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lundi 30 mars 2020

Luk Vervaet et Jean-Marc Mahy : CORONAVIRUS : LES ÉCOLES, LES BARS, LES RESTAURANTS FERMENT… ET LES PRISONS ? (appel du 13 mars)

CORONAVIRUS : LES ÉCOLES, LES BARS, LES RESTAURANTS FERMENT… ET LES PRISONS ?

par Luk Vervaet, auteur, spécialisé dans le milieu carcéral, et Jean-Marc Mahy, éduc-acteur

Le 12 mars, la presse nous apprend qu’au palais de justice de Mons, la présidente de la cour d'assises a été contaminée par le coronavirus et qu’une cour d’assises sera reportée. L’avocate Nathalie Gallant déclarait à ce propos : « Des mesures doivent être prises, Il en va de la santé de tous, tant des clients que des avocats. Il ne faudrait vraiment pas qu’un détenu qui se présente à une audience risque de contaminer tous les autres en prison ». 
Depuis, confirmé par l’administration pénitentiaire, un cas de coronavirus a été avéré à la prison de Mons. 
Le lendemain, la majorité du personnel pénitentiaire de la prison de Saint-Gilles est absente ! Avec comme conséquence que toutes les visites et toutes les activités sont annulées. 
Se dirige-t-on vers des situations à l’italienne ?

La prison face à quatre défis majeurs

Il ne faut pas être virologue pour comprendre que le monde carcéral, institution de confinement total par définition, est des plus vulnérables face aux virus et aux épidémies. Ce qui cause des ravages à l’intérieur des prisons et constitue une menace pour la société dans son ensemble. 
Le problème est multiple. 
Il y a le lieu confiné qui provoque la propagation des maladies. Il y a la concentration de personnes malades. Il y a le manque de soins à tous les niveaux. Il y a la surpopulation. Selon les derniers chiffres de 2019, les 36 prisons du pays comptent ensemble 1.862 détenus en trop, compte tenu de leur capacité.

La prison, une concentration de maladies

Déjà en novembre 2013 se tenaient au parlement belge les États généraux sur la prison, à l'initiative du Conseil central de Surveillance pénitentiaire. Le professeur Cosyns, de l'Universitair Forensisch Centrum Antwerpen, y tenait un exposé sur les soins de santé au sein des prisons belges. Il nous informait du fait que le taux de tuberculose dans les prisons est seize fois supérieur au taux dans le pays ; celui du sida cinq fois, de l'hépatite C sept fois, des psychoses cinq fois, de suicide six fois, de problème d'alcoolisme ou autres drogues sept fois, de l'expérience de consommation de l'héroïne cinquante-quatre fois. 
Depuis, les problèmes n’ont fait qu’empirer, aggravés par la surpopulation et les économies au niveau des soins. 
Cinq ans plus tard, le journal De Tijd (3 mai 2018) titre : « Les médecins dans les prisons constatent la propagation des maladies contagieuses dans les prisons, comme la tuberculose, l’hépatite B et C, la gale et le VIH ». Selon le syndicat ACV, ajoute le journal, les économies au niveau des moyens pour assurer l’hygiène sont en cause.

La prison, des épidémies en chaine

Les prisonniers et leurs familles ont déjà fait l’expérience des mesures de confinement et d’isolement drastiques auxquelles toute la société est brusquement soumise aujourd’hui. 

Prenons quelques exemples récents.

En juin 2017, découverte de la rougeole à la prison de Gand, suivie d’interdiction de visites, de nouvelles entrées de détenus dans la prison et de l’arrêt des transports vers les tribunaux. 
En avril 2019, la prison de Mons est frappée par ce que les autorités pénitentiaires et les syndicats appellent « une catastrophe » : une épidémie de punaises de lit, qui pourrait même se répandre en dehors de ses murs avec des conséquences pour la salubrité publique. 
Fin mai 2019, épidémie de rougeole à la prison de Lantin, suivie par une mise en isolement des 1000 détenus dans leurs cellules pendant des semaines, pas de transferts, pas de visites autorisées pour les familles des détenus. 
En juillet 2019, c’était au tour de la prison de femmes de Berkendael à être frappée par le fléau des punaises de lit. Avec comme conséquence un lock down complet de la prison pendant près d’un mois :  pas de visites, pas d’activités, pas de téléphone, pas de services extérieurs… 
En septembre 2019, une douzaine de cas de gale sont constatés à la prison d'Arlon.

Prisons : toujours la même solution face à une crise.

Renforcer l’isolement, arrêter toutes les activités, interdire les visites… sont à chaque fois la réponse aux crises. Ce qui ne fait qu’augmenter le vécu de l’exclusion et provoquera inévitablement des révoltes comme on en a vu en Italie.  En Italie, où les détenus se trouvent parfois à cinq dans une même cellule, un mouvement de révolte s'est en effet déclenché, provoqué par l'inquiétude sur l'épidémie et l'annulation des parloirs pour les familles. En tout, douze prisonniers sont décédés.

Il faut libérer des prisonniers.

L’Iran, pays faisant partie de « l’axe du mal » et mis en isolement par un boycott du monde occidental, a libéré temporairement 77.000 prisonniers, après les avoir testés médicalement. Des mesures inimaginables en Belgique ?

Quelques mesures de bon sens pourraient enlever immédiatement la pression sur les prisons, aussi bien sur les détenus que sur le personnel pénitentiaire. 
En diminuant radicalement le nombre de détenus dans nos prisons par la libération de tous les détenus en détention préventive (36% de toute la population carcérale) qui ne constituent pas un danger pour autrui. 
En libérant toutes les femmes prisonnières et tous les détenus âgés, fragiles, malades qui ne constituent pas un danger pour la société. En mettant fin à l’arrêt actuel des libérations conditionnelles. 
En renforçant les soins dans les prisons. 
En allongeant la possibilité de téléphoner à la famille.

On ne peut qu’espérer que l'expérience sociétale de cette épidémie augmentera la compréhension des problèmes vécus au sein du monde carcéral.

Cet article est aussi paru dans POUR et dans LEGRANDSOIR

lundi 16 septembre 2013

Jean-Marc Mahy : le dernier jour

"Demain je serai un homme libre"

Annick Hovine
Belgique 
 
Après dix-neuf ans de prison et dix ans de liberté conditionnelle, Jean-Marc Mahy a payé sa dette envers la Justice. Retour sur dix ans de liberté surveillée. Il se bat avec le Théâtre de l’Ancre pour que sa pièce à visée pédagogique : "Un homme debout", soit reconnue d’utilité publique.
 
Demain, mardi, 17 septembre 2013, à minuit une, exactement, Jean-Marc Mahy, 46 ans, sera un homme libre. Définitivement libre. Après dix-huit ans, dix mois et dix-sept jours de prison, et dix ans en liberté sous conditions. Sans un seul coup de canif dans le contrat. Le décompte est précis - calcul d’apothicaire. Très jeune, Jean-Marc Mahy avait écopé de dix-huit ans de prison et de la perpétuité pour deux meurtres. Celui d’un octogénaire, au cours d’un cambriolage qui a mal tourné à Waterloo - il a 17 ans; celui d’un gendarme luxembourgeois, deux ans plus tard, au cours d’une évasion de la prison d’Arlon. Il n’a pas encore 20 ans…
"J’ai payé le solde de ma dette à la Justice , dit-il, aujourd’hui. Pas à la société. Dans mon sac à dos, ces deux victimes-là, le vieil homme et le gendarme, je les porterai jusqu’au bout de ma vie."

