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lundi 26 mai 2025

Un jeune médecin à la prison de Haren réveille notre conscience, par Luk Vevaet

 

Voir Observatoire des prisons -
Belgique sur Facebook avec des
extraits du rapport du docteur
Verbrugghe
https://www.facebook.com/oipbelgique

 Je travaillais encore comme membre du comité de surveillance de la prison de Haren lorsque le Dr Brecht Verbrugghe y est arrivé. Le « jeune médecin », comme l'appelaient affectueusement les détenus, a rapidement acquis une bonne réputation parmi eux en tant que prestataire de soins de santé. 

Même si, au début, le système de santé ne fonctionnait absolument pas dans la nouvelle prison, même si la liste des plaintes des prisonniers aurait pu remplir une cellule entière, ils se rendaient bien compte que le jeune médecin faisait tout ce qu'il pouvait pour aider les prisonniers malades. 

Brecht Verbrugghe avait déjà beaucoup d'expérience et d'expertise en tant que médecin. Comme médecin généraliste ou dans une clinique psychiatrique à Gand, comme médecin auprès des prisonniers et des internés négligés dans l'ancienne prison de Saint-Gilles et maintenant en tant que médecin dans la prison flambant neuve de Haren. Quelqu'un qui, s'il le voulait, pourrait grimper haut dans la hiérarchie (médicale) des prisons.  

Mais avec quelques collègues, le « jeune médecin » a choisi une voie très différente. Ensemble, ils ont décidé de rendre public ce qui pourrit dans l’univers carcéral depuis des décennies mais reste caché au monde extérieur. 

Le lundi 12 mai au matin, ils ont ainsi provoqué une sorte de déferlement pénitentiaire dans les médias belges (1). Du calibre du livre du médecin Véronique Vasseur sur la prison française de Fleury de Mérogis, qui a suscité une tempête dans le monde carcéral français à l'époque (2).  

Rapidement, les applaudissements et la solidarité de nombreuses associations travaillant dans les prisons se sont manifestés ici aussi. (3)  Les hauts responsables du système pénitentiaire et ceux des ministères de la justice et de la santé ont bien senti qu'une sorte de tsunami était en train de se former. Avec les déclarations habituelles de leurs porte-parole, les hauts responsables du système pénitentiaire ont rapidement tenté d'arrêter la vague.  Sans succès.


Le coming out de Brecht Verbrugghe et de ses collègues est extraordinairement courageux

D'abord, parce que si vous travaillez en prison, vous êtes censé vous taire. Du moins si vous voulez conserver votre emploi. Tout le monde sait qu'il existe une sorte d'omerta : vous faites votre travail et s'applique le vieil adage des trois singes « ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire ». La loyauté envers les collègues est attendue. Les problèmes doivent être résolus en interne (par les « canaux internes ») et vous vous abstenez d'exposer le linge sale. 

À cet égard, la prison peut être comparée à l'Église catholique, qui a tenté d'étouffer les abus commis sur des enfants et qui aurait résolu le problème en interne. Le sommet du système pénitentiaire dispose en effet de pouvoirs discrétionnaires qui lui permettent, par exemple, d'écarter et d'exclure à volonté, de classer des soi-disant preuves comme secrètes... sans  se soucier de la loi. J'en ai fait moi-même l'expérience lorsqu'on m'a refusé l'accès à toutes les prisons belges en 2009.

Bien sûr, cela ne signifie pas l’absence de voix critiques. Comme celles des universitaires. Mais ils ne risquent pas leur emploi, ils sont autorisés à dire ce qu'ils veulent dans la presse et à l'université depuis l'extérieur, personne ne s'en soucie vraiment. Certains témoignent anonymement, de crainte de perdre leur emploi. Je me demande bien pourquoi les gens ont peur de s'exprimer : après tout, la liberté d'expression est l'une des valeurs sacrées de ce pays, une valeur pour laquelle le monde occidental fait la guerre dans le monde entier. D’autres commencent à témoigner lorsqu'ils sont à la retraite, quand leur carrière est terminée et leur sécurité financière garantie.

L'absence de résistance et de critique de l'intérieur, de la part des personnes actives sur le terrain, nous permet d'apprécier à sa juste valeur le témoignage de Brecht Verbrugghe et de ses collègues. Ce témoignage nous donne confiance en l'avenir. Il nous apprend qu'il y aura toujours des personnes qui oseront s'élever contre l'injustice. Quels que soient les risques. Quel que soit le prix personnel éventuel à payer.

