », ou sont en liberté portant un bracelet
électronique. Mais, quand il s'agit de punir, à part les
États-Unis, aucun pays ne fait mieux que le Maroc. Jugé en
Belgique, par défaut, à 5 ans de prison, Hicham reçoit 20 ans de
prison ferme au Maroc pour les mêmes faits.
J'ai
parlé longtemps avec Ahmed, le père d'Hicham. Nous avons retracé
l'histoire de son fils. Elle reste pour l'instant incomplète,
partielle, avec beaucoup de zones d'ombre. Ce qui est sûr, c'est que
Hicham, Ahmed et leurs familles belgo-marocaines tranquilles et
paisibles pendant plus de 25 ans, ont été emportés par les vagues
de la guerre antiterroriste mondiale.
Ahmed,
un travailleur immigré en Belgique
Ahmed,
le père d'Hicham, cadre supérieur dans une banque durant toute sa
vie active, est venu en Belgique pour travailler et pour se
perfectionner dans son domaine professionnel. Mais sa motivation pour
émigrer du Maroc était aussi d'assurer à sa fille handicapée, née
en 1976, les meilleurs soins possibles. Soins qu'elle ne pourrait pas
recevoir au Maroc.
Avant
de s'installer à Bruxelles, où il vit aujourd'hui avec sa famille
dans la commune d'Anderlecht, Ahmed était devenu plus Flamand que
moi. Il peut me citer toute une série de communes et de petites
villes de Flandre qu'il a parcourues pour son travail et que je n'ai
jamais visitées ou dont j'avais même oublié l'existence. Sportif,
il avait joué dans plusieurs clubs de football aussi bien au Maroc
qu’en Belgique. Ahmed arbore une écriture calligraphique ;
les cours qu'il a suivis chez le maître incontesté dans ce domaine
en Belgique, le Palestinien Michel Najjar, ont laissé leurs traces.
Le
28 juillet 1979, Hicham est né à Anvers
Hicham
est le troisième des enfants d'Ahmed. Quand il a 7 ans, l'âge ou il
va entamer ses études primaires, il passe quelques années au Maroc
avec son frère et sa sœur chez ses grands-parents. La grand-mère
est malade et ne pouvant pas être à leurs côtés lui-même, Ahmed
essaie de leur assurer un peu de bonheur et de joie en mettant leurs
petits-enfants chez eux.
De
retour en Belgique, jeune garçon normal et sans histoires, Hicham
fait ses études à l’Athénée Royal Paul Delvaux à Bruxelles.
Bon élève, Hicham obtient son diplôme du secondaire supérieur. Il
s'inscrit à l'Institut Paul Lambin, Haute Ecole Léonard De Vinci
(Université catholique de Louvain), où il commence des études en
biologie médicale. Il veut devenir chercheur et il finit deux ans
d'études avec succès.
Le
tournant
En
2003, Hicham a 24 ans, sa vie va prendre un tournant. Hicham se
marie. Devenu père de famille, il arrête ses études pour aller
travailler et entretenir sa famille. Il frappe à toutes les portes.
A la poste, à la police, où il réussit 4 de la série des 5
examens pour devenir inspecteur. Il sera refusé lors de la dernière
session orale. Il finira comme serveur dans un snack. « C'était
un moment très difficile sur le plan professionnel. J'ai mis un
appartement à titre gracieux à la disposition de mon fils et sa
petite famille. Heureusement que je l'ai soutenu à ce moment-là. Je
me souviens qu'Hicham m'a dit : j'en ai marre, qu'est-ce qu'on
fait ici ? on n'a rien ici. Je ne sais pas si nos politiques se
réalisent la gravité de la situation et la part de responsabilité
de la société en abandonnant les jeunes issus de l’immigration.
Cette
attitude expose ces jeunes à devenir une proie facile pour des
groupes intégristes et ou à les encourager d’avantage à la
délinquance lorsqu'ils ne trouvent pas de boulot. Si la société
intervenait correctement au niveau de l'éducation, de l'emploi, du
racisme et des discriminations, je ne dis pas que tout serait réglé,
mais elle pourrait réduire les problèmes au moins à 30% de ce
qu'on connaît aujourd'hui »,
me dit Ahmed.