Dix-neuf ans derrière les barreaux
Avant d’obtenir une libération conditionnelle, il y a tout juste dix ans, Jean-Marc Mahy avait donc passé la moitié de sa jeune vie derrière les barreaux, dont trois années en isolement total au terrible bloc E de la prison de Schrassig, au Luxembourg, dont il dénoncera les conditions de détention inhumaines et dégradantes. Amnesty International prendra le relais de son combat; le bloc E sera finalement fermé.
L’ex-détenu a fait le récit de son passage à Schrassig dans la pièce "Un homme debout", produit par le Théâtre de l’Ancre, à Charleroi. Il a déjà 170 représentations à son actif, en Belgique, mais aussi en France, dans les cités et les banlieues difficiles, et bientôt à Londres. M. Mahy, seul en scène, a déjà joué "Un homme debout" à 170 reprises. Il témoigne, sans relâche, de son expérience carcérale devant les jeunes des quartiers, les adolescents en IPPJ (institutions publiques de protection de la jeunesse), les élèves en discrimination positive, les étudiants en droit, les futurs assistants sociaux, criminologues, éducateurs, psychologues… Avec un message qu’il répète inlassablement : "Quoi qu’il arrive, la prison, c’est du temps perdu : on n’en sort pas meilleur qu’on y entre."

"Educ’acteur"
En liberté conditionnelle, il est devenu, au fil des mois, des années, "un éducateur un peu atypique : un éduc’acteur" , comme il aime se décrire. "Il y a des ex-détenus qui croient que je gagne de l’or en barre…" , soupire-t-il. Rien n’est moins vrai. Sans véritable statut professionnel, il tire le diable par la queue.
En sortant de prison, il a trouvé un boulot de plongeur. Cela a duré cinq mois. Les collègues ont eu vent de son passé, "se sont pris la tête" ; il a dû prendre la porte. Idem pour le contrat suivant : viré après un mois d’essai. Les barreaux lui collaient au front. Sans droit au chômage, on le dirige vers le CPAS. "Je suis ressorti en pleurant : j’avais été assisté pendant dix-neuf ans et je retombais là-dedans, malgré moi."
Engagé chez un jardinier-paysagiste dans le cadre de l’Article 60, il travaille au tarif officiel de 1 € de l’heure. Le patron, plutôt correct, le paie 25 € par jour. Ces douze semaines de travail sous Article 60 lui permettent de retrouver ses droits aux allocations de chômage, de passer de la case CPAS à la case Onem.

Les bons mois… et les autres
Trouver du boulot, c’était une des conditions posées à sa libération anticipée. En dix ans, il a décroché dix contrats de travail, dont six se sont soldés par un C4 à cause de son passé de détenu. Les bons mois, il touche quelques cachets en plus de ses allocations de chômage - jours de travail déduits. Les autres mois, il doit se contenter des 830 € prévus pour les chômeurs isolés et compter, parfois, sur l’un ou l’autre ami pour l’aider à régler le loyer.
Aux détenus, il lance ce message, bouteille à la mer - à l’amer… : "Pensez à ce qu’il y ait quelqu’un dehors, à votre sortie." Une femme, un ami, un voisin, un visiteur de prison. "Tout seul, on ne s’en sort pas : c’est trop dur." Jean-Marc Mahy n’avait plus vraiment de famille. Seuls sa maman et son petit frère restent très proches de lui; il a pu compter sur deux visiteurs de prison et un ami. Et, au fil des années, il s’est constitué un réseau d’amis fidèles. Il a aussi une compagne, qui a une fille; il ne vit pas avec elle, mais leur relation dure depuis huit ans et demi.
Pour se loger aussi, ça a été la galère, à Louvain-la-Neuve, d’abord; à Liège, ensuite. "J’étais viré chaque fois qu’on me voyait à la télé. Après mon huitième déménagement, j’ai enfin trouvé un propriétaire qui a accepté de me louer un appartement en sachant qui je suis. Il m’a dit : ‘Je vais vous faire confiance, l’appartement est pour vous.’ Je suis là depuis 2011, j’entame ma troisième année. Je me sens enfin chez moi."
Dans quelques pièces : une cuisine, un petit salon, une grande chambre, une salle de bain. "Je me suis acheté un lave-linge. Au début, je l’ai regardé tourner à vide : c’est le plus beau cadeau que je me suis offert."

Une balise
Pendant dix ans, Jean-Marc Mahy a été suivi par un assistant de justice chargé de veiller au respect des conditions posées par le tribunal d’application des peines (TAP) à sa libération : avoir une adresse fixe, chercher un travail, prévenir en cas de déménagement, de changement de boulot, de voyage à l’étranger… "On se voyait tous les deux ou trois mois, souvent à ma demande. Après le 17, je le tutoie et, début octobre, quand j’aurai un peu d’argent, je l’invite au restaurant, et c’est moi qui paie. Il a été une balise pour moi. La surveillance électronique ou le GPS, c’est des conneries ! Sauf pour ceux qui n’ont jamais été en prison. Les autres, ça ne les aide pas dehors : il faut quelqu’un qui parle."
On sent une appréhension, une inquiétude un peu sourde à la perspective d’être libéré définitivement. "C’est terrible, au fond, quand tu n’as plus de comptes à rendre. A partir de maintenant, si je ne trouve pas d’emploi, je risque de me retrouver à la rue, plus en prison."
On devine aussi une pointe d’amertume. "Concrètement, il ne se passera rien, mardi. Personne ne va me prévenir que je suis libéré définitivement. Je ne vais plus passer au TAP. Je sais juste que je vais être retiré du Bulletin central de signalement de la police."
Il n’y a aucune reconnaissance pour les libérés conditionnels qui arrivent sans accroc en fin de peine, regrette Jean-Marc Mahy. "On a rendu la libération conditionnelle plus difficile à obtenir. La preuve, c’est qu’en 2011, ils étaient 343 à avoir été libérés en fin de conditionnelle, contre 588 à fond de peine. Ceux-là sont les plus dangereux : ils sortent avec la haine. C’est plus grave que la colère, qui peut tomber après une heure : la haine, ça dure toute la vie. C’est eux qui risquent le plus de récidiver."

Ressasser le passé
Concrètement, la vie de l’ex-détenu ne changera pas vraiment avec son statut de libéré définitif. "Sauf que c’est la crise." Quand il n’a pas de boulot, Jean-Marc Mahy se terre dans son petit appartement après un coca ou un café au bistrot du coin où il lit le journal "pour voir qui entre et qui sort de prison et ce qui touche à la Justice" . Il ne peut s’empêcher de ressasser le passé. Son médecin lui a dit un jour que c’était une maladie chronique. Il hausse une épaule : "Je sais qu’un jour, je tournerai la page."
Ce jour-là n’est pas encore arrivé. "Mon passé, c’est encore mon présent, aujourd’hui. Le traumatisme carcéral est toujours là." Il y a "un truc" qui reste très fort : "C’est la violence du temps perdu."
La violence ? Elle monte parfois encore ; il apprend à la dompter. Pas toujours facile. Il y a un mois, en revenant un soir, crevé, du boulot, il assiste à une scène dans le bus. Un type, qui vient de monter à bord, donne des coups à sa femme. Il est 18h01. Des jeunes s’interposent, négocient, tentent de calmer le goujat. En vain. "J’ai tenu dix minutes… J’ai pris ma voix de taulard et je lui ai dit : ‘Je suis fatigué, j’ai envie de rentrer et d’embrasser ma femme, pas de la taper.’." Cela aurait pu mal tourner. Le gars aurait pu réagir, répliquer; il est descendu du bus. "Il ne voulait rien entendre : il fallait utiliser les grands moyens : je me suis mis à son niveau. Il y a dix ans, je n’aurais pas attendu si longtemps…"
La violence est le bruit d’une souffrance qui n’est pas entendue, cite Jean-Marc Mahy. "Je suis devenu acteur de ma vie parce que j’ai rencontré des gens qui m’ont tendu la main." Comme Jean-Pierre Malmendier, le papa de Corine, assassinée en juillet 1992, avec son ami Marc, par deux détenus - l’un en libération conditionnelle, l’autre en congé pénitentiaire. Ensemble, ils ont fondé l’asbl Revivre. Mais M. Malmendier est décédé subitement, en février 2011. "Il me manque. Je n’ai pas encore fait son deuil."
N’empêche, la vie reste rude. "Je dois apprendre à ne pas rester enfermé, seul." C’est dur d’être à court d’argent, toujours tracassé par les fins de mois. "J’ai contacté un centre de revalidation fonctionnelle pour m’apprendre à trouver une nouvelle gestuelle quand je suis chez moi, à sortir, à trouver d’autres centres d’intérêt que mon travail d’éducateur."
Dix ans après être sorti de prison, Jean-Marc Mahy souffre toujours de Toc (troubles obsessionnels compulsifs). "Quand je quitte l’appartement, je vérifie plusieurs fois si j’ai bien fermé la porte derrière moi. Je retire toutes les prises. Et la nuit me fait toujours aussi peur." 

