jeudi 21 décembre 2017

« Ne faites pas la grève à Noël », une lettre ouverte des familles de détenus.

« … l’émotion ne s’embarrasse pas des amalgames … seule la raison, la pédagogie et la patience nous permettront de retrouver le chemin de la pensée raisonnable … »

Monsieur le Ministre de la Justice, Mesdames et Messieurs les Juges, Mesdames et Messieurs les Avocats, Mesdames et Messieurs les Représentants Syndicaux, Mesdames et Messieurs les Directeurs d’établissements pénitentiaires, Mesdames et Messieurs les Agents pénitentiaires, Mesdames, Messieurs,

Nous nous permettons de vous adresser ce courrier à 4 jours de l’expiration du préavis de grève déposé par les agents pénitentiaires, et à 4 jours d’une menace lourde de conséquences, à savoir un mouvement de grève qui impacterait les visites à la veille des fêtes de Noël et de fin d’année.

Nous sommes épouses, filles, mères, sœurs de détenus, et quoique certains pourraient penser, nous sommes d’abord et avant tout terriblement affectées par les souffrances engendrées par les faits commis par nos époux, pères, fils, frères. Et, par ce courrier, nous ne chercherons nullement à obtenir une quelconque pitié, voire compassion, en regard de notre situation.
Cependant, vivant chaque jour la peine de nos détenus, nous sommes en contact permanent avec le monde de la prison, son mode de fonctionnement. Et c’est de ce mode de fonctionnement dont nous voudrions vous parler car, si l’on s’arrête uniquement au discours larmoyant et alarmiste des agents, on fait fausse route. Et ça, nous ne pouvons plus le passer sous silence, cela a assez duré.
Pour rappel, en juin dernier, après de nombreuses semaines de grèves, un protocole d’accord a été signé entre le Ministre de la Justice et 4 des 6 organisations syndicales.

A notre niveau, nous avons vu des changements : de nouveaux agents ont été engagés, les horaires de certains d’entre eux ont été modifié en impactant plus précisément l’organisation des visites au sein des prisons. Nous les avons vus arborer fièrement leurs nouveaux uniformes.
Mais, petit à petit, nous avons constaté que les visites étaient de nouveau mises entre parenthèse car « il manquait de personnel ». Manque de personnel : voilà le problème récurent au sein des établissements pénitentiaires et, comme à chaque fois, ce sont les détenus et leurs familles qui doivent payer le prix fort : visites annulées alors que des dizaines de personnes sont dans le sas d’entrée, visites raccourcies alors que d’autres viennent après avoir travaillé et trouvent portes closes à leur arrivée, visites annulées la veille mais sans pouvoir (vouloir) prévenir les familles, ...

Que l’on cesse de se méprendre sur les raisons du « manque de personnel » en prison. A force de les fréquenter, de les découvrir parfois les unes après les autres, nous finissons par voir la réalité de la situation, cette réalité cachée par les syndicats, cette réalité couverte par les directions, cette réalité ignorée par le Ministre de la Justice, les Juges, les Avocats et les Citoyens qui pour la plupart d’entre eux, sont bien contents de savoir toutes ces personnes enfermées (à juste titre d’ailleurs), mais qui hélas, se voilent la face quant au fait que chacun des détenus actuellement entre quatre murs, sortiront, tôt ou tard, et ce, que nous le voulions ou non !

Alors, que chacun d’entre vous, chacun d’entre nous sache la réalité : les agents, pour un certain nombre d’entre eux, n’en n’ont que faire du métier qu’ils exercent. Ceux qui se plaignent d’être traités comme des porte-clés le sont à juste titre. Et, le temps passant, la confiance s’installant, ils se laissent aller à la confidence, ils libèrent cette parole qu’ils retiennent « face caméra ».

Ils sont absents non pas nécessairement parce qu’ils sont malades ou surmenés, ils s’absentent pour aller dans un parc d’attraction en famille, pour participer à une festivité locale, pour profiter de leur vendredi (ou leur mardi, cela dépend…), pour « travailler » ailleurs, ... Et, les nouveaux agents engagés commencent par les remplacer mais, voyant que les absences « illicites » passent « comme une lettre à la poste », ils se mettent rapidement au pas et eux aussi s’absentent, chaque jour un peu plus. Et lorsque nous nous présentons à la porte, les visites sont annulées.