Jusque-là,
Hicham était un croyant modéré et pratiquant. Petit à petit, il
va s'intégrer dans un milieu plus radical aussi bien au niveau
politique que religieux. Il commence à être plus engagé, plus
sceptique. Il ne va plus accepter ce qui se passe en Palestine, ni en
Irak et en Afghanistan, suite à l’agression des Américains contre
ces pays.
Le
départ pour l'Afghanistan
Hicham
a déjà quatre enfants quand la possibilité se présente, pour lui
et ses amis, de partir comme volontaire en Afghanistan. Avec deux
autres Belges et un Français, il décide de partir pour le front,
pas du côté des américains, mais du côté des insurgés. Il ne
dit rien à ses proches car il est très attaché à sa maman. Il ne
veut pas lui faire de la peine par son choix difficile. Le 7 décembre
2007, il l’informe qu'il part quelques jours en France pour un
tournoi de Taekwondo. Les jours passent et puis il n'y a plus de
nouvelles. Du fait de cette disparition soudaine, l'inquiétude et la
souffrance s'installent dans la vie de la famille pour ne plus jamais
la quitter. Après quelques semaines, Hicham téléphone pour dire
que tout va bien. Il envoie un mail à son frère l’informant qu’il
est parti pour un but commercial en Turquie et en Syrie. Et puis, il
n’a plus donné signe de vie.
« La
filière afghane »
En
2010, le nom d'Hicham apparaît dans la presse dans le cadre du
procès de « la
filière afghane de Malika Al Aroud ».
A l'issue de ce procès, Hicham est condamné à 5 ans de prison.
Selon les aveux d'un co-inculpé présent au procès, l'aventure
afghane a été un véritable calvaire. La désorganisation totale,
leur manque d'expérience et le fait que les Talibans ne voulaient
pas d'eux, ont fait que les volontaires belges n'ont pas participé à
des opérations militaires. Trois jeunes, dont Hicham, décident de
rentrer. L'un décide de rester et il laissera sa vie dans les
combats. Hicham n'arrivera pas jusqu'en Belgique, il restera bloqué
en Syrie.
A
l'issue du procès en Belgique, en mai 2010, les peines prononcées
par le tribunal en première instance sont de 8 ans pour les deux
principaux inculpés, quatre autres écopent de 37 mois de prison
ferme ou de 40 mois de prison avec sursis. Hicham n'est pas présent
à ce procès. Il n'est même pas défendu par un avocat. Il est
condamné par défaut à 5 ans, et, selon la presse, depuis lors,
« il
est activement recherché à l’échelon international ».
Deux des inculpés dans ce procès iront en appel contre leur
condamnation, mais en décembre 2010, les peines seront confirmées.
« Mais
même si ces peines sont extrêmement lourdes, elles seront bien la
preuve que la justice belge était plus tolérente et clémente que
la justice marocaine »,
me dit Ahmed.
Arrêté
en Syrie et extradé vers le Maroc
En
2011, en plein Ramadan, la famille reçoit un coup de fil venant de
Syrie pour leur dire qu’Hicham y a été arrêté. Après avoir
contacté les autorités belges en Syrie, le Consul général belge
assure la famille qu'il a pris les choses en main. Il a retrouvé
Hicham. Il n'a pas été torturé, ni physiquement, ni
psychologiquement. Les autorités belges en Syrie informent la
famille qu'elles préparent son extradition vers la Belgique : « Dans
une semaine, maximum dix jours, il sera en Belgique ».
Après une semaine d'attente, le Consul général annonce que les
choses se compliquent : Hicham serait recherché par plusieurs
États et le Maroc devance la Belgique. Contre toute logique, Hicham
ne sera pas extradé vers la Belgique, son pays natal où il vient
d'être condamné à 5 ans de prison. En
octobre 2011, il est extradé, par la force et pour des motifs qu’on
ignore, vers le Maroc. Pourquoi Hicham a-t-il été extradé vers un
pays qui n'est pas le sien et qui n’est concerné par cette affaire
ni de prés ni de loin? Pourquoi est-il jugé là, pour des faits qui
n'ont rien à voir avec le Maroc, mais qui se seraient passés en
Afghanistan ?