SOURCE 

mercredi 5 décembre 2012

Prison : guillotine des temps modernes ou réinsertion ?


Jean Marc Mahy dans Lalibre.be

Mis en ligne le 28/11/2012 


"Nous avons la prétention de resocialiser des individus en leur imposant la pire des vies sociales qu’on puisse imaginer (1)" (C. Demonchy). 
Dans sa déclaration de politique fédérale au volet Justice et Affaires intérieures du 17 octobre 2006, le gouvernement se fixait comme "défi" pour 2007 "l’indispensable mobilisation de tous les niveaux de pouvoirs concernés pour œuvrer à la réinsertion sociale des détenus en misant plus encore sur la formation par exemple"
En 2012, le défi n’a pas été relevé. Les missions des services sociaux et psycho-sociaux des prisons ont été réduites. Dans l’opinion publique, on observe un désintérêt pour le développement de l’éducation dans les prisons, ce qui se traduit par une opposition à l’affectation de moyens financiers et humains pour améliorer les conditions de vie des personnes incarcérées. L’état de carence du système pénitentiaire et le contexte économique s’opposent à la réinsertion. Le casier judiciaire et l’absence de diplômes rendent la recherche d’un emploi très difficile. Sans argent et sans travail, il est impossible de se loger. Faute de budget, nous dit-on, mais pour construire de nouvelles prisons, l’argent est là (un milliard d’euros pour la construction de ces nouveaux établissements semi-privatisés). 
Lors d’un débat sur Canal C en mai 2012 sur le thème "La prison est-elle utile ?" Eric Delchevalerie, directeur de la prison de Namur et ancien directeur de la prison d’Andenne, vingt ans d’expérience carcérale, concluait : "La réinsertion n’a jamais été la priorité des prisons [ ] et elle ne le sera jamais", alors que la fonction de resocialisation fait partie, d’après l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, de leurs missions. 
Parler de réinsertion a d’ailleurs quelque chose de paradoxal dans la mesure où ces personnes n’ont jamais été réellement insérées dans la société. Leur passé est marqué par l’exclusion sociale : faible niveau d’éducation, chômage, assuétudes, problèmes familiaux Faute de réinsertion réussie, la récidive est une réalité. 
En Belgique, l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC) a publié les résultats d’une enquête sur le taux de récidive. Pour les personnes en régime normal, le taux est de 45,6 %; celles sous surveillance électronique ont un taux de récidive moindre, soit 36,1 %; pour celles en semi-liberté (travail à l’extérieur avec réintégration de la prison le soir), le taux est de 47 %. 
En 2011, il y a eu trois cent quarante-trois libérations conditionnelles alors que les détenus ayant accompli leur peine jusqu’à la fin sont au nombre de cinq cent soixante-huit ! Cette comparaison est révélatrice du manque de préparation à la réinsertion. 
Lorsque le professeur Lieven Dupont, qui est à l’origine de la loi qui porte son nom, propose de réduire le "traumatisme carcéral", ce n’est pas le seul intérêt des détenus qui est visé, mais celui de la société tout entière. Les 130 euros que coûte quotidiennement un détenu en prison ne représentent qu’une infime partie du coût d’une non-réinsertion. Pour les détenus, le prix financier et humain est immense, mais, pour la société, la criminalité peut constituer un coût important en termes de réparation des dégâts commis et en frais de sanction et représente une menace importante contre l’ordre social et la cohésion. La peine doit avoir un sens et cela passe par une mission psycho-sociale et éducative. On devrait outiller les détenus, leur faire découvrir leur potentiel et leurs qualités, leur apprendre ce que sera leur vie une fois dehors (gestion d’un budget, contacts avec les diverses administrations) afin qu’ils ne soient plus des assistés sociaux. Car, pour moi, une des causes de la récidive est l’infantilisation du détenu : on l’assiste et il ne parvient plus à prendre des initiatives. En ce qui concerne le domaine professionnel, une formation effectuée en détention avec des simulations d’entretien d’embauche donnerait davantage confiance au détenu pour vaincre la peur de son futur employeur. Il serait utile de l’initier également à Internet pour des recherches d’emploi, de logement Enfin, la remise en question par le détenu se fait via la justice restauratrice, un service d’aide aux justiciables mal connu en prison (comme l’ASBL Médiante, subventionnée par le ministère de la Justice). Or la justice restauratrice est une triangulation "société, victime, agresseur". Il reviendrait plutôt aux associations sociales officielles (et non aux ASBL) d’organiser la médiation : la justice restauratrice doit être une justice parallèle à la justice pénale (2). 
Mon expérience de dix-neuf années de détention où je suis passé par dix établissements pénitentiaires différents me fait dire que les deux prisons semi-ouvertes que sont Marneffe et Saint-Hubert devraient pouvoir accueillir les détenus en congé ou en permission pour une préparation à la réinsertion. Les détenus sont des gens comme tout un chacun. Sauf qu’à un moment, leur vie a basculé dans la transgression et l’illégalité. Il ne sert à rien de rappeler que tout le monde est en sursis face à l’envers du décor. Dès lors, ne sommes-nous pas tous concernés par leur sort, véritable reflet de notre société ? Aujourd’hui, chaque citoyen se doit de comprendre ce qui se passe derrière "les hauts murs", de poser un regard nouveau sur les personnes incarcérées et d’exiger qu’elles soient traitées avec dignité dans ces lieux où notre société les a mises à l’écart. Les aider aussi à se remettre debout, à réparer et à se réintégrer dans la vie courante après leur sortie. 
En Belgique, à l’exception de quelques cas, tous les détenus sortent un jour de prison. Les médias et le monde politique portent une part de responsabilité si l’on vit dans une société axée prioritairement sur la sécurité. 
Si une partie du budget consacré à la sécurité était affectée à la réinsertion, il y aurait davantage d’acteurs sociaux en prison et à l’extérieur de celle-ci pour l’accompagnement des ex-détenus et il y aurait beaucoup moins de récidives. Comme le disait Socrate, la seule chose qu’on ne peut pas enlever à un homme, c’est son espoir. 
Si vous enlevez tout espoir à un homme, il faudra se préparer à en subir les conséquences. Car le désespoir conduit au néant ! 
Je tiens vivement à remercier Luk Vervaet et Gérard De Coninck pour leur aide et leur soutien. 
(1) C. Demonchy, "La réinsertion des personnes détenues", http://prisons.free.fr/reinsertion.htm. (2) Jean-Pierre Malmendier, Jean-Marc Mahy, Anne-Marie Pirard, "Après le meurtre, revivre", Editions Couleurs livres.


Jean-Marc MAHY
Ancien détenu. Educateur et acteur pédagogique

Source : http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/780441/prison-guillotine-des-temps-modernes-ou-reinsertion.html

mercredi 14 mars 2012

REVIVRE : un livre à commander !

Source

Auteur de crime et victime témoignent, côte à côte

Un ex-détenu et un père endeuillé racontent le long chemin de la « résilience » après le meurtre. Des deux côtés du drame, les deux Belges se sont reconstruits en s’engageant pour la justice.
Jean-Pierre Malmendier a perdu sa fille dans un meurtre tragique.

Jean-Marc Mahy a ôté la vie par deux fois et passé 19 ans derrière les barreaux. Opposés par un drame similaire, les deux hommes se lient pourtant d’amitié après leur rencontre, en 2006, lors d’un débat télévisé sur une chaine luxembourgeoise (RTL-TVI). Dans Après le meurtre, revivre, Anne-Marie Pirard retranscrit, à leur demande, le témoignage croisé de ces deux hommes qui cherchent à se « reconstruire » dans un combat commun pour une justice « restauratrice ».