Et lorsque celles-ci sont maintenues, nous subissons les foudres des quelques agents qui travaillent encore. Ceux-ci, vraisemblablement exténués par la surcharge réelle de travail et a juste titre, nous en font voir de toutes les couleurs lorsque l'humeur s'y prête. D'autres encore ont tout simplement les mains liées par des collègues menaçants. Le règlement en vigueur pour les visites peut alors changer de jour en jour, selon la « pause » qui travaille : un jour vous pouvez apporter du linge, le lendemain non ; un jour vous sonnez sous le portique alors que vous portez les mêmes vêtements que précédemment et que jamais, vous ne sonniez ; un jour vous devez enlever votre gilet et le lendemain, vous pouvez le garder ; mardi votre enfant peut prendre son doudou avec lui, mercredi, il ne peut plus,… Et nous restons dignes, polies, respectueuses, nous baissons la tête tel un enfant pris en flagrant délit d’une énorme bêtise… même faces aux injures et aux comportements désobligeants.
Selon les Règles pénitentiaires européennes, « les modalités des visites doivent permettre aux détenus de maintenir et de développer des relations familiales aussi normales que possible » (règle 24.4 RPE). Le 2e paragraphe de l’article 60 de la Loi de Principe stipule, quant à lui que : « Le chef d'établissement veille à ce que la visite puisse se dérouler dans des conditions qui préservent ou renforcent les liens avec le milieu affectif, en particulier lorsqu'il s'agit d'une visite de mineurs à leur parent. »

Ces textes sont des textes de lois et, dès  lors que nos hommes, pères, fils et frères ont enfreint la loi, ils ont été jugés, condamnés et enfermés. Et ils sont pris en charge par des personnes qui ne respectent pas la loi et ce en toute impunité. Cependant, le message qu’ils font passer est tout autre et ils savent pertinemment qu’un détenu et sa famille n’auront aucun poids, aucun impact sur les informations qui pourront être véhiculées. Pensez vous qu'un détenu puisse retenir quoi que ce soit d'une privation de liberté qui s'accompagne d'une privation de dignité ?
Sans doute vous demanderez-vous pourquoi cette lettre ne sera pas « signée » de façon précise ? Tout simplement parce que nous subissons des menaces dès lors où nous nous permettons de dénoncer les dysfonctionnements du système et de dénoncer ceux qui génèrent et couvrent ces dysfonctionnements.

Cependant, qui que vous soyez, n’oubliez pas que certains de ces « porte-clés » « s’occupent » des détenus, « préparent » avec eux leur réinsertion, sont sensés les remettre sur le bon chemin… Pour se faire, ne faudrait il pas d'autres exemples plus adéquats, dans un réel accompagnement ?
Un avocat général, lors d’un procès, disait au condamné : « Ne considérez pas la prison comme une fin en soi ; elle est pour vous un nouveau départ, elle va vous aider à grandir, à mûrir, à réintégrer la société ».
L'utilisation des grèves a outrance durant les périodes les plus sensibles pour les familles, doit cesser ! 
Comment voulez vous expliquer a un enfant qu’il ne verra pas son parent pour Noël, parce que la Tec fait grève… et que les agents choisissent de se tourner les pouces ce jour là ? Il n’est plus question de pouvoir mais de vouloir.

Comment voulez-vous changer lorsque vous êtes « pris en charge » par des personnes qui mentent et sont dans l’illégalité de par leurs absences illicites et protégées ? N'y aurait il pas une solution pour que nos réalités carcérales puissent se rencontrer dans le respect des lois et des Hommes ?


Des femmes, des mères, des filles, des sœurs de détenus.                                                20/12/2017

vendredi 15 décembre 2017

La Cour des comptes française demande de bannir les prisons en partenariat-public-privé (PPP). Et en Belgique ?