En outre, le témoignage du Dr Verbrugghe ne porte pas sur un quelconque incident ou scandale, dû à la surpopulation.  En ce qui concerne cette dernière, le Dr Verbrugghe refuse de se résigner à cette éternelle excuse. « En réalité, le problème n'est pas la surpopulation, mais la surcondamnation », a-t-il déclaré dans une interview. 

Le jeune médecin dénonce un système de santé déficient à tous points de vue, en raison de la relation toxique entre la prison et les soins de santé. Vous pouvez en prendre connaissance dans son rapport de 18 pages, téléchargeable en ligne.(4)  

Il traite des soins de santé dans les trente-huit prisons qui, en Belgique, ne relèvent pas du ministère de la Santé publique, mais de la haute administration pénitentiaire. Avec toutes les conséquences que cela implique, tant à l'intérieur des prisons (ce sont les gardiens qui doivent distribuer les médicaments et contrôler leur prise, l'utilisation des cellules de punition pour traiter les crises médicales), qu'à l'extérieur (les maladies et les infections retournent dans la société sans avoir été traitées lorsqu'un prisonnier est libéré). Le rapport décrit le manque de ressources et de personnel. Le (non-)dépistage de l'hépatite C. Les pénuries et le sabotage des soins transmuraux. Les contrôles de tuberculose non séquencés.  L'évaluation médicale inexistante ou inadéquate dans le cadre de la libération conditionnelle. Et ainsi de suite…


pic OIP https://oip.org/fiche-droits/medecine-generale/

En conclusion, il ne s'agit pas de failles majeures ou mineures dans le système. Il s'agit, comme l'a dit Lise Meunier, l'une des lanceurs d’alerte, sur les ondes de la RTBF « d'une idéologie à l'égard des prisonniers ». En d'autres termes, notre société considère les prisonniers comme du ballast ou des déchets, n’appartenant pas à la communauté humaine. Et les soins médicaux qui leur sont prodigués sont à la hauteur de cette considération.

Ceux qui pensent que j'exagère devraient se demander comment il est possible que les programmes des partis ou les manifestations des syndicats ne mentionnent nullement les droits des prisonniers. Comment est-il possible que des centaines de prisonniers doivent dormir à même le sol ? Que des gens soient entassés, pire que des animaux, dans des cellules trop petites, sans aucune réponse sociétale ? 

De plus en plus, l’indifférence s'est installée à l'égard du monde carcéral, faisant de l'injustice la chose la plus normale du monde.  Le fait qu’on nous dise systématiquement qu'il faut mettre plus de gens derrière les barreaux et que la surpopulation de nos prisons est due à la présence d'étrangers qu'il faut renvoyer dans leur pays n'y est pas pour rien. 

Le message de Brecht Verbrugghe et de ses collègues est donc aussi un message contre la prison et contre le racisme. Une déclaration contre la déshumanisation qui est la marque des temps sombres que nous vivons. 

Qu'ils en soient chaleureusement remerciés.


Notes


[1]  en néerlandais : VRT NWS : https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2025/05/07/gevangenisarts-de-medische-zorg-in-gevangenissen-is-ondermaats/ et https://www.vrt.be/vrtnws/nl/kijk/2025/05/12/tza-gezondheidszorg-gevangenissen-mimir-3ce5dbaf-be32-465c-8541-/ ;  HLN : https://www.hln.be/gevangenissen/het-is-brandjes-blussen-arts-trekt-aan-de-alarmbel-vanwege-ondermaatse-medische-zorg-in-gevangenissen~a882041f/ ;  Het Nieuwsblad : https://www.nieuwsblad.be/cnt/dmf20250512_91607777 ;  De Morgen : https://www.demorgen.be/snelnieuws/arts-dient-klacht-in-bij-orde-der-artsen-over-zorg-in-gevangenis-mensen-sterven-omdat-ze-niet-door-ons-worden-gezien~b6ff71e7/: Le Standard : https://www.standaard.be/binnenland/ziekenzorg-in-gevangenissen-is-beneden-alle-peil-het-enige-wat-telt-is-dat-de-gevangenen-in-leven-blijven/66555952.html ;  BRUZZ :


