Témoignage présenté à la Commission Justice de la Chambre des Représentants, 6
juin 2018, sur "Le sens de la peine"
par Marc DIZIER, Pdt de l’Association des Directeurs des Prisons
francophones, Directeur prison d’Andenne
" Les philosophes du 18ème siècle avaient vu dans la privation de liberté l’opportunité d’un
formidable progrès pénal par l’abolition des châtiments corporels. Les
magistrats allaient disposer d’une gamme variée de sanctions parmi lesquelles la
privation de liberté concernerait les infractions les plus graves.
Mais en raison de la concomitance de la révolution française et de la
révolution industrielle, l’enfermement pénitentiaire, qui devait être un
dernier recours, s’est immédiatement mué
en modèle (quasi) unique de sanction pénale, le rôle des juges se bornant à
évaluer la durée de l’enfermement sur base de ce que le détenu, devenu
« travailleur empêché », perdrait en termes de rémunération. Le
modèle pénal social s’est donc mué d’emblée en modèle pénal économique.
Dans l’histoire de la Belgique, le recours à l’incarcération a toujours
été en corrélation avec les indices de déclin économique :
chronologiquement les crises du blé, du charbon, du pétrole et plus récemment
l’augmentation du taux de chômage ont emporté, à crimes et délits équivalents,
des peines allant du simple au double par rapport aux périodes d’essor.
Les criminologues ont démontré de longue date que l’inflation pénale n’a
pas de concordance avec la réalité de la délinquance mais bien avec le
sentiment d’insécurité économique d’une population confrontée à l’appareil de
l’Etat qui, incapable d’apporter des solutions structurelles à la dérégulation
des marchés, recourt à la répression pour créer l’apparence d’une reprise de la
maîtrise.
Dans cette illusion
(3), la quête d’un sens (1) à donner à la peine confine à la perversion (2).
(1)
La quête
de sens est objectivée dans la loi pénitentiaire du 12 janvier 2005 au travers
de ses principes centrés sur le respect de la dignité humaine.
(2) La perversion se lit dans son article 10 § 2 :
« Les inculpés doivent être traités de
manière à ne donner aucunement l’impression que leur privation de liberté
présente un caractère punitif ».
(3)
L’illusion
se révèle dans le fait que, 13 ans après sa promulgation, la loi ne dispose
toujours pas d’un grand nombre de ses arrêtés d’exécution.
Les exemples se bousculent des gesticulations
législatives et/ou réglementaires en matière pénale et pénitentiaire, tendant à
ce qu’aucune des parties à la cause ne perde sa part d’exercice du pouvoir. Et
tant pis pour les incohérences systémiques dont les justiciables sont les
victimes directes.
De fait les détenus sont aujourd’hui quantité négligeable dans la réflexion
sur le sens de la peine. Le discours politico-administratif, de type
managérial, s’exprime en termes de procédures orientées résultats, de réduction
des coûts, d’infrastructures et de bien-être des travailleurs. Partant, les
inspecteurs des finances et les organisations syndicales sont devenus les
principaux décideurs des projets qui pourront ou non être menés dans nos
établissements.
Les régimes s’humanisent, certes, mais les facteurs de dégradation de la
gestion de la détention se cumulent de sorte que l’apparente modernisation des
textes réglementaires ne débouche pas sur une évolution significative de la
prison qui reste fondamentalement un lieu d’exclusion et d’infantilisation. Ce
sont là les véritables compétences de la prison, isoler et punir.
L’évidence est pourtant que la punition n’a pas de vertu pédagogique et
qu’exclure en vue de réinsérer est un non-sens total. Aussi paradoxal cela
peut-il paraître, la protection de la société passe par l’abolition de la peine
privative de liberté.
En détruisant le lien social qu’il prétend réparer ensuite, le
système d’administration de la justice pénale contribue à alimenter son propre arriéré.
Les peines prononcées sont de plus en plus longues et subies de plus en plus
longtemps, provoquant la surpopulation qu’aucune alternative ni aucune mesure d’aménagement
ne parviennent à maîtriser.
L’image la plus illustrative de ce système est celle de la baignoire qui
déborde pendant que certains écopent pour réduire l’inondation. La facture
d’eau est salée mais personne n’envisage la solution la plus appropriée, couper
le robinet d’alimentation.
Ce gaspillage, tant financier qu’humain, doit cesser.
Chaque niveau de pouvoir doit y contribuer.
Le rôle du fédéral
Techniquement, la gestion du stock pénitentiaire passe nécessairement par
la maîtrise des flux :
-
Réduire le
nombre d’entrées par une refonte de la loi sur la détention préventive ;
- Réduire le
temps d’attente du passage devant les juridictions de jugement ;
- Réduire
les taux de peines prononcées ;
- Accélérer
l’octroi des mesures d’aménagement des peines ;
- Appliquer
effectivement les principes de sélection négative, comme y contraint la
loi.
Des peines plus courtes subies moins longtemps sont autant de facteurs
de réduction de la récidive.
Le rôle des entités fédérées
Les Communautés et Régions doivent investir les matières que les lois
spéciales de réformes institutionnelles leur ont assignées. Les principes de
normalisation, de participation et de réparation consacrés par la loi
pénitentiaire ne peuvent être rencontrés qu’à la condition d’être déclinés en
activités de formation scolaire et professionnelle, de soutien psychologique et
social, etc. Ces missions dévolues aux entités fédérées demeurent sous investies
dans des proportions frisant le niveau zéro.
Enfin, le bon sens commun
Des individus ayant subi la (quasi) entièreté de leur peine, libérés
sans le sou, dans un milieu d’accueil inadapté à leur problématique spécifique et
sans accompagnement n’ont d’autre perspective que la récidive. Le plus souvent
dès les premiers jours de leur retour à la liberté. L’aide sociale, au sens le
plus large du terme, doit être mise en place avant la libération. Et plus
avantageusement encore, avant l’incarcération.
La détention ne prendra du sens que si elle s’inscrit dans le cadre d’un
projet global de société centré sur le citoyen. Rendre la justice équitable,
c’est avant tout se donner les moyens d’éviter d’y recourir, en investissant en
amont de la prison dans l’éducation, le travail, la santé et l’intégration
sociale.
La prison sera, alors seulement, ce qu’elle prétend être aujourd’hui,
l’ultime recours."
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