15 décembre 2017 Communiqué de presse HarenObservatory.net
Prisons en partenariat-public-privé : la mégaprison de Bruxelles est officiellement un projet ruineux ! La Cour des comptes française demande de bannir les prisons PPP.
Charles Michel veut les multiplier et refuse deux audits de la Cour des comptes belge

Ce 13 décembre 2017, la Cour des comptes française a remis un rapport accablant sur les Partenariats-Publics-Privés (PPP) dans la politique immobilière de la Justice. 
Les PPPs carcéraux sont principalement visés. 
Cette analyse vient appuyer les critiques sur la gestion calamiteuse du projet de mégaprison de Bruxelles/Haren, déjà présentés dans le document « genèse d'un crime »1.

La our des comptes française, photo Europe1
Tout y passe : les hypothèses initiales favorisant les PPP sont peu réalistes, le manque de transparence sur les coûts, l'absence de données chiffrées, la fausse complexité des projets qui sont dus à la technicité obscure des contrats PPP et pas aux projets de construction eux-mêmes, les surcoûts exorbitants lors des modifications de contrats ou travaux intercurrents, etc. 
Au final, les PPPs s’avèrent être plus chers et moins efficaces que les marchés classiques.
Du point de vue budgétaire, l’Etat a choisi des entreprises qui empruntaient à 6% des projets qu’il pouvait lui-même financer à 1,31%2. L’effet cumulé des différents contrats fait boule de neige, au point que : « Le ministère de la justice se trouve confronté à une équation budgétaire redoutable en matière immobilière en raison des défaillances de la programmation, de besoins à venir considérables et du risque d’impasse budgétaire. »3

C’est précisément ce que les opposants à la mégaprison de Bruxelles à Haren dénoncent depuis 7 ans, en se basant sur les rapports de la Cour des comptes belge. Le choix du financement PPP de ce qui se voulait être la plus grande prison du pays était injustifiable.

Dans son rapport du 21 décembre 2011, la Cour y relevait :
l’absence d’études préalables suffisantes concernant la décision de principe du gouvernement de choisir la formule du Partenariat Public-Privé (PPP), en particulier l’absence du test de la plus-value de ce choix par rapport à un financement classique,
et la difficulté d’évaluer les coûts liés à la future prison de Haren.

En 2015, dans ses commentaires relatifs au budget fédéral 2015, la même Cour des comptes de notre pays tirait à nouveau le signal d’alarme : « les crédits prévus pour payer les redevances DBFM (Design, Build, Finance and Maintain) des prisons de Marche, Beveren et Leuze et la redevance du CPL de Gand ne seront sans doute pas suffisants alors que ces établissements sont en sous-capacité, à l’heure actuelle”, “le coût réel de la prison de Haren reste inconnu, alors que les étapes déjà réalisées des Masterplans semblent ne pas pouvoir être financées entièrement ».

La Cour des comptes belge n’avait ni le recul ni les informations pour évaluer l’impact de ces PPPs sur l’usage correct des deniers publics. Elle tirait la sonnette d’alarme. La Cour des comptes française, observant l’expérience outre-Quiévrain, tire un bilan clair, net, précis : il faut bannir les PPP carcéraux.

En Belgique, l’opposition à la Chambre a déposé le 11 janvier 2016 une proposition de résolution demandant de confier à la Cour des comptes la réalisation de deux audits pour faire la clarté sur les PPPs carcéraux. Il s’agit du document 54K15684, qui est toujours pendant. A ce jour, le MR et la NVA ont refusé toute avancée sur ce sujet pourtant essentiel pour la Justice.
Vous avez dit, « goed bestuur », « bonne gestion », « transparence » ?

L’impasse budgétaire, sécuritaire, sociale et environnementale que constitue le projet de mégaprison peut toujours être évitée. Le rapport de la Cour des comptes française sur l’impact catastrophique des PPP carcéraux sur le budget de la Justice constitue un nouveau signal, qui ne peut pas être négligé.

