mardi 21 avril 2020

(Fr/ENGL) Cinquante-quatre personnalités de quatorze pays européens lancent un appel pour une amnistie immédiate, responsable et solidaire. (texte + liste des signataires)


Madame la Présidente de la Commission européenne,
Monsieur le Président du Conseil européen,
Monsieur le Président du Parlement européen,

La pandémie de Covid-19 frappe aujourd’hui les deux tiers de la planète. L’Europe paie un prix effrayant en termes de vies humaines. Il est admis désormais que la seule solution pour éviter la propagation locale de la maladie réside dans l’évitement des personnes, qui consiste à prohiber tout contact avec autrui.

C’est, avec les tests et évidemment les soins, ce que préconise l’Organisation mondiale de la santé. Mais ces mesures sont clairement sans effet dans les lieux où règnent par nature la promiscuité et le dénuement. 
Tel est le cas des lieux de privation de liberté : personnes détenues entassées dans des prisons indignes, étrangers en situation irrégulière internés dans l’attente d’aléatoires retours forcés. 
Tel est le cas aussi des migrants fuyant des zones de guerre contraints à se réfugier dans des camps recevant parfois des dizaines de milliers de personnes sans mesures de protection élémentaires.

Cette double angoisse, qui s’applique aux personnes privées de liberté comme à ceux qui en ont la charge, est d’ores et déjà relayée par de nombreuses organisations régionales et par des ONG. 
Des médecins, des avocats, des magistrats, des citoyens, partout en Europe et dans le monde, s’inquiètent des conséquences de la pandémie vis-à-vis de ceux qui sont enfermés et vis-à-vis des personnels, dans une promiscuité qui les surexpose au virus, par conséquent à des formes plus ou moins graves de la maladie, et ceci encore plus lorsque les lieux sont surpeuplés.

Parmi les réponses possibles à une telle situation, en particulier dans les lieux de captivité, la première urgence serait de décréter, en raison de l’urgence sanitaire, une amnistie immédiate, responsable et solidaire, pour protéger, parmi celles et ceux qui sont privés de leur liberté les plus vulnérables, notamment les femmes enceintes, les plus âgés, les enfants, les handicapés….

En outre, de manière concertée, des solutions massives d’alternatives à la privation de liberté doivent être mises en place. De telles solutions ont été mises en oeuvre dans d’autres parties du monde.

Il en va de notre humanité.

De notre aptitude à nous emparer aujourd’hui de réponses efficaces à cette situation au nom de l’exigence sanitaire, dépend demain notre capacité collective à le faire au nom de l’urgence climatique.

C’est pourquoi, nous vous invitons instamment à demander dans les plus brefs délais aux États membres de décider selon le droit en vigueur de larges mesures d’amnistie dont les principes, définis en commun dans l’Union européenne, reposeront sur nos valeurs communes, et en premier lieu la Charte des droits fondamentaux qui dans son article premier proclame que « La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. »

Soyons exemplaires. La pandémie, qui frappe aujourd’hui lourdement notre Europe, appellera demain l’ensemble des Nations à aller dans cette même direction.

(English)

Open Letter to the Presidents of the European Institutions:
Appeal for an immediate amnesty

President of the European Commission,
President of the European Council,
President of the European Parliament,


Two-thirds of the planet is hit by the COVID-19 pandemic. Europe is paying a frightening price in terms of human lives. It is now recognized that the only solution to avoid the further local spreading of the disease lies in social distancing measures, prohibiting physical contact with others.

This, along with testing and of course health care, is what the World Health Organization advocates. But these measures are clearly ineffective in places governed by the deprivation of liberty: detained persons crammed in unworthy prisons and illegal immigrants detained while awaiting random forced returns. It is also the case for migrants fleeing war zones, who are forced to take refuge in camps sometimes hosting tens of thousands of people
without any basic protection mechanisms.
This double agony, which applies to the persons deprived of their liberty as well as to those in charge, has already been denounced by many regional organizations and NGOs.
Doctors, lawyers, magistrates, citizens, all over Europe and around the world, worry about the consequences of the pandemic vis-à-vis those who are locked up and the staff charged with guarding them, in a situation of overexposure to the virus and consequently to more or less serious forms of the disease, and such even more in cases of overcrowding.

Among the possible responses to the current health emergency, particularly in places of captivity, the first urgent measure would be to decree in a united fashion an immediate and responsible amnesty to protect among those deprived of their liberty the most vulnerable, in particular pregnant women, the elderly, children, the disabled, and so on.

Moreover, in a concerted manner, massive solutions to deprivation of liberty must be implemented, as has been done in other parts of the world.
Our humanity is at stake. From our collective ability to implement effective responses to today's health emergency depends our capacity to do so tomorrow regarding climate change.

