dimanche 29 novembre 2020

Devoir de mémoire : la violence carcérale en trois exemples, par Marcus

 Il y a des moments que l'on ne peut oublier.  Il m'est difficile à vous les décrire car je sais qu'inévitablement mes nuits seront courtes. 

Pourtant, c'est un devoir de mémoire qu'il faut à tout prix divulguer pour ne plus voir de pareils comportements. 

Le premier sujet démarre avec ce jeune mécontent parce qu'il est passé plus de seize heure et qu'il n'a pas reçu sa cantine, et nous sommes vendredi ! Il demande avec insistance à voir un chef de quartier. Pour toute réponse, on lui envoit l'équipe de choc !  Une dizaine d'hommes, matraque en main, débarquent sur le niveau, les autres gardiens des autres niveaux sont requis, non pas pour aider leurs collègues  mais, pour se placer devant les œilletons pour cacher la scène qui s'ensuit. 

Dans le deuxième exemple, c'est encore plus insignifiant. Il est sept heures, on amène le déjeuner. Deux gardiens ouvrent les portes, discutant entre eux. L'un dit à l'autre " aujourd'hui, on va saquer dedans! ". De fait, les fouilles de cellules commencent après le service déjeuner. Ce jour-là tous les cachots furent occupés, coïncidence me direz-vous. 

Dans le troisième exemple, nous sombrons dans l'absolu ; un détenu de la tour pique une crise de nerf dans sa cellule. Il s'y trouve seul ne menaçant personne puisqu'il y est enfermé. Les gardiens décident de le calmer en vidant un extincteur par l'orifice servant à servir le courrier. Le résultat escompté est pire, la lance d'incendie remplacera l'extincteur. L'équipe de choc fera le reste, à savoir, une entrée en force et à étouffer le détenu. Les gardiens diront qu'ils sont intervenus parce que Henry Charlet démolissait sa cellule! Henry est mort pour cela. Pour ceux qui ne savent ce qu'est une cellule de Lantin, je vous envoie une photo. 

Il me reste un fait à raconter. Ce fait se déroula au sein de la prison de Mons dans les années 2007. Des gardiens et une gardienne en proie d'ennui sans- doute, ne trouvèrent rien de mieux qu'à mettre des détenus attachés en laisse et à poil au milieu de l'aile puis à les obliger à manger  des morceaux de sucres jetés au sol sans l'aide des mains. La scène fut filmée puis diffusée sur les réseaux sociaux, ce qui leurs valurent une comparution devant le tribunal de Mons le 26 juin 2008. L'indifférence aurait été d'ignorer toutes ces choses mais ma mémoire ressurgit avec mon enfance tumultueuse où personne ne voyait rien et laissait faire. 

Ce 26 juin 2008, je me suis donc rendu devant le palais de justice traînant un mannequin ressemblant à un prisonnier pour ainsi montrer au peuple bienveillant, les dérives du système et ma désapprobation. La RTBF retransmit mon passage au journal du treize heures. 

 Contre la mort d'Evrard Chavez , dans le documentaire " Qui prier pour oublier ", vous  verrez quatre "anciens "devant le palais de justice de Liège, face à quatre-vingt gardiens, afin que pareilles choses ne se reproduisent. 

Ma nuit va être longue encore.

A+ Marcus

Post scriptum

Le temps fait son oeuvre des blessures passées. Ainsi, je ne suis pas rentré dans l'histoire de Sofie T ; une mère de deux enfants originaire de Quaregnon, décédée dans un des cachots de Lantin. Tout comme je n'ai abordé la mort par pendaison en 2001 d'un gamin de seize ans à la prison de Verviers.

J'ai évidemment tort d'écrire que le temps fait son oeuvre . Si j' y pense encore, avec vingt années écoulées, c'est une contradiction impardonnable. En t'écrivant ce vécu sur ces absurdités humaines, mes mains tremblent. 