Perpétuité

Jean-Marc Mahy est emprisonné à 17 ans pour « vol avec violence ayant entrainé la mort sans intention de la donner ». Le 24 novembre 1984, au cours d’un cambriolage à Waterloo, en Belgique, il porte des coups à un vieil homme qui décède quelques jours plus tard. Rongé par les remords, l’adolescent supporte mal la violence de sa détention provisoire où il est placé à l’isolement. Condamné à 18 ans de travaux forcés deux ans après les faits, il s’évade avec deux complices. Mais sa virée s’achève dans le sang, le 14 avril 1987. Reconnus dans un café du Luxembourg, les trois co-détenus en fuite sont appréhendés par deux gendarmes, mais tentent de s’échapper en saisissant, sous la menace, l’arme de service d’un des deux fonctionnaires. Un coup part dans la panique et touche mortellement l’officier. À 19 ans, Jean-Marc Mahy est condamné à la prison à perpétuité le 19 décembre 1988.
En détention, il tente de se donner la mort à maintes reprises, « puis lentement, difficilement, il choisira la vie » et le témoignage, pour se reconstruire avec le souvenir pesant de ses deux victimes.
Jean-Pierre Malmendier, aujourd’hui décédé depuis un an, était employé d’une concession de véhicules utilitaires à Montzen (Belgique) lorsque sa fille de 17 ans disparaît, le 15 juillet 1992. Avec son petit ami, l’adolescente est abattue froidement par deux ex-détenus en liberté conditionnelle et en congés pénitentiaire [1]. Avec sa « douleur atroce », Jean-Pierre Malmendier prend la plume et dénonce les régimes de libération conditionnelle. Il lance une pétition pour demander des peines incompressibles qui recueille 260 000 signatures et connaît un fort retentissement dans le débat public belge.

Revivre

Les deux hommes racontent l’enfermement et le long chemin qui les fait « réexister ». Malgré « l’angoisse indicible » et la profonde solitude du père désenfanté, Jean-Pierre Malmendier tente de surmonter ses « mouvements de haine ». Il rend visite aux parents du meurtrier de sa fille, eux aussi détruits et isolés. Puis s’engage dans une « médiation extra judiciaire » pour rencontrer directement le meurtrier à la prison d’Arlon (Wallonie), comme le permet la justice belge. Il lui faut trois ans « pour reconnaître le droit d’exister à l’être humain que je poursuivais de ma haine la plus féroce depuis 15 ans », raconte-t-il. Il devient sénateur coopté du Mouvement réformateur [2] (libéral) et s’engage pour faire avancer le droits des victimes. À mesure qu’il découvre l’univers carcéral, cet ancien éducateur adoucit ses positions sur les peines incompressibles et demande des sanctions pédagogiques.
Jean-Marc Mahy passe ses trois premières années de détention à l’isolement dans un bloc du centre pénitentiaire de Schrassig, au Luxembourg, fermé depuis pour conditions de détention dégradantes et inhumaines [3]. Trois ans sans voir personne, avec une « cuve » de deux mètres sur trois comme seule cours de promenade dans laquelle il ne se rend que deux ou trois fois.
Jean-Marc Mahy refait surface grâce à la radio, la lecture, puis l’écriture et avec le soutien des visiteurs de prison. Depuis sa sortie en liberté conditionnelle, en septembre 2006, il témoigne pour « s’acquitter du solde de sa dette » et mettre son expérience à profit : un film documentaire [4], des débats publics puis une pièce de théâtre, Un homme debout, dans laquelle il retrace, seul sur scène, son parcours carcéral.

Justice « restauratrice »

Jusqu’au décès de Jean-Pierre Malmendier, les deux amis prêchent côte à côte pour « repenser totalement les systèmes judiciaires » afin de lutter contre la récidive. Une « écoute respectueuse et des échanges intenses » accompagnent la tournée d’Un homme debout. Jean-Pierre Malmendier prône toujours « une justice sévère où le détenu purge une partie suffisante de sa peine ». Il veut faire des victimes des « acteurs de la justice ». Mais il milite aussi pour une action « d’apaisement » et un accompagnement de la parole des auteurs de crimes, chez qui, dit-il, « l’acte violent cause [aussi] un traumatisme ». Jean-Marc Mahy devient éducateur et milite pour améliorer les conditions de détention et de réinsertion pour que la sanction « contribue à rendre l’homme meilleur ». Ensemble, ils créent une association, Re-Vivre, et multiplient les interventions en faveur d’une justice « restauratrice » qu’il préfèrent à la justice « réparatrice ».
Anne-Marie Pirard présente le vécu de ces deux hommes dans un récit simple au service de leur message. Les deux textes parallèles, qui reproduisent des extraits de la pièce Un homme debout et d’autres témoignages, dessinent une réflexion sur la justice, fondée sur la reconnaissance de l’autre. « Le meurtre, écrit l’auteure, fait toujours de nombreuses victimes. »
Nota Bene :

Après le meurtre, revivre, Jean-Marc Mahy et Jean-Pierre Malmendier, témoignages recueillis par Anne-Marie Pirard, couleurs livres, 136 pages, 14€

samedi 19 novembre 2011

Mechelen kc nOna (Theater vzw) 1 & 2 december : ga dat zien !!!

UN HOMME DEBOUT


Jean-Marc Mahy, Jean-Michel Van den Eeyden REPRISE
theater


kc nOna (TheaterTeater vzw)
Begijnenstraat 19-21
B-2800 Mechelen

T: +32 (0)15 203780
www.nona.be
info@nona.be
Routebeschrijving


Indien u meer dan 14 dagen vóór de speeldatum reserveert, vragen we u het totaalbedrag van uw tickets (12€, red. 10€ per ticket) over te schrijven op 068-2165305-01, met vermelding van titel, speeldatum en aantal tickets.


Voorstelling in het Frans met Nederlandse boventitels.

Un homme debout was in 2010 al in kc nOna te zien tijdens het mini-festival 'Les Wallons, c’est du caca?'
De reacties op deze aangrijpende voorstelling waren toen zo goed dat een herneming zich opdrong.
Op 20-jarige leeftijd belandde Jean-Marc Mahy achter de tralies voor twee zware misdrijven: diefstal met geweld zonder de intentie te doden en de moord op een rijkswachter. Hij kreeg levenslang. Op 36-jarige leeftijd kwam hij weer vrij en moest hij opnieuw leren omgaan met de maatschappij, vrijheid en autonomie. 

Vandaag is Mahy 44 jaar en staat hij op de planken. Het idee voor de voorstelling Un homme debout groeide vanuit een kwaadheid over de lichtzinnigheid waarmee jongeren naar gevangenissen kijken. Op scène organiseert hij de ontmoeting met een gevangene: hijzelf. Gedurende anderhalf uur dompelt hij de toeschouwer onder in een wereld van lijden, geweld en emotie. 

Verwacht U met Un homme debout niet aan een perfect geacteerde tekst, maar wél aan een persoonlijk en oprecht relaas.

Jean-Marc Mahy in De Morgen (27/05/2010):

";Ik ben hiermee begonnen omdat ik kwaad was. Kent u het gevangenismuseum in Tongeren? Honderden jongeren uit jeugdinstellingen heb ik erheen gebracht. In het begin spotten ze er altijd mee. ‘Pfff, dat kennen we. Dat is Prison Break. La prison, ce sont les vacances, zeggen onze maten.’ Tot ik hen daar mijn leven vertelde. Daarna wilden ze geen foto’s meer nemen van een cel met hun gsm. Omdat ze er niet wilden belanden. Nu had ons land een uitzonderlijk opvoedkundig project, dan beslissen ze ermee te stoppen!"; 

Persquotes:

Précipité, plus calme ensuite, parfois très émouvant, l’ex-détenu devenu éducateur prouvé, au cours de ce témoignage théâtralisé, qu’il allie sincérité et besoin de transmettre aux jeunes que la liberté est bel et bien au dehors. ­
Laurence Bertels - La Libre Belgique

Avec un feu troublant dans le regard, Jean-Marc Mahy captive les spectateurs, adolescents en premier, pour une immersion en enfer dont on ne revient pas intact.Cathérine Makereel – Le Soir

mercredi 31 août 2011

Jean-Marc Mahy, l'ange gardien de la prison-musée de Tongres

Il y a des rencontres qui vous marquent pour la vie.