This is why we urge you to ask the Member States to decide as soon as possible on broad amnesty measures, possible under existing laws, the principles of which are based on the common values of the European Union, and in particular of the Charter of Fundamental Rights of the European Union which proclaims in its first article that "Human dignity is inviolable. It must be respected and protected."

Let us set an example! The pandemic hitting Europe today, will call on all nations to move in the same direction tomorrow.

Contact: amnistia.covid19@gmail.com

LISTE DES SIGNATAIRES


Elisabetta Zamparutti (Italie), ancien membre du Parlement, Association « Ne touches pas à Caïn »
Jean-Marie Delarue (France), ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté (French NPM)
Vincent Delbos (France), magistrat, ancien membre du mécanisme national de Prévention (CGLPL),
Mairead Corrigan Maguire (United Kingdom), Nobel Peace Prix 1976
Jean-Paul Costa, (France) ancien président de la Cour Européenne des Droits de l’Homme
Bruno Cotte, (France) ancien président de chambre à la Cour pénale internationale
Alvares Gil Robles, (Espagne) premier Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe
Pascal Lamy (France), ancien Commissaire européen, President emeritius Institut Jacques Delors.
Nils Muiznieks (Lettonie) ancien Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe
Françoise Tulkens, (Belgique) ancienne vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme
Petr Uhl, (République tchèque), signataire de la Charte 77, fondateur de VONS, Prix Charlemagne 2008
Nikolaos Paraskevopoulos (Grèce) prof. émérite de droit pénal, ancien Ministre de Justice
Vania Costa Ramos (Portugal), Chair of Forum Penal - Criminal Lawyers' Association, Portugal, and Vice-President of the European Criminal Bar Association
Rita Bernardini (Italy), President of Hands off Cain
Ingrid Betancourt (France), femme politique, écrivain,
Athanassia Anagnostopoulou, (Grèce) députée, ancienne Ministre des affaires européennes ; professeur d'Hisoire Université Panteion,
Nick Hardwick (United Kingdom),HM Chief Inspector of Prisons and Chair UK NPM 2010-2016
Sergio d’Elia (Italy), Secretary of Hands off Cain,
Arta Mandro (Albania), professor at the Albanian School of Magistrates and writer,
Jean Pierre Restellini (Suisse), ancien Président du Mécanisme National de prévention (MNP) de Suisse
Mireille Delmas-Marty (France), Professeure honoraire au Collège de France et membre de l’Académie des Sciences Morales et politiques,
Anna Šabatová (Czech Republic), former Czech ombudswoman, spokeperson and signatory of the Chart 77,
Maurizio Bolognetti (Italie), Conseiller general du Parti Radical, en grève de la faim pour l'amnistie
Carlos Pinto de Abreu (Portugal), Lawyer and former Chair of the Human Rights Committee of the Portuguese Bar Association
Eftychis Fytrakis, (Grèce), docteur en droit pénal, chercheur auprès le Médiateur de la République, ancien Secrétaire Général de Politique Criminelle
Giorgio Spagher (Italy), Professor of criminal procedure and former President of the national conference of deans and chief department of Law universities,
Philippe Mary (Belgique) professeur ordinaire à la faculté de droit et de criminologie de l'Université libre de Bruxelles
Sophia Vidali, (Grèce) prof. de Criminologie, Université Democritus, membre du SPT,
Tullio Padovani (Italy), Professor of Penal Law, High School of Sant'Anna Pisa,
Marie Lukasova, (Czech Republic) Lawyer 
Contact: amnistia.covid19@gmail.com
Pau Perez Sales (Espagne) Psychiatrist. Technical advisor NPM Editor-in-Chief Torture Journal.
Florence Morlighem (France), députée
Nico Hirsch (Luxembourg) Former Deputy Director General of the Grand Ducal Police
Marc Nève, (Belgique) Président du Conseil central de surveillance pénitentiaire
Irene Testa (Italie) Trésorière du Parti Radical
Régis Bergonzi (Monaco) Bâtonnier de l'Ordre des Avocats de Monaco
Maria Rita Morganti (San Marino), social services,
José Igreja Matos, (Portugal) Judge at the Court of Appeal
Cécile Dangles, (France), magistrate, présidente de l’association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP)
Andrea Pugiotto (Italy), Professor of Constitutional Law, University of Ferrara,
Hans Wolff, (Suisse), médecin, professeur de médecine pénitentiaire
Don Vicenzo Russo (Italie) Chapelain de la prison de Sollicciano (Florence)
Maurizio Turco (Italie) Secrétaire du Parti Radical
Ersi Bozheku (Albania), Professor of penal Law, University La Sapienza,
Germano Marques da Silva, (Portugal) Full Professor of the Portuguese Catholic University Cathédratique
Pasquale Bronzo (Italy) Professor of criminal procedure, Università La Sapienza.
Iphigenie Kamtsidou, (Grèce) prof. de Droit Constitutionnel, Université Aristote, membre du Comité National pour les droits de l'homme, ancienne président du Centre National d'Administration Publique
André Gattolin, (France), Sénateur
Dr Sharon Shalev (United Kingdom), Centre for Criminology, Oxford University & SolitaryConfinement.org
Roberto Rampi (Italie), sénateur
Giorgos Angelopoulos, (Grèce) prof. assistant d'Anthropologie sociale Université Aristote, ancien Secrétaire Général d'Education Nationale de Grèce ;
Roberto Giachetti (Italie), sénateur
Vincent Asselineau, président de l’association européenne des avocats pénalistes Bruxelles
Nikolaos Koulouris (Grèce), professeur assistant de criminologie, Université Democritus