en français   RTBF : https://www.rtbf.be/article/prison-un-medecin-denonce-l-impossibilite-de-soigner-correctement-les-detenus-malades-11537151; Le Soir : https://www.lesoir.be/674619/article/2025-05-12/en-prison-recit-dune-medecine-abimee-apres-un-temps-votre-cadre-de-valeurs et https://www.lesoir.be/674616/article/2025-05-12/en-punissant-mal-ses-condamnes-la-societe-se-punit-elle-meme;  7sur7 : https://www.7sur7.be/belgique/un-medecin-denonce-des-dysfonctionnements-graves-dans-les-prisons-belges~a08ac0d2/;  La Libre : https://www.lalibre.be/belgique/societe/2025/05/12/prison-le-cri-dalarme-dun-medecin-face-a-une-medecine-abimee-7GV6VP2BXZEBNHD6J23UCUBMNI/ ;  Sudinfo : https://www.sudinfo.be/id995557/article/2025-05-12/patients-labandon-secret-medical-bafoue-ce-medecin-alerte-sur-la-prise-en-charge;  La Dernière Heure : https://www.dhnet.be/actu/belgique/2025/05/12/polemique-en-milieu-carceral-un-medecin-saisit-lordre-pour-denoncer-les-dysfonctionnements-7U65ZIHCXZD6NOJXOYXE3FGGVY/


A la radio :📻 The Morning sur Radio 1 : https://www.vrt.be/vrtmax/luister/radio/d/de-ochtend~11-19/de-ochtend~11-30502-0/ ;📻 La Première sur RTBF ;📻 Fien et Thibault Staan Op sur StuBru : https://www.vrt.be/vrtmax/luister/radio/f/fien-en-thibault-staan-op~41-383/fien-en-thibault-staan-op~41-33856-0/ ;📻 BX1 Radio :


... à la télévision : 📺 Terzake on Canvas : https://www.vrt.be/vrtmax/a-z/terzake/2025/terzake-d20250512/ ;📺 BRUZZ24 : https://www.bruzz.be/videoreeks/journaal-bruzz-24/video-herbekijk-bruzz-24-over-de-gebrekkige-gevangenenzorg-haren ;📺 Le Journal on RTBF : https://auvio.rtbf.be/media/journal-televise-19h30-le-19h30-3338968 ;📺 BX1 : https://bx1.be/categories/news/un-medecin-denonce-lincapacite-de-soigner-correctement-les-detenus-a-bruxelles/


 [2] https://www.lemonde.fr/societe/article/2004/03/29/le-dr-veronique-vasseur-depeint-aux-deputes-l-univers-carceral_359105_3224.html


[3] Article d'opinion pour Brecht Verbrugghe et ses collègues signé par Marion Guémas de l'asbl I.Care, Lise Meunier du Réseau Hépatite C & Kris Meurant de l'asbl Transit, Belgique Acat, Apres, Cap-iti asbl, Féda, Fidex, la Liaison antiprohibitionniste, Médecins du Monde, La Ligue des droits humains, Infor Drogues et l'OIP, l'observatoire international des prisons https://www.rtbf.be/article/les-associations-actives-en-prison-soutiennent-les-medecins-qui-ont-denonce-l-impossibilite-de-soigner-des-detenus-11545937


[4] Une version légèrement abrégée de 18 pages peut être téléchargée en ligne à l'adresse suivante : https://www.vrt.be/content/dam/vrtnieuws/bestanden/brief%20orde%20der%20geneesheren.pdf


le témoignage du docteur Verbrugghe a été suivi par une lettre ouverte, signée par 300 médecins, professeurs, soignants et assistants sociaux,  https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2025/05/24/open-brief-gevangenissen-artsen-zorg-verlinden-vandenbroucke/ 


mercredi 1 décembre 2021

Méga-prison et justice à l’envers


Par Luk Vervaet,

Co-signé par Laurent Moulin, Ana Navarro, Jean-Baptiste Godinot, Elisabeth Grimmer,  Rnesto Moreno,  Stéphanie Guilmain, Camille Seilles

C’est une affaire qui dure depuis six ans.

Le 20 mai 2015, une quinzaine de manifestants, armés de… banderoles, entrent dans la Régie des bâtiments pour crier leur opposition à la construction de la maxi-prison à Haren. Lors de l’action, dans un moment de colère, un manifestant donne un coup de poing sur la maquette de la future prison, exposée dans le hall d’entrée. Elle est cassée. Ce n’était pas l’objectif de cette action. Sinon les manifestants s’en seraient sans aucune doute pris autrement ; ils n’auraient pas fait une manifestation publique avec des calicots, et ce en présence d’un public nombreux.

Mais la machine policière et judiciaire se met immédiatement en marche.