Ce fut le cas avec Jean-Marc Mahy. Je l'ai rencontré pour la première fois à Bruxelles, il y a cinq ans. J'étais dans le public, au Pianofabriek à Saint-Gilles, parmi des jeunes qui étaient venus l'écouter, lui et son ami Jean-François Lenvain, lors d'une de leurs nombreuses tournées de témoignage sur la détention et ses conséquences.

C'était peut-être dû au fait que Jean-François enseignait la religion dans les écoles les plus difficiles de Bruxelles, mais, tous les deux, ils me faisaient penser à des prêtres en mission ou en croisade. Prêchant contre le mal, qui pourrait arriver aux enfants du peuple si on ne s'occupait pas d'eux et de leur enseignement et si on ne leur offrait pas une issue à leur situation de désespoir.


Le discours de Jean-Marc n'était pas complaisant ou paternaliste. Il ne l'est jamais. Il ne cherche pas d'excuses, ni pour lui-même, ni pour les jeunes face à lui. Il a un style direct, il déclenche une avalanche d'idées qui interpellent, sans arrêt, sauf pendant la pause quand il va fumer sa cigarette. Il propose une réflexion, basée sur l'expérience de sa vie et de ses anciens co-détenus. Il confronte les jeunes, issus du milieu populaire, avec le choix à faire entre la délinquance et la vie, si difficile à vivre soit-elle. Depuis ce jour, le courant est passé entre lui et moi. On ne s'est plus perdu de vue depuis, bien qu'on soit chacun occupé à des choses tout à fait différentes.


Ils sont rares, ceux qui survivent à une incarcération qui a duré presque deux décennies. Nombreux sont ceux qui finissent par mettre fin à leur vie, physiquement ou socialement. Jean-Marc est une de ces personnes qui a survécu. Il a su transformer la souffrance et la violence carcérale vécue, en témoignage. Il est ainsi devenu un professeur pour les jeunes en difficulté et un acteur de société d'une qualité rare. Aidé par des professionnels du métier, il recourt au film, au théâtre et à l'écriture pour transmettre son message. Il réalise les dossiers pédagogiques qui accompagnent son travail. C'est un travail unique dans son genre. Je l'ai retrouvé en Irlande du Nord dans l'association ESC (l'Educational Shakespeare Society) lorsque des ex-détenus expriment leur vécu à travers des œuvres de Shakespeare transformées selon leur réalité.


En même temps, je l'ai vu ramer contre vents et marrées avec sa maigre allocation de chômage. parce que son travail n'était pas valorisé par les autorités et les scientifiques de l'incarcération. La surpopulation carcérale, les évasions, les suicides en prison... tout le monde sait que la Belgique et l'Europe sont confrontées à un énorme problème de société. Mais ceux qui nous dirigent n'ont souvent que deux mots magiques pour réponse : la sécurité et la répression. Veulent-ils vraiment trouver une solution? En octobre 2008, j'étais invité à l'Université Libre de Bruxelles pour parler de l'éducation en prison lors d'un colloque sous le titre : « États généraux sur les conditions carcérales en Europe ». Sur cette éducation en milieu carcéral, j'ai dit : « Si on veut vraiment que le droit à la formation en prison, reconnu par la loi, devienne une réalité, on a besoin de centaines de forces en plus...Il faut en premier lieu engager des gens de terrain. Il y a plein de gens compétents qui sont au chômage et qui pourraient avoir une contribution importante et décisive dans les prisons mais qui sont tenu à l’écart et qui sont condamnés au chômage ou même à la précarité. Je vois différentes catégories dans lesquels il faut puiser des forces : les ex-détenus comme Jean Marc Mahy qui se sont formés professionnellement comme éducateur spécialisé ; des membres de familles de détenus comme Samira Benallal, et en général du personnel issu de l’immigration ; des membres de famille de victimes qui pouvaient jouer un rôle positif comme Tinny Mast ou la grand-mère de Luna ; des acteurs du monde du travail qui ont et une expérience de la vie de l’immigration et une expérience du monde du travail et syndical, comme Roberto D’Orazio ou Silvio Marra ; des travailleurs au chômage, ou préprensionnés ou pensionnés qui ont une connaissance des métiers et de la technique. Le travail des scientifiques, du secteur artistique devait se mettre au service de ces gens là et ils devaient arrêter de considérer les prisons comme un Zoo. ». Trois ans plus tard, seul le nombre de détenus a explosé et avec lui, le nombre de nouvelles prisons qui ne fera qu'augmenter dans les années à venir. Quant au nombre de personnes à engager, que je citais dans mon intervention, lui, il n'a fait que stagner.


C'est Jean-Marc qui m'a fait connaître la prison-musée de Tongres. Ouverte au public depuis 2005, cette unique prison-musée en Belgique avait déjà accueilli près de 200 000 visiteurs.

Jean-Marc y organisait régulièrement des visites guidées pour des jeunes en difficulté et même pour les tout petits du primaire. De nombreuses classes et associations ont ainsi pu y découvrir les différentes cellules, les douches, la promenade ou la surveillance et comprendre à quoi peut ressembler une vie en prison. Jean-Marc était devenu en quelque sorte l'ange gardien de cette prison. Il était convaincu que cette prison-musée était un trésor pédagogique et qu'une seule visite valait bien plus que tous les discours moralisateurs que l’on peut tenir à des jeunes. Il les rassemblait au préau et leur parlait de ses expériences derrière les barreaux. Il les confrontait à la réalité carcérale, qui était bien mise en évidence dans cette prison. Chaque cellule y était aménagée pour représenter une émotion : le temps qui passe, la frustration, la (l’in)justice. Réalité bien moins séduisante que les récits de fiction ou ceux des copains qui « crânent » après une expérience de détention.

Et puis, coup de tonnerre! Juste avant les grandes vacances 2007, nous apprenons que, faute de subsides, la prison musée de Tongres fermera ses portes en novembre pour être réaffectée comme prison pour 35 jeunes délinquants. Ce choix illustrait bien la politique sans perspectives vis-à-vis de la (jeune) délinquance en Belgique. C'était une gifle pour toutes ces personnes, éducateurs et éducatrices, qui essayaient de trouver des pistes alternatives à la prison. Comme le disait Christophe Rémion dans une tribune « Les éducateurs en colère » : « Les places dans les prisons "déguisées" ne doivent pas augmenter, mais diminuer. Ce n'est pas la prison qui freine la délinquance (que du contraire), mais bien le relationnel qui diminuera le nombre de demandes de prises en charge. Tout le monde sait, en effet, que l'emprisonnement, ou toute autre forme d'écartement à trop long terme, renforce la délinquance, l'accentue et, de plus, risque de détruire tout le travail qui a déjà été fait en amont. Tout le monde sait, mais on continue. C'est un bel exemple de délinquance adulte. Certaines personnes devront, bien sûr, inévitablement être placées car elles représentent un réel danger, mais aujourd'hui, il faut, dans la mesure du possible, tenter d'autres pistes qui existent, fonctionnent, et ne sont pas plus coûteuses. Elles ne demandent qu'à être exploitées. Quand allons-nous être écoutés et respectés dans notre travail ? Est-ce si fatiguant de trouver de l'énergie pour renforcer, quand c'est possible et que le jeune s'y prête, une autre dynamique qui donne des résultats et qui n'est pas plus onéreuse ? Il faut multiplier les projets éducatifs et créer des postes d'éducateurs qui suivront le jeune sur plusieurs années. »

C'est dans cet esprit que Jean-Marc et moi avons décidé de nous lancer dans une campagne « Sauvons la prison-musée de Tongres ». Pour que la prison-musée de Tongres soit conservée et développée en tant qu’outil d’un réel projet pédagogique de prévention. Aidés par la Revue Nouvelle, nous avons lancé un appel national, cosigné par quelques centaines de magistrats, professeurs, politiciens, acteurs de terrain des prisons et de la protection des enfants. Il a été suivi par des cartes blanches dans les journaux, une conférence de presse et même une manifestation à Tongres de quelques centaines de personnes.