mardi 7 avril 2020

Luk Vervaet : la prison n'est pas l'endroit pour survivre à une pandémie.

Depuis le début de la crise du coronavirus et la crise qu’elle a provoqué dans les prisons, le ministre de la Justice Koen Geens et les autorités pénitentiaires sont dans le déni. « Rien à signaler, rien à déclarer, tout va bien, tout est normal et sous contrôle, l'hygiène est assurée comme avant, non, il n’y a pas plus de médecins qu'avant, les détenus ont bien tenu pendant deux mois pendant la grève du personnel pénitentiaire, alors ... ». C’était le ton de l’intervention du ministre à la chaine LN24. Une annonce à peine voilée sur ce sur ce qui attend les prisonniers dans les semaines qui viennent : encore plus d’isolement. En Belgique, laisse sous-entendre le ministre, la crise n’est pas aussi dramatique que dans d’autres pays. Le monde vacille, mais les prisons belges restent debout. Le calme légendaire de cet homme d’Etat, le manager faisant face à toutes les crises, n’impressionne que le monde politique et médiatique. Les propos de Koen Geens ont été ressentis comme des gifles par les détenus et leur famille, qui sont dans l’abandon et l’angoisse.
  
Monsieur le ministre, n’entendez-vous pas les cris qui traversent les barreaux ? Les demandes à répétition des mamans et des sœurs de détenus, de la CLAC, de l’OIP, des Familles de détenus Belgique, en passant par le Genepi Belgique, la Ligue pour les Droits humains jusqu’au Conseil Central de surveillance des établissements pénitentiaires, jusqu’à l’ONU… qui plaident tous pour des réductions immédiates du nombre de détenus dans les prisons ? 
Faut-il s’étonner qu’en absence d’une réponse à ces appels, des détenus mettent le feu, des détenus se battent entre eux, des gardiens se font agresser ? 
La grève des syndicats, annoncée pour le 12 au 19 avril, rendra la situation encore plus intenable. Une situation sanitaire qui risque à tout moment de devenir aussi grave dans les prisons que dans les homes, les maisons de repos et autres formes de détention. 

 L'isolement


La politique du gouvernement est double : quelques miettes pour calmer la colère, comme les 20 euros pour le téléphone, un petit mot de remerciements de la part du Roi pour remercier les détenus qui fabriquent des masques, tout en se dirigeant en même temps vers un isolement total des détenus. Silence radio pour les détenus quant à la propagation du virus au sein des prisons. Des détenus qui pourraient sortir de prison dans quelques semaines ou quelques mois doivent y rester. Des personnes qui sont en détention préventive (et donc présumés innocentes) y restent. Pour donner un exemple parlant : leur procès étant reporté jusqu’au 8 mai, les personnes inculpées pour être venues en aide et avoir hébergé des réfugiés (« trafic d’êtres humains » !), dont trois sont depuis 10 mois en détention préventive, restent en prison. Tandis que des hôpitaux et des maisons de repos lancent un appel à des volontaires pour renforcer les équipes médicales et de soins, les prisons font le contraire, elles se renferment complètement : les visites des familles ainsi que toutes les activités sont annulées. En plus, le personnel pénitentiaire étant à bout et déjà réduit pour cause de maladie, ceux qui travaillent encore se mettent en grève à chaque fois qu’un incident ou une agression se produit. 


Moins catholique que le pape ? 


Il suffirait de laisser parler le bon sens. Nous savons tous que la prison ne peut pas faire face au virus. Qu’il faut libérer des détenus. Lors de sa prière de l’Angelus du 29 mars, le pape, le guide spirituel du ministre Geens, s’est inquiété du sort des personnes vivant le confinement « en groupe ». En particulier celles « dans les prisons surpeuplées ». Et il a ajouté : « Je demande aux autorités d’être sensibles à ce grave problème et de prendre des mesures pour éviter les tragédies à venir ».  