Quelle est la situation en Belgique ? Quelle part les annuités de remboursements des contrats PPP vont-elles constituer dans le budget de la Justice déjà excessivement rachitique ? Le gouvernement Michel prévoit 8 nouveaux projets carcéraux en PPP, ce qui rend encore plus pressante la nécessité des audits demandés dans la proposition de résolution 54K1568.

Tout retard dans la réalisation de cette analyse, qui devrait être confiée à la Cour des comptes, pèsera sans nul doute sur la responsabilité des membres des gouvernements qui auraient décidé d’engager l’Etat dans des contrats complètement déséquilibrés. Faut-il que l'intérêt financier des multinationales aux pratiques douteuses Macquaries, Denys et PPP Infrastructure Investment, principales bénéficiaires du projet de PPP de la mégaprison de Bruxelles-Haren, passe avant l'intérêt public, celui de l'Etat comme des citoyens ? 
Le gouvernement Michel doit se prononcer, les preuves évidentes et factuelles des lacunes et problèmes rédhibitoires posés par les PPPs carcéraux étant désormais documentées.


Contacts :
Jean Baptiste Godinot – 0488 200 175
Laurent Moulin – 0499 030 901


Demandes établies dans la proposition de résolution 54K1568, déposée à la Chambre le 16 janvier 2016 :

A1. de réaliser un audit relatif, d’une part, à la pertinence du choix de la construction et de l’exploitation d’infrastructures pénitentiaires via un Partenariat Public-Privé, pour les établissements pénitentiaires de Termonde (pas encore construit), Beveren, Marcheen-Famenne, Leuze-en-Hainaut et Haren (pas encore construit) ou tout autre lieu et, d’autre part, à l’évaluation de la soutenabilité budgétaire de chaque projet de contrat de partenariat;

A2. de réaliser un audit relatif à l’ensemble des coûts réellement imputables aux différentes parties du budget de l’État et, le cas échéant, aux budgets des entités fédérées pour ces différents établissements pénitentiaires (qu’il s’agisse des coûts réels déjà observés, des coûts réels prévisibles, compte tenu des contrats conclus ou des coûts réels prévisibles, compte tenu de l’état des négociations en cours en ce qui concerne les contrats qui n’ont pas encore été conclus) et d’inclure, entre autres, dans ces coûts ceux qui se rapportent au prix d’acquisition des terrains, à la construction, à l’entretien, à l’exploitation et au fonctionnement, et ce pour toute la durée des contrats;

A3. d’indiquer et d’apprécier les critères et les modalités de désignation des partenaires privés;

A4. de publier ces rapports d’audit au cours du premier semestre 2016, qui seront ensuite débattus à la Chambre des représentants; ce débat parlementaire étant indispensable à l’exercice des missions constitutionnelles de la Chambre des représentants et notamment de ses devoirs de contrôle des budgets et des comptes de l’État.

1http://www.harenobservatory.net/megaprison-de-bruxelles-genese-d-un-crime

2http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/12/13/la-cour-des-comptes-critique-la-politique-immobiliere-du-ministere-de-la-justice_5229251_3224.html#hotKDAzP4MzTVVSc.99

3https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-12/20171213-synthese-immobilier-ministere-justice.pdf

4http://www.dekamer.be/FLWB/PDF/54/1568/54K1568001.pdf1

Email: info@1130haren.be
Blog: http://www.1130haren.be/

Facebook : 1130Haren

mardi 5 décembre 2017

La prison comme laboratoire de maladies : Tuberculose, norovirus dans une prison anglaise gérée par G4S (1600 détenus). Et en Belgique ?

(photo la prison de Oakwood)

Sur le rapport sur la santé des détenus belges voir l'article de Annick Lovine paru dans Lalibre en bas..

SOURCE


Inmates struck down by TB and Norovirus at Oakwood Prison
By Jessica Labhart | South Staffordshire | News | Published: Dec 4, 2017

Cases of TB and norovirus have been reported at a Midlands prison.
HMP Oakwood in Featherstone, near Wolverhampton
One inmate at HMP Oakwood, in Featherstone, is suffering from tuberculosis and ‘around 30’ have the sickness bug.
G4S, the security firm that runs the prison, confirmed the case of TB last week.