Les ministres compétents n'ont jamais répondu à nos lettres ou à nos demandes d'être reçus pour plaider notre cause. Et puis, il y a eu une dernière activité à la prison-musée de Tongres, avant sa transformation en prison pour jeunes. C'était le 27 septembre 2007, quand l’Open VLD et Patrick Dewael y ont organisé leur bal politique annuel sous le nom de « Jailhouse Lounge ». L’invitation spécifiait que l’objectif était de renouveler la tradition des bals politiques. Elle insistait sur cette dernière occasion d’apprécier « l’atmosphère unique de la prison de Tongres avant sa transformation en une prison pour jeunes ».

Pour illustrer l'incompréhension et l'indifférence de ceux qui nous gouvernent, on n'aurait pas pu trouver mieux.

Luk Vervaet, août 2011

lundi 11 juillet 2011

Avignon Off : un bouleversant homme debout


A La Manufacture, un homme qui a connu la prison dès l'âge de 17 ans et y est demeuré 20 ans durant, pour des faits très graves qu'il affronte, témoigne. Jean-Marc Mahy s'adresse à nous sans faux semblants. Impressionnant.

Il est là. Pantalon noir, haut genre survêtement. Il n'y a qu'un tabouret sur le plateau sombre. Aux murs latéraux, deux fois dix-huit grands portraits en noir et blanc. Des hommes, des femmes. Photos des visages parfois retraitées, retravaillées. Au fond, tandis qu'il s'adresse à nous, on verra quelques images vidéo. Jamais redondantes. Des sortes d'échappées ou de focalisation sur des moments particuliers d'enfermement.

Un tabouret. Rien d'autre. L'homme se saisit d'un rouleau de large scotch blanc et délimite les contours d'une cellule, nous indiquant les places des différents objets...les minimaux atroces des sanitaires, etc...Il ne s'attarde pas.

Il est debout. Dans le récit. Jean-Michel Van den Eeyden a écrit le texte d'après le récit de Jean-Marc Mahy et le met en scène.

C'est un travail remarquable. Terrible récit. A l'abandon, mal aimé, le jeune Jean-Marc s'est laissé entraîner. Il a tué un représentant de l'ordre dans l'exercice de ses fonctions. Un épouvantable accident. Mais on ne peut guère faire pire face à la justice. En toute sincérité, lorsque l'irréparable advient, il ne croit pas que c'est lui qui a pu faire ce geste...

Aujourd'hui, il le confesse, il pense à la fille de cet homme. Elle a aujourd'hui 26 ans...Il raconte. Il est au présent. Il mime toutes les brimades, les humiliations, ces humiliations à répétition qui sont le lot des quartiers de haute sécurité en général...Jean-Marc Mahy est belge, il a été jugé au Luxembourg, mais tous les systèmes pénitentiaires se ressemblent.

Ce qui est puissant dans ce témoignage, c'est que celui qui s'adresse à nous ne se défausse en rien. Il ne cèle rien. Il raconte. Et ce récit est essentiel pour que nous, spectateurs qui n'avont pas connu la prison, nous comprenions.

Il y a sans nul doute en Jean-Marc Mahy une force particulière. Une intelligence, une sensibilité. Il ne parle pas que des conditions terribles, il parle de la manière dont il s'en est sorti en grandissant en prison. Avec la radio, la première fut Eve Ruggieri. Un matin, avec ses belles histoires sur l'Histoire. Et puis Les Tréteaux de la Nuit de France Inter, le théâtre, et pui surtout Macha Béranger sur Europe 1. On entend la voix de Macha, trop tôt disparue.

Jean-Marc Mahy a passé plusieurs diplomes en prison. Oui, il est debout. Il témoigne. Et, aujourd'hui, il travaille à éduquer, réinsérer des jeunes et moins jeunes qui ont commis des actes délictueux, sont en prison, en sortent et doivent, eux aussi, se tenir debout...

Il s'agit bien de théâtre car Jean-Marc Mahy est l'interprète du jeune qu'il fut, de l'homme qui s'est construit et qui souvent a appelé sa maman...

Une grande leçon humaine, sociale, politique à méditer.

La Manufeacture, 20h45. Jusqu'au 28 juillet. Relâche le 18 juillet. Durée : 1h20 (04 90 85 12 71)..

jeudi 7 juillet 2011

UN HOMME DEBOUT A AVIGNON - faites circuler!!!

L’Ancre présentera sa dernière création au Festival d’Avignon cet été! Du 8 au 28 juillet, la pièce « Un homme debout » se jouera à la Manufacture.

Plus d’infos sur Un homme debout au Festival d’Avignon cliquez ici

samedi 4 juin 2011

Jean-Marc Mahy : texte d'un Homme Debout


Texte paru dans LA REVUE NOUVELLE : "Pour la paix de la communauté"

Intro.


Le parcours difficile de Jean-Marc Mahy alterne, dans une famille morcelée, entre la délinquance et plusieurs tentatives de suicide. L’adolescence du jeune Mahy prend néanmoins un tour encore plus dramatique lorsque, lors d’un vol, il commet l’irréparable et provoque la mort, sans l’intention de la donner, d’une personne âgée. Rapidement arrêté, Mahy découvre alors l’enfer carcéral. Lors d’une ten- tative d’évasion, il se rend coupable d’un deuxième meurtre et sera condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il passe trois ans en isolement total dans une prison luxembourgeoise avant de revenir purger le reste de sa peine en Belgique. Désormais sorti de prison, l’ex-détenu témoigne.

Jean-Marc Mahy


Une victime le devient le jour où cela lui tombe dessus (parce que per-
sonne ne désire le devenir). Il y a deux phases, l’acte traumatisant en soi et la reconstruction. Un auteur connait trois phases, l’avant, l’acte lui-même et la reconstruction pour celui qui la désire. En ce qui concerne celle-ci, Jean- Pierre Malmendier a pu me démontrer que, autant chez l’un que chez l’autre, ces étapes de la reconstruction ne se font pas toujours. Et si elles ont lieu, cela prend parfois des années.