Ces personnes dont parle le pape font partie de ceux d’en bas. Partout la population carcérale est composée d’ouvriers, de chômeurs, de sans-profession, de sans-diplôme, avec, comme aux Etats-Unis, une surreprésentation des minorités « étrangères et/ou (d’origine) immigrées ». Serait-ce une des raisons du désintérêt pour cette population ? 
Le contraste avec l’impunité et la liberté dont jouissent les criminels au sommet de nos sociétés, est révoltant. Aucun des criminels qui ont provoqué les crises financières comme celle de 2008, ce qui a entraîné des drames sociaux par milliers et des suicides par centaines, n’ont été mis en prison (sauf en Islande !). Impunité aussi pour ceux qui s’évadent avec leurs milliards vers les paradis fiscaux, privant ainsi nos sociétés des fonds nécessaires pour l’éducation, le logement ou les hôpitaux. Impunité aussi pour ceux qui sont responsables de ce système capitaliste mondial qui investit 1000 fois plus dans les armes, la guerre, les drogues et la destruction que dans le matériel et le personnel de soins.     

Ceux d’en bas se trouvent dans des prisons, des lieux confinés, où les mesures contre la contamination du virus, recommandées à l’extérieur, sont impossibles à respecter. En temps normaux déjà, l’hygiène et les soins n’y sont pas assurés. Il y a les rats, les cafards, les punaises, les moisissures. Il y a une population carcérale dont une partie est âgée, malade, fragile, ce qui en fait un groupe extrêmement vulnérable. 

Il faut donc libérer les détenus, comme le propose la Clac. Il faut désengorger immédiatement les prisons et libérer ceux et celles qui peuvent l’être, comme le disent d’autres organisations. Il faut écouter les messages et regarder les vidéos des détenus qui sortent de prison et y donner suite : gratuité du téléphone et de la télévision, possibilité d’utiliser Skype, comme aux Pays-Bas, mise à disposition d’un téléphone pour ceux qui n’en ont pas, comme en Espagne, renforcement des équipes médicaux et de soins, mesures supplémentaires l’hygiène pour les détenus, pas d’augmentation des prix de la cantine, grâce royale… 

Utilisez vos pouvoirs spéciaux 


Une crise sanitaire qui paralyse le monde ne demande-t-elle pas des mesures exceptionnelles ? 

Vous venez de recevoir des pouvoirs spéciaux pour gérer la crise. Vous pouvez prendre des mesures exceptionnelles et ordonner la libération des détenus. Si vous n’en avez pas le courage, vous pouvez demander au Roi de prononcer une amnistie ou une grâce, comme c’était le cas jusque dans les années 90. Ce geste humain mettrait plus de détenus sur la bonne voie que de les faire subir des années de prison dans des situations intenables.  

Prenons l’exemple du Portugal. S’il est vrai que ce pays compte 2000 détenus de plus dans ces prisons que la Belgique, il a au moins le mérite de suivre la recommandation de l’ONU de libérer des prisonniers. Le gouvernement portugais a décidé "de simplifier la procédure pour gracier des prisonniers par le Président de la République. D’accorder une grâce partielle pour les peines jusqu'à deux ans / ou pour les deux dernières années de détention - en sont exclus : les homicides et viols, abus de mineurs, violence domestique ou des crimes commis par des gens ayant exercés des fonctions de responsabilité (les hommes politiques, membres des forces de l'ordre, les magistrats, les militaires etc.). Les congés pénitentiaires passent de trois jours à 45 jours, au terme desquels les autorités judiciaires peuvent décréter la liberté conditionnelle". Tous les prisonniers libérés sont bien entendu soumis aux règles de confinement en vigueur.


Non, monsieur Geens, notre objectif immédiat n’est pas d’avoir 10.000 détenus dans les prisons belges, mais 5.611 !


En 2014, vous avez déclaré que votre ambition était, je cite : « d’arriver à faire descendre le nombre de détenus en-dessous de 10.000 ». D’abord, je n’ai toujours pas compris d’où vous sortez ce chiffre phare et ce qui vous fait dire que ce chiffre est un objectif. Vous avez oublié qu’en 1980, le nombre de détenus en Belgique était 5.611, c’est-à-dire la moitié. Pourquoi ce chiffre ne vous sert-il pas d’objectif à atteindre ? 