The diagnosed inmate was immediately sent to hospital for treatment of the condition which spreads through people inhaling tiny droplets from the coughs or sneezes of an infected person.
It mainly affects the lungs, but it can affect any part of the body, including the stomach, bones and nervous system.

Now, G4S has confirmed that as well as screening inmates for TB, staff are dealing with an outbreak of the sickness bug norovirus, which has already affected 30 prisoners.
The firm says it has isolated the affected inmates to try and halt the spread of the winter vomiting virus too.

The category C male prison has more than 1,600 inmates.

Deputy director for HMP Oakwood, Sean Oliver, said: “We have identified one case of tuberculosis and the prisoner affected has received treatment at hospital and since returned to prison.
“The health of our team and the prisoners in our custody is our priority and alongside our healthcare provider, Care UK, we are liaising with Public Health England and screening those who may have been in close contact with the person affected.”
Symptoms of TB, according to the NHS Choices website are: “a persistent cough that lasts more than three weeks and usually brings up phlegm, which may be bloody, weight loss, night sweats, a high temperature, tiredness and fatigue, loss of appetite and swellings in the neck.”

Tests to find out if someone has the illness include a chest X-ray, blood tests, and a skin test.
National advice on how to tackle the condition states: “Always cover your mouth when coughing, sneezing or laughing.
"Carefully dispose of any used tissues in a sealed plastic bag. Open windows when possible to ensure a good supply of fresh air in the areas where you spend time and avoid sleeping in the same room as other people.”

Speaking of the issue of norovirus at the prison, deputy director Oliver added: “Around 30 prisoners in one of our house blocks contracted Norovirus this week. We are working closely with the prison’s Care UK healthcare team to treat the men affected.
“In order to prevent the illness spreading further, those men who are unwell are being kept in isolation and separate from the rest of the prisoners we look after.”
Symptoms of Norovirus include sudden feelings of nausea, projectile vomiting and diarrhoea.

The news comes as last year, prisoners were taken to hospital after falling ill after taking so-called ‘legal highs’ while serving time at the prison.
Earlier this year, a report by the Independent Monitoring Board (IMB) stated the prison had an ‘ongoing issue’ with drones flying in mobile phones and drugs to inmates.
The Ministry of Defence declined to comment.

Read more at https://www.expressandstar.com/news/local-hubs/wolverhampton/2017/12/04/break-out-of-tb-at-hmp-oakwood/#DZcj3IpqZi81KKPZ.99

Les détenus belges sont en mauvaise santé

ANNICK HOVINE Publié le mercredi 18 octobre 2017

Une étude publiée mardi montre qu’ils consultent un médecin 24 fois par an en moyenne. Contre 3 pour le citoyen lambda.
La prison rend-elle malade ? Un détenu consulte un médecin… 24 fois par an en moyenne, dont 18 fois un généraliste et 3 fois un psychiatre. 
Même si on sait que les détenus s’adressent au médecin pour des raisons non médicales (demander un matelas, évoquer un conflit…), la comparaison avec le citoyen lambda est éloquente. Hors les murs, les adultes (âgés de 20 à 50 ans) se rendent en moyenne trois fois par an chez leur médecin de famille, selon l’enquête de l’Institut scientifique de santé publique (ISP) réalisée en 2013. Autre indication : à peine la moitié des personnes incarcérées (51,2 %) déclarent être en bonne santé, pour trois quarts de la population moyenne.

Ces quelques données sont extraites d’un rapport, rendu public mardi, par le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). Aujourd’hui, c’est le SPF Justice qui finance les soins, détermine le cadre de travail, les procédures et même les quotas d’heures de consultation ! Il existe une volonté politique de les transférer vers le SPF Santé publique. Le Centre fédéral d’expertise a été chargé de faire une analyse critique de l’organisation des soins de santé dans les prisons belges et de proposer des scénarios pour le futur (lire ci-contre).

Où est le psychiatre ?