Première phase : la genèse éducative parentale


Les gens pensent généralement que mon histoire commence au moment
de mon passage à l’acte. Non, chez moi, cela a commencé à l’âge de huit ans, lorsque mon monde s’est écroulé. La séparation de mes parents suivie d’un divorce et surtout le déchirement d’être séparé de mes frères. Du jour au len- demain, ce fut la plongée dans la violence (verbale d’abord, physique ensuite). Ce comportement adopté par ma mère et mon beau-père devenait pour moi le reflet de la communication à adopter en cas de conflit avec un autre. Le lan- gage des poings fut ma fuite en avant. Ce conditionnement à devoir supporter les cris, les insultes, les coups et les pleurs devenait normal. Un an plus tard, c’est la mort que je désirais. Mais je fus sauvé par le directeur de mon école. J’entrepris une thérapie avec madame Petit-Jean (d’Edith Cavell). Jusqu’à l’âge de douze ans, mes déménagements successifs entrainèrent des changements d’école intempestifs où finalement je ne trouvais jamais ma place. Soit j’étais un bon élève soit un élève perturbateur (j‘ai parfois fait pleu- rer des profs). Ma transgression m’a porté vers des modèles identificatoires négatifs. J’ai commencé à fumer très jeune. J’ai rapidement commencé à bros- ser les cours, puis les petits vols dans les grandes surfaces ont suivi. Une fois, j’ai volé par gout du risque et surtout par provocation dans la librairie de mon beau-père et la grande surface où mes parents faisaient leurs courses. Dans la librairie, je me suis fait attraper et j’ai ramassé une belle « correction » de mon beau-père. Dans la grande surface, je me suis aussi fait prendre (je volais pour des plus grands que moi) et mes parents ont dû venir, ils étaient gênés. J’étais conscient de cette escalade qui me menait sur le chemin de la délin- quance. Je ne la niais pas, au contraire, j’ai tenté d’y trouver des réponses. Mais faute d’une autorité adulte responsable, j’ai préféré prendre la fuite. Nouvelle tentative de suicide, c’est mon beau-père qui me retrouvera sans connaissance dans les toilettes (j’avais absorbé des médicaments très puissants qui étaient à portée de main chez moi). Il va me sauver la vie en me conduisant aux ur- gences de l’hôpital Brugmann où je subirais un lavage d’estomac avant d’être transféré dans une unité de soins, l’unité 40 du complexe psychiatrique (j‘y suis resté quinze jours). Pour la seconde fois, je vais ressentir cette incom- préhension du monde adulte qui se lave les mains de ses responsabilités. Les adultes n’ont pas cherché en profondeur les racines qui m’ont amené à com- mettre cet acte ultime : vouloir la mort. Ils ont préféré choisir la facilité en m’envoyant vivre chez mon père. Je savais dès le départ que cela ne pourrait pas fonctionner. Mon père travaillait la nuit, ma belle-mère se méfiait de moi. L’absence d’un cadre, de repères essentiels m’a tout bonnement plongé dans le monde de la nuit, les bandes, la boisson, les bagarres, le saccage d’une école pour extérioriser toute ma haine. Mais encore une fois, je fus conscient que ce basculement risquait d’être inextricable et que, un jour ou l’autre, je risquais de commettre l’irréparable. Après de multiples fugues qui n’avaient pas l’air d’inquiéter mes parents, je me suis rendu à dix-sept ans au palais de justice de Bruxelles pour y rencon- trer un juge de la jeunesse. Après avoir patienté toute la journée sur un banc et passé la nuit à l’« Amigo » dans un cachot, le juge Kennes a enfin daigné me recevoir. La rencontre va être très brève (il était débordé de travail), une seule demande de ma part : être placé dans une famille d’accueil. Réponse du juge : impossible, j’étais trop vieux ! Il m’a obligé à retourner vivre chez mon père. J’étais catastrophé, je ne voyais pas comment m’en sortir. Pourtant dès la rentrée scolaire, je me suis inscrit dans une formation d’aide familial. Tout allait bien à l’école et même parfois chez moi. Mais le mal était fait, l’engrenage pouvait se mettre en place et, le 24 novembre 1984, alors que j’at- tendais ma copine, deux copains sont venus pour discuter d’un coup à réaliser. Dans un premier temps, j’ai refusé catégoriquement. Mais ma copine a fini par me poser un lapin. J’étais furieux, les deux sont revenus me voir, on est sorti du café et je me suis retrouvé dans un tram à me laisser convaincre de la faci- lité du coup. Rentrer chez un vieux monsieur et lui dérober sa pension. Cette personne fut victime à plusieurs reprises du même modus operandi. L’un sonne à la porte et discute avec le monsieur de l’achat de carrelage, en l’invitant à nous montrer des échantillons stockés dans sa cave. Et celui resté dehors at- tend qu’on soit en bas pour pénétrer dans la maison, prendre l’argent et nous le faire savoir. Cette personne a porté plainte à plusieurs reprises, mais il ne s’est jamais rien passé, ce qui explique que lors de la cour d’Assises, la famille n’a pas voulu se constituer partie civile. Mon état d’esprit en les accompagnant était le gout du risque, vraiment jouer à me faire peur, accompagné d’une dose d’adrénaline difficile à canaliser. Je sais que je franchis un interdit, mais je me retranche derrière le fait que, précédemment, cela s’est bien déroulé sans moi, donc tout ne pouvait aller que bien. Malheureusement, tout va très vite mal se passer, le complice qui entre avec moi est reconnu par le monsieur, qui veut décrocher son fusil au mur et appeler la police. C’est ce mot police qui a déclen- ché une peur panique que je n’ai pu contrôler. Je l’ai donc assommé. Quand on quitte la maison, il est vivant, je lui ai pris son pouls.