Les Pays-Bas comptent 17 040 000 habitants. La Belgique en compte 11 400 000, c’est-à-dire 6 millions en moins. En dix ans, les Pays-Bas ont réduit leur population carcérale de la moitié : de 21 826 détenus en 2005 à moins de 10 000 en 2014.  Selon les ministères de l'Intérieur et de la Justice des Pays-Bas « 27 établissements pénitentiaires et judiciaires jugés excédentaires ont été fermés depuis 2014 » Si le taux d’incarcération (le nombre de détenus sur 100.000 habitants) se situe entre 50 et 60 pour les Pays-Bas, celui de la Belgique tourne de 90 à 100, c’est-à-dire quasi le double ! 
Ensuite, depuis votre promesse, et malgré la construction de nouvelles prisons, malgré le transfert d’un nombre d’internés dans des institutions psychiatriques, ce chiffre n’est jamais descendu en-dessous des 10.000, à l’exception de l’été 2018. En 2019, il y avaient 10.556 prisonniers en moyenne dans nos prisons, avec un nombre de 10.883 en décembre 2019, le niveau le plus élevé depuis quatre ans. Nous avons toujours 1.862 détenus « de trop » dans les prisons. Pour 55 places à la prison de Ypres il y a 133 détenus. À Saint-Gilles, il y a 863 détenus pour 579 places. À Anvers, 717 prisonniers pour 413 places. À Malines 144 détenus pour 84 places. À Turnhout, 283 détenus pour 262 places.

Monsieur le ministre, que cette crise serve au moins à ramener le nombre de détenus au chiffre de 1980 !  

Ce ne sera qu’un premier pas. Par après, la question se posera autrement.

Vers une société égalitaire !


Depuis quelques décennies le monde est victime d’une pandémie carcérale : de nouvelles prisons, centres de détention, camps pour réfugiés, murs… ont été érigés partout. Quand cette crise sera derrière nous, nous ne voulons pas retourner à ce qui était « la normalité ». 

Le résultat de cette crise sera une confrontation. Entre ceux qui veulent sauver ce système par le renforcement de l’exploitation et de la répression, par l’augmentation du nombre de prisons et de prisonniers et de système de contrôle de toute une population, pour répondre à une misère et une révolte sociale qui s’annoncent. Et entre ceux qui veulent la fin de ce système capitaliste qui a prouvé sa faillite et qui font le choix d’une société égalitaire. Dans cette conception, l’abolition des prisons se posera. Il ne s’agira pas d’instaurer un régime d’impunité, il s’agira de nous défaire de notre addiction à la prison, de reconstruire des communautés solidaires qui cherchent ensemble des solutions pour prévenir le mal et le réparer autant que faire se peut. Il s’agira de s’appuyer sur les formes solidaires qui se développent entre les gens, de remettre la justice dans leurs mains en développant des formes de justice réparatrices, restauratrices et transformatrices. 

Source 


dimanche 5 avril 2020

Vivre le coronavirus dans une prison marocaine est une véritable calamité, par Marie-Jo Fressard (Solidmar)


Marie-Jo Fressard, au centre,
 avec Khadija Ryadi
 et Luk Vervaet 
Vivre une épidémie en prison est une très difficile épreuve, vivre le coronavirus dans une prison marocaine est une véritable calamité.

Devant l’incroyable vitesse de propagation de la pandémie et les dizaines, voire centaine de milliers de morts dans le monde depuis le début de l'année, des appels urgents ont été lancés par d'importants organismes comme celui de Michelle Bachelet, la Haut-Commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU  qui demande la libération urgente de certaines catégories  de détenus pour éviter que la pandémie de Covid-19 ne fasse des "ravages" dans les prisons et au de- là ; par la Croix Rouge, et par de nombreuses ONG nationales et internationales.

Des États ont déjà décidé de libérer des détenus , en particulier des prisonniers d'opinion et des prisonniers politiques, considérés comme  moins dangereux pour la société, alors qu’en engorgeant les lieux de détention, ils participent à la propagation du virus, mettant en péril la santé et la vie des prisonniers de droit commun, et celle du personnel pénitentiaire qui pourraient à leur tour, propager le virus en ou hors de prison.

Luk Vervaet, ancien enseignant dans les prisons en Belgique, a lancé dès le 13 mars un appel urgent : « Les mesures prises contre le coronavirus au niveau de toute la société nous rapprochent tous du vécu des personnes détenues dans les lieux fermés : les prisons, les centres de détention pour réfugiés ou les hôpitaux psychiatriques. Cette crise nous apprend en même temps que nous avons créé des formes et des conditions de détention pour les exclus de notre société, qui sont déjà inacceptables en temps normal, mais qui, lors d’une crise comme on la connaît aujourd’hui, ne permettent pas d’assurer la santé des personnes détenues. Ce qui menace à son tour la santé publique au sein de la société dans son ensemble.
Nous savons tous que des milliers de personnes détenues sont aujourd’hui obligées de vivre les unes sur les autres et qu’ils n’ont qu’un accès limité aux soins et aux produits d’hygiène. Aujourd’hui, pour faire face à la crise corona, les autorités prennent des mesures supplémentaires d’isolement, dont l’interdiction des visites des familles ou l’annulation des cours et d’autres activités, déjà extrêmement rares en temps normal. La réaction de désespoir et de révolte contre cet isolement renforcé ne s’est pas fait attendre. » 