Je te disais dernièrement que jamais, jamais je ne me rendrais à Auschwitz. Parce que je sais que ses murs, après plus de quatre-vingts ans parlent encore et je n'en reviendrais vivant. Nous sommes dans ' l'insoutenable ", je m'arrête .









lundi 23 novembre 2020

Abdelkader Belliraj, l’enfermement à double tour à Toulal 2, Meknes, Maroc

(photo prison de Toulal 2, Meknes, photo le360.ma )

Les nouvelles arrivent l‘une après l’autre des prisons de la monarchie. Il y a quelques semaines un garde a été mortellement attaqué par un détenu. La semaine dernière et selon la version officielle un autre détenu a succombé à une tentative de suicide. 


Pour ma part je ne peux témoigner que de la situation que vit mon mari en ces temps de pandémie. 
Depuis février 2020, il n‘a reçu aucune visite familiale en plus de son enfermement de 23h par jour. 
Son seul contact possible se fait par téléphone. 
Ce dernier lien avec sa famille est devenu très problématique. Il représente un stress supplémentaire à l’enfermement que vit Belliraj. 

Après des années de téléphonie quasi normale un nouveau système a été mis en place. Il était supposé améliorer le contact du détenu avec ses proches. Le prix de l’appel a flambé du jour au lendemain. 
Les appels qui coûtaient avant 33 centimes sont actuellement à 2dh50 la minute. Les appels vers l’étranger sont encore plus chers. Ce coût exorbitant des appels n‘en garantit aucunement la qualité. À cause des coupures répétées de la ligne téléphonique, mon mari doit maintes fois essayé avant d‘avoir l‘appel. Les coupures pendant la conversation sont aussi très nombreuses. 

Bref, l’appel en soi et qui représente la seule bouffée d‘air pour Belliraj est devenu le seul sujet de conversation. 
Une tension de plus qui s’ajoute à l’isolement et à l’enfermement de 23 heures par jour. 
Je tiens à souligner que les communications téléphoniques d‘avant la mise en place de ce nouveau système étaient fluides, sans aucune coupure et surtout très bon marché. Ceci arrangeait parfaitement le détenu qui n‘a aucun revenu sinon l‘aide financière de ses proches. 

Rachida Belliraj

dimanche 15 novembre 2020

La nuit de Noël en prison, je voudrais l'effacer de ma mémoire, par Marcus


Avec vingt années de prison derrière moi, la chose la plus troublante restera sans nul doute, les réveillons de Noël. Je voudrais effacer de ma mémoire cette nuit de fête. 

Si pour vous, le réveillon commence dans la soirée, il en est tout autre à cet endroit. Je me souviens qu'à cette occasion, le souper avait été servi aux environs de dix-huit heures, dans le large couloir des cellules, sur les quatre tables servant à jouer aux cartes, sans nappe ni déco évidemment. 

Toute l'aile pouvait, jusqu'à neuf heures, se distraire calmement. Une personne apporta sa radiocassette pour cette unique occasion. Pour seules boissons, nous n'avions que celles fournies par la cantine. Ambiance très froide me direz-vous ? C'est la prison et tout vous le rappelle. 

La chose qui me troubla fut de voir des hommes danser seuls, ce qui réveilla chez moi le spectre d'un dictateur Chilien auquel Sting consacra une chanson" She dances alone ". 


A huit heures quarante-cinq , les gardiens réapparurent, un gamin court vers moi avec une tasse vide; son trio n'a même pas du café en cette nuit. Ils sont nombreux à chercher dans cette dernière minute, une aide matérielle si infime soit-elle. Un autre me demande si je n'ai pas un peu de tabac car le service social débordé, il n'a pu fournir que des demis paquets.  

La nuit la plus longue de l'année peut maintenant commencer, loin de tous ceux que l'on aime, accroché aux programmes TV de celui qui en a payé la location.

A minuit pile, il se passe quelque chose qui n'arrive nulle part ailleurs : le concert des exclus de notre société peut commencer.  Chacun prend son plateau ou sa cafetière métallique et attend derrière sa porte le coup d'envois, on frappe alors de toutes ses forces et le plus longtemps possible sur cette porte fermée ou sur les barreaux pour rappeler à ceux qui nous auraient oublié, que nous sommes encore là, encore vivant. C'est un délire de quelques minutes auquel évidemment je ne déroge. Ce rituel, je l'ai vécu à maintes reprises sauf une fois ; c'était à la prison de Tournai, j'étais parvenu à soudoyer un gardien qui m'apporta un litre de vodka. Je me rappelle surtout du réveil, au cachot, et à poil, le lendemain du 25 décembre. 