Deuxième phase : ma victimisation

Arrêté six jours plus tard. Ce fut un grand soulagement, je n’ai pu m’em-
pêcher de parler à quelques amis de ce que j’avais commis (le soir même des faits parce que c’était déjà trop lourd à porter.) Je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Le plus dur est de ne pas avoir appelé la police, je pensais toujours que son petit-fils viendrait le voir le dimanche 25. Le 27, c’est le facteur qui le retrouvera en état d’hypothermie, il décèdera 24 heures plus tard à la clinique de Braine-l’Alleud du docteur Wynen, celui qui m‘a mis au monde ! Pourquoi je n’ai pas appelé la police ou l’ambulance ? La peur, la honte. C’est un des stig- mates les plus ancrés en moi, car tout aurait pu changer. Lors de l’interroga- toire, je n’ai rien cherché à nier, j’ai expliqué mon rôle, même si je n’acceptais pas certaines constatations des policiers sur le lieu du drame. Après une nuit au cachot et mon passage devant le juge de la jeunesse et le juge d’instruction, la fatigue mentale et physique m’a plongé dans un état d’aphasie totale. Je ne voulais plus parler, simplement rejoindre la prison et dormir, ne plus penser à rien. Au fond de moi, je sais que je viens de com- mencer un long cauchemar. Le lendemain de ma première nuit carcérale, j’ai écrit à ma mère en lui disant de ne pas s’inquiéter, en lui demandant qu’elle vienne me voir, j’avais vraiment besoin d’elle. Je me sentais seul, terriblement seul. Je revoyais sans cesse les images de la scène, et beaucoup de choses me paraissaient incompatibles avec les dernières images de notre départ. Après quinze jours passés à la prison de Saint-Gilles, ma mère m’a rendu visite et j’exprimais toute ma peur, ma rage d’être enfermé. Et eux, mon beau-père et ma mère, me suppliaient de ne pas mettre fin à mes jours, car cette évidence était bien présente dans mon esprit. Je n’étais pas encore au stade de compren dre qu’un homme venait de perdre la vie par ma faute. J’en voulais beaucoup à mes parents, à ce juge de la jeunesse, à ces adultes qui auraient pu changer mon destin. J’atténuais ma responsabilité en y incorporant tous les autres qui étaient restés amorphes. Le 15 décembre 1984, j’ai été amené au Centre orthopédagogique de l’État de Braine-le-Château (ippj aujourd’hui). D’instinct, j’ai senti que les gens qui m’attendaient là allaient travailler avec moi. J’attendais ce moment depuis si longtemps. J’ai retrouvé une première vie communautaire dans laquelle je m’investissais à fond. Le travail avec madame Crollen (qui était psychologue à l’époque) commençait à porter ses fruits. J’avais confiance pour la première fois dans des adultes responsables. Malheureusement l’expert psychiatre man- daté par le juge d’instruction m’a très vite fait comprendre que son rapport sol- liciterait le dessaisissement. De même, le juge de la jeunesse, monsieur Kennes (qui avait un âge avancé), laissait présager la même chose. J’ai fait une tenta- tive de suicide là-bas, mais qui traduisait un appel à l’aide. Malgré les deux pro- cès devant le tribunal de la jeunesse, le juge fut dessaisi de mon dossier. Mon avocat (qui me donnait cours de droit dans ma formation d’aide familial) m’a dit qu’on s’en sortirait mieux devant une cour d’assises. La confiance mise en l’équipe de Braine-le-Château commençait à s’effriter (pourtant ils sont venus se battre pour que je reste à Braine). Arrivé en prison, j’ai perdu mon papa. Et, deux jours plus tard, je fus vic- time d’un véritable tabassage par un détenu beaucoup plus âgé que moi, j’ai frôlé la mort, rien que d’y repenser, j’en tremble encore. J’ai fait une nouvelle tentative de suicide et l’on m’a sauvé de justesse. Ensuite, je fus soupçonné de tentative d’évasion de la prison de Nivelles (sans la moindre preuve) et trans- féré illico presto à Forest et placé directement à l’isolement. Cet isolement m’a fait basculer dans la révolte. Lorsque mon procès s’est ouvert, le fossé entre moi et le monde adulte devenait un vide sans fond. Je ne voulais pas être acteur de ce procès. J’avais juste prévenu mon avocat que si je prenais quinze ans et un jour, je m’évaderais. L’avocat général réclamait pour tous les trois une peine entre dix ans et quinze ans. J’ai pris dix-huit ans de travaux forcés. Ma révolte s’est muée en haine du système. Cinq mois plus tard, je me suis embarqué dans une évasion avec prise d’otages et une cavale même pas préparée. Mon but était de me faire abattre. Cette spirale dans la violence s’est malheureusement terminée par un nouveau drame humain. Dans un café, deux gendarmes sont entrés, j’en ai désarmé un et me suis retourné face à l’autre en position de tir. Un coup de feu est parti (je n’avais jamais tiré un coup de feu de ma vie) et j’ai, sur le moment même, senti que c’est lui qui avait tiré. Je me suis enfui avec l’autre mineur, je lui ai refilé l’arme et dix minutes plus tard, c’est notre arrestation. Après de longues heures d’interrogatoire, ce fut la conduite vers la prison de haute sécurité de Schrassig (Grand-Duché de Luxembourg) et mon placement dans un quartier d’isolement total. Deux affiches symbolisaient ce lieu : « Vous rentrez ici comme un lion, vous en sortirez comme un mouton », la seconde pire que tout, « vous pourrez trouver de tout ici sauf de l’aide ». Je passe les coups et les humiliations de la première nuit. Le lendemain, dans le bureau du juge d’instruction, quand il m’inculpe de l’assassinat du gendarme, mon monde s’écroule, je viens de prendre cinquante ans d’un coup sur les épaules. Pendant trois jours, je revois comme un film qui tourne sans cesse, comment j’ai agi. Je ne dors plus, c’est l’anéantissement total. À dix-neuf ans, j’ai tué deux personnes sans le vouloir. Je sais que je ne vais pas pouvoir vivre avec ce trop lourd fardeau. Pendant trois mois, je me réfugie dans la religion comme un exutoire. Ma famille, mes amis m’ont laissé tomber, ils m’ont écrit des insultes, m’ont fait part de leur haine. Dans la nuit du 14 juillet 1987, je prépare mon suicide (cela va durer six heures, car on était surveillé toutes les six minutes). Mais cette nuit-là, ce n’est pas moi qui suis monté au ciel, c’est lui qui est descendu. Les trois semaines suivantes, je vais vivre des crises d’angoisse existentielle comme je n’en avais jamais vécu. Je voulais partir à tout prix, mon moi me disait de rester, de com- prendre, d’enfin accepter cette réalité dans laquelle je me suis mis tout seul. J’ai donc essayé de reprendre pied, d’aller ouvrir ce rideau qui cachait ce que je ne voulais pas voir. J’ai laissé tomber le masque. J’ai remis le film de ma vie et l’ai fait lentement défiler en arrière. Oui, quelles que soient les circonstances, c’est moi qui étais seul responsable de la disparition de Fernand Nizet et de Lucien Dorego. Moi, j’allais vivre, et eux ne reviendraient plus jamais. J’ai ac- cepté très vite l’idée que je ne sortirais plus jamais de prison, je voulais assumer cela dès le début. Mais l’élément majeur qui a conforté ma prise de position est survenu le 5 décembre 1988, le premier jour du procès. Ce jour-là, j’ai croisé les yeux de cette petite fille qui souriaient. Et le regard noir de sa maman. Ce jour-là, j’ai su la différence entre le regret et le remords. Je savais inconsciem- ment en passant à l’acte que je transgressais une norme, une règle morale. Ce jour-là, je savais que je ne pourrais plus jamais réparer et revenir en arrière. Ce poids, il me faudrait le porter jusqu’à la fin de mes jours. La peine n’avait plus aucune espèce d’importance. Il allait falloir survivre à la souffrance de la fille de ce gendarme.

Troisième phase : leitmotiv, ma « résilience »

J’ai été condamné aux travaux forcés à perpétuité qui se sont ajoutés aux
dix-huit ans de travaux forcés. En isolement, je vais véritablement exploiter mes qualités et mon potentiel, par la lecture, l’écriture... Le 27 mars 1990, je quittais le pays des morts pour rejoindre celui des vivants. Sur le chemin me ramenant vers la communauté, je me suis dit : si tu peux faire quelque chose pour les autres, fais-le. Mon premier combat est arrivé très vite, puisque j’ai contacté Amnesty International à Londres pour dénoncer cet anéantissement humain de l’isole- ment total dont a fait preuve l’administration pénitentiaire luxembourgeoise. J’ai porté plainte à la Chambre des députés en me basant sur l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Une dizaine d’autres détenus ont également porté plainte. Malheureusement, cette plainte ne débouchera pas sur un procès et je serai extradé vers la Belgique dans le cadre d’un accord permettant à un détenu de purger sa peine dans son pays d’origine. Le 10 mars 1992, je rejoignais la prison de Lantin et plongeais dans l’enfer de l’héroïne. Cela ne m’empêchera pas de faire des études pendant six années, ni d’être élu délégué représentant ma section pour essayer de faire changer les choses. Beaucoup de détenus sont dans l’indigence et n’ont rien. J’ai été un des premiers à faire partie de l’aventure de la communauté de base des Catacombes créée par Philippe Landenne, aumônier à Lantin, dont j’ai tenu le journal, la Lettre des Catacombes. Cette démarche se poursuivit dans la maison des Catcombes à Liège qui accueille des détenus ne sachant plus où aller. J’ai également tenu un autre journal, La Planète Namur, à la prison de Namur, qui donnait toute une série d’informations aux détenus ne sortant jamais de leur cellule. Mais un évènement dramatique surviendra le 7 janvier 1997. La mort de mon beau-père après celle de mon père et de ma grand-mère. Mon beau-père et moi étions parvenus pendant cinq ans à nous pardonner. Il me manque ter- riblement encore aujourd’hui. Je ne veux pas choquer en écrivant cela. Je sais que les proches de mes victimes ne reverront plus jamais non plus ces êtres qui leur étaient chers. Qui étais-je pour entrer dans leur vie et tout foutre en l’air ? Je n’en avais nullement le droit. Pour eux, je ne suis rien. Dans ma première affaire, la famille de Fernand Nizet a accepté que je puisse obtenir une libéra- tion conditionnelle. Pour celle de Lucien Dorego, il n’était pas question que je sorte un jour. Jean-Pierre Malmendier a pu « divorcer » de l’auteur de la mort de Corine, mais pas de sa souffrance. Moi, c’est un poids que je porte encore. Comment savoir les souffrances que je leur ai infligées ? Je voudrais entendre leur colère, leur haine. Je voudrais leur dire combien je consacre ma vie à la prévention en ayant en permanence mes victimes bien présentes dans ma vie. Elles font partie de moi à tout jamais. La première fois que j’ai entendu parler de la justice réparatrice, c’est à la prison de Namur. J’ai d’ailleurs été candidat pour participer à un module. J’avais envie de poursuivre dans cette voie-là avec Jean-Pierre Mamendier, parce que je m’étais rendu compte par nos longues conversations que nous avons souvent vécu les mêmes étapes de reconstruction, mais sa mort soudaine rend ce projet impossible. Je reste persuadé de la pertinence des actions de pré- vention et de sensibilisation en amont. Certainement dans les écoles primaires et secondaires, avant que tout ne dérape. Expliquer ce qu’est une victime, et ce qu’est un auteur. Et qu’il vaut vraiment mieux éviter à tout prix d’être un auteur pour que la communauté reste en paix.