Les prisons du Maroc

 Le régime marocain bat des records en nombre de prisonniers par rapport à ses voisins. Par exemple en Espagne, où avec une population de 46,8 millions d'habitants, soit 10 millions de plus qu'au Maroc, il y a 27 250 prisonniers de moins qu'au Maroc.

Les conditions de vie des détenus y sont déplorables. Des ONG marocaines et d'autres pays ont demandé depuis des années la libération de prisonniers politiques et d'opinions, qui sont plus d'un millier dans des prisons surpeuplées du Maroc. 

Première ONG à réagir, l’ASDHOM titre son article : « Libérez tous les prisonniers politiques et d’opinion au Maroc»,  dont font partie ceux du Hirak du Rif (et de  Jerada). L'AMDH   considère que «le moment difficile que traverse aujourd’hui l’humanité toute entière et le Maroc en particulier, peut être celui d'une détente démocratique qui met fin aux violations des droits humains et ouvre la voie vers un État démocratique et respectueux des libertés, et que les autorités marocaines fassent preuve d'intelligence et de sérieux dans le traitement de ce dossier.» Nous l'espérons tous !

Plus récemment, selon le journaliste d'investigation Hicham Mansouri, dans l’espoir de lancer une nouvelle trajectoire pour «la réconciliation nationale » et d’alléger la surpopulation des prisons, une pétition lancée par des militants des droits humains a appelé à « libérer tous les prisonniers politiques et les prisonniers d’opinion, ainsi que les prisonniers des mouvements sociaux, y compris ceux du mouvement du Rif ». La libération des  mères, des personnes âgées et des malades est également demandée. Seul progrès notable jusque-là est la suspension de la tradition du baisemain à Sa Majesté, un protocole jugé par nombre d’activistes « révolu » et « humiliant »... et risqué pour sa majesté. Cette crise a également montré la fragilité des services publics et l’erreur qu’a été la marginalisation de secteurs vitaux jugés non rentables, comme la santé ou l’enseignement. « Le régime a continué à miser sur la sécurité, à tel point que c’est aujourd’hui le ministère de l’intérieur qui contrôle les autres ministères. », a commenté son ami Maâti Monjib.(...) Le haut-commissaire à la planification Ahmed Halimi estime que la crise a prouvé l’échec cuisant du néolibéralisme sauvage, qui a tenté de faire croire que le marché et le secteur privé pouvaient tout assurer. L’année 2020 sera la pire pour l’économie marocaine depuis 1999 » « Le retour à l’État social s’impose.

Que fait le Maroc pour lutter contre l’engorgement de ses prisons surpeuplées ?

Alors que l'Egypte, l'Algérie, la Birmanie, les USA, le Nicaragua, la Colombie, le Burundi, la RDC, et d'autres pays désengorgent leurs prisons, le Maroc a pris comme mesure pour aérer les geôles ...d'alterner les ateliers par demi-journées, pour les prisons qui en sont pourvues.

Les conditions d'emprisonnement et de travail des médecins et du personnel y sont déplorables. Ayour Anoual, médecin marocain, publie sur Internet son cri de désespoir (extraits) :

« Ce matin je me prépare à assurer une garde, avec mon avant dernier masque...A ce jour , le 27 mars, 11 médecins sont atteints au Maroc, sans compter ceux qui ne sont pas testés ! Contrairement aux policiers, nous n’avons pas de masques mis à notre disposition. Nous sommes peut- être infectés et l’examen clinique nous oblige à être tout près du malade. Pourquoi n’avons nous pas droit à des tests lorsque nous avons des symptômes ??? Certains médecins et paramédicaux ont demandé des hôtels, pas pour le luxe mais pour que le personnel soignant ne contamine pas leurs familles. Plusieurs médecins présentant des symptômes inquiétants se sont vus refuser le test alors qu’un ministre a été testé et mis sous tous les traitements sans signe de gravité!!! Pas le médecin qui s’est occupé de lui !
Dans l’intérêt de tous, demandons à avoir de quoi nous protéger et à être dépistés et isolés si nous sommes positifs !
Trop c’est trop!!! »

Le 31 mars, Reda Mouhsine journaliste de www.h24info pose enfin la question : Coronavirus: qu’attend le Maroc pour désengorger les prisons?