Condamnés pour être présents !

Quatre des manifestants sont identifiés grâce à des caméras. Les images ne montrent pas qu’ils sont en train de s’en prendre à la maquette, mais témoignent uniquement de leur présence à la manifestation. En 2018, la justice frappe ces jeunes à coups de bâton : ils sont condamnés à dix mois de prison avec un sursis de trois ans pour « destruction de bien mobilier en bande ».

Ce n’est pas fini.

Trois ans plus tard, le 1er octobre 2021, un tribunal prononce le verdict pour le volet civil de l'affaire. Les quatre sont condamnés à rembourser 43 000 euros à la Régie des bâtiments, propriétaire de la maquette.

Vous avez bien lu : 10 mois de prison et 43 000 euros pour une maquette, une peine à la mesure du projet mégalomane de Haren. Dans ce verdict, il ne s’agit pas de frais de réparation pour une personne blessée, ni pour un bâtiment abimé, ni non plus pour un mur de prison vandalisé, mais uniquement d’une maquette publicitaire, qui ne servait à rien d’autre que ça, vu que les plans avaient déjà été approuvés. La vraie destruction, elle, celle du site du Keelbeek, soit 18 hectares de terre agricole et de nature, avait bel et bien commencé.

Justice de la vengeance, justice de classe

Nous assistons à une justice de la vengeance. Elle vise à réduire au silence toute tentative d’opposition à l’ouverture de la maxi-prison prévue pour septembre 2022. À une justice qui définit la culpabilité, non pas sur base d’avoir commis une infraction ou un délit, mais sur base de la présence de la personne, de son « association » avec d’autres. La justice belge agit comme en Angleterre où la loi baptisée « Joint entreprise » permet à la justice de « condamner des personnes à de lourdes peines pour quelque chose qu’elles n’ont pas fait, qu’elles n’ont pas prévu, qu’elles n’avaient pas l’intention de faire, qu’elles ont souvent même essayé d’empêcher, leur présence sur les lieux étant suffisante pour les rendre coupables »[1]. Une justice de classe et partiale, où les juges ont clairement fait savoir que, contrairement à beaucoup de leurs collègues, ils étaient en faveur de la construction de la méga-prison. Les quatre inculpés ont été traités comme des moins que rien, des marginaux, des hors-la-loi dont l’avenir doit être hypothéqué ou brisé, en les condamnant à des peines de prison et à un montant, sans doute dérisoire aux yeux de ces juges bien payés, mais qui mène ces jeunes à la ruine.

L'opposition ! par Renesto

Un dernier règlement de compte de la part de nos gouvernants ?

L’opposition à la construction de la méga-prison à Haren, qui tient bon depuis déjà dix ans, exprime la confrontation entre deux visions du monde et du problème carcéral en Belgique. D’un côté, les habitants de Haren, de la ZAD, des collectifs anticarcéraux, de magistrats, architectes, académiciens et avocats, de défense de la nature et des petits paysans. Leurs formes d’actions ont été on ne peut plus pacifiques sous le mot d’ordre « Ni prison, ni béton » : pétitions, articles, livres, dessins, films, concerts, procédures en justice et construction sur le site de cabanes et de tentes, plantation de patates et aménagement d’un verger. Ils se sont unis dans un des mouvements les plus larges, inspirants, créatifs et démocratiques que notre pays a connus[2]. De l’autre, les gouvernements successifs qui, depuis 2008, ont tous, quelle que soit leur couleur politique, choisi pour la construction de nouvelles prisons pour répondre à la crise carcérale[3], sous le titre trompeur : « Masterplan pour une détention dans des conditions humaines ». Si l’humanité des autorités dans les nouvelles prisons sera à la mesure de celle dont ont joui les opposants à la méga-prison, le pire est à venir.

L’opposition à la méga-prison a en effet rencontré une violence sans précédent de la part de l’État. Il fallait s’y attendre, vu le caractère intrinsèquement violent de la prison elle-même.  Les Masterplans ont dû être imposés avec la violence d’État parce que leurs plans n’ont suscité aucune adhésion sociale, si ce n’est celle des banques et des entreprises de construction. Non, il n’y a jamais eu de négociations avec les opposants, seules quelques séances d’information pour présenter les projets.


Pas une seule table ronde où l’opinion des détenus, de leurs familles, des ex-détenus, de l’association des avocats, du secteur social actif au sein des prisons, des habitants de Haren pourrait être entendue et discutée. Au début, le comité des habitants de Haren se déclarait même prêt à accepter une petite prison sur le territoire de leur petite commune. La réponse a été l’envoi des bulldozers sur le site pour faire place à la méga-prison.