La
raison reste jusqu'à présent inconnue. Ce qu'on peut dire avec
certitude, c'est que la présence d'agents du FBI a été signalée
aussi bien lors de son procès en Belgique qu'au Maroc. Hicham
n'aurait pas pu être inculpé sans l'aide des Américains. Faute
d'avoir pu mettre la main sur lui, il est fort probable que ce sont
les services américains qui ont décidé de l'extradition de Hicham
vers le Maroc et son jugement, pays qu'ils ont utilisé à maintes
reprises comme base intermédiaire (notamment de torture) pour les
détenus arrêtés en Afghanistan et dirigés vers le camp de
Guantanamo. Au Maroc, au moins, les Américains avaient la garantie
qu'Hicham serait puni de la manière la plus sévère.
Comme
dans nombre de cas d'extraditions où les terroristes servent de
monnaie d'échange entre les pays, ce sont aussi les rapports de
force à un moment donné qui décident des extraditions. Est-ce que
le fait que la Syrie était en conflit avec l'Europe sur la question
de la répression du mouvement de contestation) a poussé la Syrie à
extrader Hicham vers le Maroc, et pas vers un pays occidental ?
La
condamnation au Maroc à 20 ans de prison ferme
Une
fois arrivé au Maroc - selon le scénario bien connu suite aux
dérives marocaines en matière de la lutte antiterroriste et de la
volonté marocaine de plaire aux Etats-Unis, Hicham est pris en main
par le juge antiterroriste marocain Chentouff. Il est interrogé
pendant plus d’une semaine. Les services secret marocains trouvent
et ajoutent des inculpations que d'autres services secrets n'auraient
pas su trouver avec la meilleure volonté du monde : ils
accusent Hicham d'avoir assisté à des attaques contre des
militaires américains. Il n'y a que les Américains qui peuvent
avoir fourni ce genre d'information. « Mais
si
c'était vrai tout ça, est-ce que vous croyez vraiment que les
Américains ne l'auraient pas exécuté, ou kidnappé et transféré
à Guantanamo ? »,
me demande Ahmed. On aurait pu croire qu'on allait trouver dans le
texte du jugement le nom d'une victime américaine, une arme du crime
ou, au moins, quelque chose de précis et de concret. Mais rien de
tout ça. Hicham est condamné à 20 ans de prison ferme sur base des
déclarations formulées par les services secrets marocains, sous la
menace et en absence des preuves matérielles justifiant le fond de
ce jugement. Ce jugement, le voici : « La
formation d'un groupe terroriste en vu de commettre des actes
terroristes et l’agression intentionnelle de la vie d'autrui et à
leur sécurité. L'atteinte à la sûreté nationale, l’incitation
et l'intimidation et la violence. L'incitation d'autrui à commettre
des crimes terroristes ».
Après
la lecture de ces lignes, Ahmed lève les bras : « Mais
de quel groupe de terroristes parle-t-on ? Si c'est le même
groupe que celui en Belgique, alors Hicham a été condamné deux
fois pour les mêmes faits, ce qui n'est pas admis par la justice
internationale.
S'il
s'agit d'autres personnes : la
justice marocaine est-elle en possession d’une liste faisant
apparaître les personnes qui ont été incitées par Hicham à
commettre des actes terroristes ? Hicham s’est présenté seul
devant les jurys lors des deux audiences du procès, alors où
sont-ils, ces autres personnes qu'il a incité à commettre des
crimes terroristes ? Comment Hicham peut atteindre à la sureté
nationale marocaine alors qu’il ne s’est pas rendu au Maroc
depuis juillet 2005 ? »
Après
sa condamnation Hicham est enfermé dans la prison de Salé II.
Dans
les mois qui suivent il participe à une grève de la faim, qui a
duré 40 jours, contre les conditions de détention. Dans un état
grave, après cette grève, il ne reçoit pas les soins médicaux
nécessaires. Il est transféré vers la prison de Tiflet où ses
conditions de détention se sont améliorées. Ahmed : « Je
saisis l'occasion pour rendre hommage au directeur de cette prison
qui traite les détenus avec humanisme contrairement à ce qui ce
passe dans d’autres prisons, notamment celle de Salé 2, Toulal 2
et récemment la prison de Oukacha ».
Aujourd'hui,
la famille d'Hicham et un groupe d'amis ont décidé de s'engager
pour qu'Hicham puisse être transféré du Maroc vers la Belgique.
Pour qu'il puisse purger sa peine ici, dans son pays natal et près
de sa famille et de ses quatre enfants.
La
famille a besoin d'un soutien moral, mais aussi financier pour
pouvoir assurer la défense d'Hicham dans les mois qui viennent.
Un
procès en appel, équitable, en présence d'un avocat, s'impose.