Photo Bladi.net 2017 DR 
On sait que la situation carcérale dans le royaume est pourtant alarmante. Le taux d’occupation des prisons dépasse les 300% et le pays ne compte que 82 établissements pénitentiaires pour plus de 80.000 détenus. Les appels à libérer certaines catégories de prisonniers se sont pourtant multipliés ces derniers jours, à l’instar de celui publié par l’Observatoire marocain des prisons (OMP) qui estime qu’il est urgent de libérer plusieurs détenus, compte tenu de la «vulnérabilité des populations carcérales de par leur confinement et leur promiscuité, aggravée par la carence criante d’infrastructures et de personnels soignants dans les établissements pénitentiaires».

L’OMP recommande notamment de libérer immédiatement les détenus devant sortir en mars 2020, de libérer les mineurs en attente de procès, de libérer les personnes âgées de plus de 65 ans ou encore de libérer les prisonniers d’opinion et les militants pacifiques. Cet appel a été partagé par plusieurs acteurs de la société civile marocaine.

L’ancienne présidente de l’AMDH, Khadija Riyadi ne cache pas son inquiétude. «Les conditions d’incarcération sont très mauvaises. Nos prisons sont surpeuplées. Nous soutenons à 100% les recommandations émises par l’OMP et nous estimons qu’il faut absolument donner la priorité aux prisonniers politiques et aux prisonniers d’opinion». Ce sont des milliers de détenus que le Maroc devrait libérer, d’autant que «la moitié des prisonniers sont des détenus en attente de jugement.»

Le Maroc va s'inspirer des autres pays pour imposer à la société certaines règles pour faire respecter le confinement. Il va même jusqu'à envoyer dans les rues les forces de l'ordre et des blindés «pour rassurer et dissuader les désobéissances». Mais il n'est toujours pas question de désengorger les prisons.

Selon Maâti Monjib « Sur le plan théologique, pour le Marocain, Dieu ne saurait se mettre en colère contre un peuple croyant, mais uniquement contre les tyrans qui ne respectent pas la religion, la justice et la volonté divine. Et dans un pays où la majorité écrasante croit profondément que la volonté divine est au-dessus de celle du roi et des autorités, « cela ne peut qu’affaiblir la légitimité religieuse du régime ». Car « selon la mentalité dominante, si l’autorité est bonne et qu’elle suit le chemin de Dieu, de telles choses qui menaceraient l’existence des musulmans ne sauraient advenir ».

Devant la précarité des infrastructures et des services sanitaires, se tourner vers Dieu reste pour beaucoup le seul refuge. À Tanger, à Tétouan (nord du pays) et à Fès, des habitants ont ainsi scandé : « Dieu est grand, et Il est le seul capable de nous aider ! » (
Hicham Mansouri  Orient xxi : «Le roi, le coronavirus et "la volonté divine»)

Être Sahraoui en prison marocaine, à l’est ou à l’ouest du mur

Depuis 1975, année de l’annexion du Sahara Occidental par le Maroc, les familles sahraouies sont séparées. Une partie de la population a fui les chars et les bombardements au napalm pour se réfugier en Algérie, dans la région proche de Tindouf. Les autres sont restés dans leur pays. Après cette occupation illégale, le Maroc, aidé par la France et Israël, a érigé un mur de 2700 km destiné à protéger ses précieux bien pillés sur terre et en mer sahraouies.

À l’ouest du mur, dans “les territoires occupés ” par le Maroc, les emprisonnements sont presque journaliers, basés sur des “ aveux” arrachés sous la torture .

À l’est du mur, dans les “ territoires libérés” par le Polisario, et en Algérie dans la région désertique de Tindouf, les réfugiés se sont installés “provisoirement”, pour déjà 45 ans de vie précaire, mais de jouir de la liberté.

Toujours séparés par le mur, les Sahraouis vont vivre le coronavirus de manière très différente.

Le 22 mars 2020 Brahim Ghali, le président de la République du Sahara Occidental a attiré l'attention du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, sur la situation dangereuse dans laquelle se trouvent les prisonniers civils sahraouis en prisons marocaines, appelant l'ONU à intervenir d'urgence pour les libérer immédiatement afin d'éviter une tragédie humanitaire dans les prisons, compte tenu de la propagation du nouveau coronavirus.

L'absence de conditions sanitaires dans ces prisons marocaines surpeuplées avait déjà entraîné de nombreux désagrément pour la santé de ces détenus sahraouis, ce qui laisse présager « des conséquences désastreuses imminentes » avec les risques d'infections par le coronavirus.

