Une lettre de Nordin Benallal
Je me permets de vous adresser ce
courrier afin de vous faire part de mon désarroi et de l'impasse
dans laquelle je me trouve...
En effet, je suis incarcéré depuis
1997 et si l'on s'en réfère à ma fiche d'écrou, l'expiration de
la totalité de mes peines est prévue pour le 23/08/2055 et une
surveillance électronique n'est envisageable qu'à partir du
18/07/2026 (dans le cas où j'aurai pu bénéficier de mes congés
dans les temps, ce qui est rarement le cas...).
A la veille de mes 34 ans, il m’est
difficile, voire insupportable d'imaginer que je ne pourrai pas
commencer ma vie d'adulte avant d'avoir atteint mes 47 ans, que mes
parents ne seront peut-être plus là pour m'accueillir le jour où
je serai libéré, que tous mes neveux et nièces nés pendant ma
détention auront probablement un ou plusieurs enfants, que les amis
que j'ai laissés dehors en étant gamin auront, pour la plupart,
construit leur vie, auront un travail, une famille et des enfants,
etc... en sachant qu'il n'est même pas certain que je vive
suffisamment longtemps pour accomplir cette peine et, éventuellement,
assister à tout ce que je viens de vous décrire...
Il va sans dire que ce n'est pas en
prison que je peux préparer un plan de reclassement, ni une
réinsertion digne de ce nom. J'ai pourtant souvent essayé de mettre
mon temps de détention à profit, en suivant diverses formations
organisées en prison ou, depuis que je suis en mesure d'isolement
complet, en suivant des cours par correspondance mais cela n'est pas
suffisant... Coupé de la réalité extérieure depuis bientôt 16
ans, le seul lien qui me permet de rester en phase avec la société
actuelle est la visite régulière que je reçois de ma famille.
Les seuls à savoir et à penser qu'il
est encore possible pour moi de construire ma vie sont mes parents et
mes frères et sœurs; sans leur soutien, je ne serais pas
aujourd'hui, dans une cellule, à vous écrire mes derniers espoirs
de démarrer une "nouvelle" vie, avec votre aide et votre
compréhension.
Contrairement aux idées reçues, je
pars du principe que "qui casse paye", ce qui signifie que
je reconnais et assume avoir été un délinquant d'habitude et qu'il
était inévitable et normal que je paye pour mes erreurs mais
fallait-il pour autant que je sois condamné à plus d'un demi siècle
de prison, quand on sait que chez nous, en Belgique, la perpétuité
équivaut à 30 ans de réclusion.
Pendant une dizaine d'années, ce qui
me permettait de supporter la détention était la perspective
d'évasion, ce que je n'ai pas manqué de concrétiser à maintes
reprises...
Mais avec le temps et la maturité,
j'ai appris à mes dépends, que mes évasions m'offraient certes
quelques temps de liberté mais une liberté très éphémère,
puisque sans perspective à long terme.
Je souhaite du profond de mon âme que
la justice puisse « enfin » me voir comme un être humain, qui ne
demande qu'à se faire oublier et à reprendre une place au sein de
la société.
La situation dans laquelle je me trouve
est purement et simplement inédite: je suis en régime de sécurité
particulier individuel, ce qui signifie que je suis isolé quasi 24
heures / 24, que je ne sors de ma cellule que pour prendre ma douche
quotidienne , téléphoner ou rencontrer ma famille au parloir.
Pourtant la loi de principe dit qu'on
peut mettre une personne en mesure particulière pour le bien-être
et la sécurité de l'établissement, en cas de risque d'évasion...
et que, si aucun élément ne vient étayer les risques ou les
rumeurs d'évasion, il est impératif de remettre le détenu en
régime de détention "ordinaire".
Hors depuis 2010, tous les deux mois ce
régime est renouvelé à mon égard et sans qu'aucun élément
nouveau ne vient justifier une prolongation de ce régime (que du
contraire !).
Cette lettre a pour but d'attirer votre
attention sur un dysfonctionnement de l'institution judiciaire (en
matière carcérale). La Direction Général Des administrations
pénitentiaires s’obstine à me maintenir dans ce régime
d'isolement. En effet, selon la direction générale, je
représenterais un risque élevé d'évasion dû au fait de
l'éloignement extrême de la date de ma possible libération
conditionnelle.
D'autre part, toujours selon la loi de
principe, je pourrais, en théorie, introduire une demande de
libération conditionnelle après 14 ans de détention. Pour cela, je
dois proposer un plan de reclassement, qui me permettrait d’entamer
un processus concret favorisant ma réinsertion.
Malheureusement, vu mon régime de
détention, il m'est impossible de mettre en œuvre un tel plan,
étant données les restrictions extrêmes dont je fais l'objet
depuis bientôt 6 ans!
Aujourd'hui, je souhaiterais
sincèrement pouvoir aller de l’avant, tourner la page sur un passé
dont je ne suis vraiment pas fier et pouvoir me racheter auprès de
la société, en y intégrant une place de citoyen... La mienne !
Avec l'aide de ma sœur, qui a co-fondé
une association de lutte contre le décrochage scolaire et de
prévention de la délinquance. L’asbl DéClik dont je suis
également administrateur, j'espère pouvoir utiliser mon expérience
d'ex-délinquant à bon escient et pouvoir, ainsi, éviter à
d'autres jeunes de basculer dans la délinquance et toutes les
conséquences qui en découlent.
En vous remerciant très sincèrement
de l'intérêt que vous aurez porté à mon courrier et en espérant
que ce dernier vous aura convaincu de la nécessité de prendre des
dispositions positives et constructives afin de m’aider à sortir
de ce cauchemar interminable.
Je vous prie d'agréer mes salutations
respectueuses.
Nordin BENALLAL
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