La violence ne s’est pas limitée à la violence verbale ou symbolique. Il suffit de citer quelques incidents, qui se sont répétés à plusieurs reprises. En septembre 2015, évacuation et destruction de toutes les habitations sur le site du Keelbeek. En août 2018, nouvelle évacuation violente de l’occupation du Keelbeek, par la destruction et l’incendie des cabanes des citoyens défendant la biodiversité du Keelbeek, avec arrestation de sept personnes. En 2019, arrestation de nonante citoyens qui bloquaient pacifiquement le chantier de la méga prison[4]. Notre liberté se réduit-elle à seulement supporter cette violence ?

La poursuite des activistes

Pour comble de cynisme, ce sont les activistes qu’un ministre a tenté de présenter comme responsables pour les dégâts causés par toutes ces destructions illégales. En 2019, en effet, Jan Jambon, ex-ministre fédéral de l’Intérieur en charge de la Régie des bâtiments a déposé une plainte contre dix citoyens opposés à la méga-prison. Il ne leur réclamait pas moins de 1 036 000 euros ! Un million trente-six mille euros qui se décomposaient ainsi : 13 000 euros pour les frais d’évacuation, 70 000 euros pour les clôtures et 953 000 euros pour la surveillance par G4S Denys.

En 2017, la police avait déjà auditionné quelques-unes de ces dix personnes dans des commissariats différents. Finalement, les dix ont dû comparaître devant le tribunal le 14 janvier 2020, inculpés de « dégradation de propriétés immobilières d’autrui, à plusieurs reprises entre le 2/03/2015 et le 27/10/2016 » et de « destruction de clôtures rurales et urbaines avec circonstances aggravantes : commettre une usurpation de terrain, à plusieurs reprises entre le 2/03/2015 et le 27/10/2016 ». La mise en accusation des dix personnes, sélectionnées à nouveau de manière aléatoire et comme s’il s’agissait des propriétaires du terrain, a été jugée tellement arbitraire, grotesque et démesurée que le tribunal a prononcé un non-lieu.

Dans le cas des quatre condamnés pour la maquette, la Régie des bâtiments et la justice leur font payer le prix de la maquette à 34 363 euros, y inclus le prix du « déménagement de la maquette à 5 033,60 euros », le prix de fabrication de deux autres maquettes (!), je cite, « l’avance de 40% pour la fabrication de trois maquettes pour le concours ‘La prison de Haren’ à 9 534,80 euros » ! Plus le montant de « l’avance de 40% pour l’adaptation de la maquette pour le concours La Prison de Haren à 2 202,20 euros ».

Belle illustration du fait que les prisons existent aussi pour que toute une caste – faite entre autres de magistrats ou d’architectes– puisse gagner sa vie sur le dos des détenus et de ceux qui défendent leurs droits. Au cours de ces deux années de crise sanitaire, plusieurs personnes nous ont témoigné de leur consternation de voir s’ériger une prison-monstre en lieu et place d’un hôpital ou d’une école à Haren. 


Si vous faites partie de ces indignés, soutenez les quatre condamnés. Toute contribution est la bienvenue sur le compte bancaire au nom de « Soutien procès maquette» avec le numéro BE66 5230 4745 8943.

 

 





[2] Voir le livre « Ni prison, ni béton. Contre la maxi-prison de Bruxelles et son monde », un ouvrage collectif retraçant la lutte, des zadistes, activistes et habitant.e.s de Haren, par le Collectif vrije Keelbeek libre (Haren), éditeur Maelström.

L’Observatoire de la méga-prison de Bruxelles-Haren, une plateforme mise en place par le Comité de Haren, l’asbl Respire, des riverains et des militants réunis pour dénoncer le projet toxique de construction de méga-prison à Bruxelles-Haren.https://www.harenobservatory.net/

Réseau de soutien à l’agriculture paysanne http://www.luttespaysannes.be/spip.php?article110

Le dossier CONTRE LA PRISON DE HAREN ET TOUTES LES PRISONS MODERNES https://www.brudoc.be/opac_css/doc_num.php?explnum_id=988

L’appel pour un moratoire.http://supermax.be/200-academiciens-travailleurs-sociaux-artistes-lancent-un-appel-pour-arreter-la-construction-de-prisons-en-belgique/