 Noël, c'est aussi le colis que l'on peut recevoir. Comme dans les champs de batailles ou encore dans les camps sauf que l'administration y met son nez. Pas de parfum, pas de boîtes, pas de pralines, pas de plats préparés, pas de gâteaux! Que reste t-il me demanderez-vous? Demandez-leurs, je ne suis pas devin. 

De toute façon, pour avoir un colis, il faut avoir de la visite. 

Pour avoir un colis , il faut d'abord exister pour quelqu'un ! " 

vendredi 6 novembre 2020

"Pourquoi, Madame la directrice, plus de quarante détenus se sont suicidés ou morts par overdose au long de ces dix années ?", par Marcus

Je pense, pour situer l'époque que l'événement à dû se produire en 2008 car j'habitais comme Jean-Marc à Liège. 

Celui-ci me demande si je ne pourrais le conduire à Huy pour assister à un congrès de directeurs de prisons ainsi qu'une rencontre avec les hautes personnalités locales pour les dix ans de la prison de Seille ( Andenne ). Des ateliers puis un sandwich étaient prévus à cette occasion . Je n'avais pas trop envie d'y aller, n'aimant guère ces rencontres. Devant son insistance, je finis par céder; ce n'est pas pour rien si un jour, un journaliste a écrit un article sur moi ayant pour titre " L'homme qui ne savait pas dire NON ". 

Nous nous trouvons dans une salle jouxtant la piscine de Huy. Cette salle est bondée, il y a une grosse caméra devant la scène pour rediffuser cette mémorable rencontre. 

Pour la matinée, c'est une directrice de la prison qui présente les projets élaborés au cours de ces dix années. Elle n'est pas " peu fière  " de ce qui a été amené au sein de son établissement et le prouve d'une vidéo où l'on ressent une harmonie entre le personnel pénitentiaire et ses locataires. 


 Lorsque le reportage se termine, toute la salle applaudit. La directrice quitte son siège, signale que Monsieur Delchevalerie ne viendra pas parce que tenu par d'autres impératifs. " Le public peut poser les questions qu'il souhaite sur le sujet, je me ferais une joie d'y répondre ", lance t-elle. Quelques intervenants lancent le débat, puis vint le moment où " Personne n'a plus de question ? ".  

Je ne sais le pourquoi Luk, je me lève et on m'apporte immédiatement un micro, je vois la caméra sur pied s'orienter sur moi, ainsi que tout le public présent dans la salle. Je sens Jean-Marc inquiet sur ce que je vais dire, il me faut assurer. 

Je prends la parole et signale à Madame la directrice que c'est un très beau reportage  qu'elle nous a offert à tous, on y découvre une relation complice entre le personnel et les détenus. " Puis-je vous poser une question à mon tour ? Pourriez-vous nous dire, Madame la Directrice, pourquoi au long de ces dix années, plus de quarante, je dis bien, plus de quarante détenus se sont suicidés ou morts par overdose au sein de votre établissement pénitentiaire ?" 

Un grondement se fait entendre dans la salle, moi, je regarde la réaction de l'interpelée déstabilisée par cette question inattendue, dans ce lieu où évidemment elle attendait la consécration. Elle reste sans voix, je découvre à ce moment-là, la signification de l'éternité. La suite ne m'intéresse plus car elle bégaie une réponse qui n'a plus rien à voir avec ma question, puisqu'elle me répond que c'est à Monsieur Delchevalrie, directeur principal à y répondre. 

Voilà pour l'histoire, il y eut une suite car lors du lunch, un homme vint à ma rencontre se présenta comme étant un des directeur de Lantin et me demanda si j'avais quelque chose à dire sur sa personne ? 

Le fait qu'il me pose cette question est déjà un signe qu'il a quelque chose à se reprocher. Je le regarde droit dans les yeux et lui dit de me laisser manger, que l'on verra dans l'après-midi. 

J'aurais dû me taire, car il disparut.