Six équipes de 30 chercheurs ont ainsi pris le pouls des détenus dans les 35 prisons du pays entre avril 2015 et avril 2016. Leur diagnostic est sombre : bon nombre de prisonniers sont en mauvaise santé, souffrant de troubles psychiques, de maladies infectieuses (tuberculose, HIV…) et d’assuétudes.
Ceux qui sont restés en prison au cours de toute la période ont quasi tous (94 %) reçu au moins une prescription médicale, précise l’étude. Pour quels maux ? Les problèmes de santé mentale arrivent en premier : 43 % des prescriptions concernaient des antidépresseurs et des anxiolytiques. On constate pourtant "une quasi absence de contacts avec un psychiatre" dans certaines prisons, disent les chercheurs. Une observation confirmée au cours des entrevues avec les médecins durant leurs visites.

Conflits de loyauté

En principe, les détenus ont droit à des soins de qualité équivalents à ceux qui sont prodigués à l’extérieur par des prestataires de soins indépendants. On en est loin. Pas question de mettre en cause les personnels de santé qui, "avec les moyens du bord", assurent un travail qui mérite considération et respect. Ce sont plutôt les conditions dans lesquelles ils doivent exercer qui posent problème et génèrent des conflits de loyauté. Exemple ? Les médecins des prisons sont impliqués dans les procédures disciplinaires. La direction doit demander l’avis préalable d’un médecin, qui est parfois… le médecin traitant de l’intéressé, avant une mise en isolement.
Les détenus doivent demander une consultation chez le médecin via un formulaire à remettre à un agent pénitentiaire. Où est la confidentialité ? Pour les urgences, il n’existe pas de système de garde uniformes; le "check-up" d’entrée n’est pas assez approfondi; il n’existe pas de dépistage systématique des maladies infectieuses; la distribution des médicaments ne respecte pas toujours les horaires d’administration ni le dosage par prise…
Le rapport pointe encore l’insuffisance de gestion centralisée des soins, la pénurie de prestataires et les retards de paiement des médecins - ceci expliquant d’ailleurs sans doute cela.

La réforme ne sera pas simple

Il faudra beaucoup d’énergie et des ressources supplémentaires pour hisser la Belgique "hors de la zone d’infamie" des statistiques internationales, pointent Raf Mertens et Christian Léonard, directeur général et directeur général adjoint du Centre fédéral d’expertise des soins de santé. "Ce ne sera pas une réforme facile : la culture pénitentiaire n’est pas nécessairement compatible avec celle des soins", pronostiquent-ils.
D’autant que le transfert des soins de santé pénitentiaires de la Justice à la Santé publique ne sera pas budgétairement indolore. Si le KCE n’a pas trouvé de données précises concernant le coût d’une telle opération dans les pays qui ont déjà procédé au basculement, les dépenses de soins de santé aux détenus y ont augmenté… de 20 à 40 %. De quoi faire vaciller la volonté politique ?

Huit fois plus de suicides en prison

Pour la réforme des soins de première ligne, le KCE a retenu deux scénarios. Un : le maintien du système actuel, mais sous l’égide du ministre de la Santé publique. Deux : un système, également sous la tutelle de la Santé publique, où les prestataires de soins (généralistes, infirmiers, psychologues, psychiatres, kinés, dentistes…) fonctionneraient dans une dynamique interdisciplinaire, sous la coordination du généraliste. Une majorité des intervenants marque leur préférence pour ce second scénario.
La balle est désormais dans le camp des décideurs. Si la politique pénitentiaire relève toujours du fédéral, l’offre de services aux détenus a été transférée aux entités fédérées par la sixième réforme de l’Etat. C’est dans ce cadre que le ministre des Maisons de Justice, Rachid Madrane (PS), a initié lundi une Conférence interministérielle sur l’aide derrière les barreaux. "Les détenus sont des citoyens à part entière", rappelait-il à l’issue de cette rencontre. Le plan d’action mis au point par les 13 (!) ministres francophones concernés inclut notamment la prévention de maladies infectieuses (comme le sida) et la santé mentale. Indispensable quand on sait que le taux de suicide est huit fois plus élevé en prison qu’à l’extérieur.
Annick Hovine