[3]Après la Turquie et l’Italie, la Belgique est le troisième pays avec le plus grand taux de surpopulation des prisons (117 détenus pour 100 places, 10.885 détenus au 19 novembre 2021, pour une capacité de 9.611 détenus) des 52 pays membres du Conseil de l’Europe. Dans une prison à Anvers, il y a 769 détenus pour 439 places (mi-novembre 2021). En 2019, le suicide était la cause de 44% des 27 décès dans les prisons belges, ce pourcentage étant 26% dans toute l’Europe.) https://www.standaard.be/cnt/dmf20210408_97616859

[4]Avez-vous vu de pareilles opérations contre la police qui lors de ses actions syndicales bloque tout simplement l’accès à Bruxelles ou à la rue de Loi ?


dimanche 10 janvier 2021

La liberté d'expression et les vingt-huit morts à Lantin, par Marcus

 

En quittant la prison de Lantin en 2003, je savais que je devais faire quelque chose pour toutes ces femmes, ces hommes, ces jeunes que je laissais derrière moi.

           En lisant ces écrits, vous pensez évidemment à ceux qui sont restés vivants ? Et bien non, du moins pas exactement, parce que pendant mon séjour de trois ans, il y eut énormément de morts. Je me souviens d'en avoir répertorié 28, les chiffres devaient être supérieurs, l'administration pénitentiaire se gardera bien de vous les fournir et heureusement car c'est une honte. Un gardien me disait qu'il n'était pas rare, pour ne pas que ces chiffres apparaissent, que ces morts soient repris sur le compte de l'hôpital de la citadelle. Un autre gardien me dit que ces morts étaient comptabilisés sur le territoire de Juprelle car il n'y a pas d'administration au village de Lantin. Pour me confirmer cela, il me dit qu'au "greffe" se trouve un carnet noir et que tout y est noté.

       Vingt-huit morts, c'est énorme me direz-vous ! Même pour un hospice, cela poserait des questions. Ici, ce n'est pas un hospice, la population qui s'y trouve est même plutôt jeune. A cette période, sentant cette indifférence devant cette hécatombe, je me suis posé énormément de questions.

 Devant réagir, j'ai écrit à trois personnes ; deux magistrats, un sénateur. Seul le sénateur m'a répondu en m'exprimant toute sa tristesse pour ces personnes disparues, que je me devais d'être courageux en ces circonstances ! Si même cette personne m'avait répondu, je trouvais sa lettre déstabilisante. 

La mort de Sofie au cachot marqua un nouveau pas. Il fallait frapper fort. A cette époque, la Belgique était en conflit avec Israël pour les massacres de Sabra et Chatila. La Belgique c'était arrogé le droit de " Compétence Universelle " pour poursuivre ce pays devant le tribunal de la Haye. J'ai envoyé une lettre à l'ambassade d'Israël avenue de l'Astronomie à Bruxelles avec la liste des suicidés et des overdoses de Lantin en demandant à l'ambassadeur de réagir ; de demander aux belges de balayer devant leur porte.

En 2003, libéré, j'ai continué le combat. Je ne sais trop comment ce journaliste est tombé sur le fameux carnet car, je sais, compte tenu des informations secrètes qu'il détient, ce carnet devait obligatoirement se trouver dans un coffre-fort. Il disparut mystérieusement un jour ou une nuit, un journaliste averti fit la une du scandale de cette administration en développant le système des sanctions délivrées "au pif". 

Ce scandale mit en évidence les dérives dans cette prison. Le directeur déposa plainte du vol du carnet, ainsi qu'une autre contre le courageux journaliste et de sa rédaction. 

Ces plaintes évidemment n'aboutirent, la super puissance a montré ses limites. Mais, avec le temps, je pense qu'elles eurent le mérite de cacher le fond de l'affaire, à savoir, la mort de toutes ces personnes, dont certaines au cachot. L'enquête partit dans une toute autre direction.

A lire aussi : " Le monstre de la Cathédrale" dans "écrire à Christophe Barratier"par Marcus

PS. Sur cette triste période, je n''ai pas encore raconté le pire ! En allant au couloir des vestiaires, j'ai un jour eu la curiosité de regarder à l'œilleton, pour voir si je n'avais pas un ami qui attendais la venue du gardien des fouilles. J'ai senti mon cœur lâcher en voyant un cadavre nu attendant la reprise de la dépouille par la famille. L'administration avait repris son dû. Imagine la famille devant ce spectacle !