Ces prisonniers civils sahraouis sont emprisonnés pour avoir réclamé leur droit à l'autodétermination et à l'indépendance, un droit garanti par la Charte et les résolutions des Nations Unies, mais non accepté par l’occupant : procès militaires, répression violente, tortures, pillages des biens et expulsions loin de leurs familles. « Au fur et à mesure que l'épidémie de Corona se propage, les maintenir dans ces conditions est carrément du terrorisme et une action irresponsable ; la communauté internationale ne peut rester indifférente à un tel mépris de la vie humaine ».

Dans son rapport annuel de 2019 sur les droits de l'Homme, l’ONG américaine HRW a rappelé  « la détention continue de 23 Sahraouis par le Maroc après avoir été condamnés à la suite de procès inéquitables en 2013 et 2017 sur la base d'aveux forcés, sans enquête sérieuse sur leur torture physique dans les postes de police et de la gendarmerie, après les affrontements qui ont éclaté suite au démantèlement violent et sanglant par les autorités marocaines du camp de protestation Gdeim Izik près d'El-Ayoun occupée, en 2010 ».

Ensemble, nous résisterons 

Le 31 mars, des Sahraouis lancent une campagne de solidarité avec l'Espagne, l'Italie et l'Algérie : « Ensemble, nous résisterons » en solidarité avec ses voisins espagnol, italien et algérien, touchés par la pandémie de coronavirus, pour remercier du soutien reçu durant les quatre dernières décennies d'occupation. 
« Nous parlons d'expérience, nous avons pratiquement vécu dans une sorte de quarantaine depuis 45 ans et ça continue à ce jour », déclare à Efe son co-fondateur, Mohamedsalem Werad, du camp de réfugiés de Smara, dans la région désertique algérienne de Tindouf.

Il rappelle comment les peuples d'Espagne et d'Italie ont apporté leur aide depuis l'occupation marocaine en 1975, en accueillant des centaines d'enfants chaque été et en envoyant des caravanes médicales et de l'aide humanitaire. En outre, ils n'oublient pas le rôle de l'Algérie, qui a accueilli la moitié de la population sahraouie, à laquelle elle a offert une protection internationale.

Jusqu'à présent, les autorités sahraouies affirment qu'il n'y a pas eu de cas positifs ni même de soupçons de contagion dans les camps, bien que 21 personnes soient en quarantaine préventive après être rentrées d'autres pays.

Préoccupé par les effets de l'épidémie, le Front Polisario a ordonné le bouclage du périmètre avec l'Algérie le 19 mars, la fermeture de toutes les communications terrestres et aériennes, la fermeture des espaces publics, la suspension de toutes les manifestations sociales, culturelles et sportives ; il a limité les déplacements entre les camps et a renforcé les mesures de surveillance sanitaire et de prévention.

Le conflit dans l'ancienne colonie espagnole du Sahara occidental a commencé à l'automne 1975 lorsque les troupes marocaines ont profité de la faiblesse de la fin de la dictature franquiste pour prendre le contrôle du territoire. L'occupation a déclenché une guerre avec le Maroc impliquant la Mauritanie, qui a été suspendue en 1991, lorsqu'un cessez-le-feu a été déclaré et qu'un référendum sur l'autodétermination supervisé par l'ONU a été convenu.

Depuis lors, Rabat et la République arabe sahraouie démocratique (RASD), reconnue par l'Union africaine, se battent pour la mise en œuvre du référendum, s’affrontant sur la questions des listes électorales. 


Dans l'intérêt de tous, militants des droits de l'Homme ou non, pour tenter d'étouffer le virus, les prisons devraient être vidées au maximum. 

Les militants du Hirak du Rif purgent des peines de de 2 à 20 ans pour avoir exprimé leur besoin urgent d'hôpital, d'université, ou tout simplement d'emploi, ce qui bien sûr, ne représente aucun danger pour leurs compatriotes, qui ont les mêmes revendications depuis des années. Et il faudrait libérer en priorité les nombreux enfants prisonniers rifains, parfois âgés à peine de plus  de 10 ans, pour avoir suivi les manifestations des ainés, internés pendant plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois ou même plusieurs années pour des adolescents, humiliés, torturés.

 Il faut aussi libérer d'urgence les prisonniers politiques sahraouis, en prisons marocaines dans des conditions effroyables pour avoir demandé que soit organisé le référendum d'autodétermination que le Maroc leur refuse. Des peines de prison allant de deux ans à la perpétuité. 

De nombreux militants marocains, eux aussi arrêtés et torturés pour avouer des crimes et être désignés comme "droits communs" :  des jeunes du Mouvement du 20 février 2011, réclamant la démocratie et la justice sociale, qui côtoient tant de compatriotes qui, eux aussi réclament la justice sociale, la grande absente du "plus beau pays du monde " !


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Marie Jo Fressard
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