samedi 31 octobre 2020

Mon carnet de libération conditionnelle, par Marcus

 

Je me souviens très bien de ma première demande de conditionnelle. 

Elle se situe dans les années quatre-vingt et n'a plus rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd'hui, sauf évidemment pour la longueur de la procédure. A cette époque, avant d'introduire cette requête, il fallait au préalable, passer par les congés pénitentiaires. 

Avec mon caractère trempé et l'absence de famille où me rendre, je crus bon de signaler que je ne regrettais rien de mes délits, sinon je ne les aurais pas commis. Que donc, si on me donnait un congé, je ne reviendrais pas ! Mais que j'étais preneur pour une conditionnelle ! L'art de se mettre dans le pétrin. Les mois puis les années s'écoulèrent sans que rien ne bougea. 

Je pris donc la décision de mentir pour sortir de ce trou pourri qu'était la prison de Tournai. 

On m'octroya un congé et évidemment, je pris la tangente en allant passer des vacances aux Canaries. Quelques semaines plus tard ; retour à la case départ ! Cette prison était à l'époque considérée comme le dépotoir de la Belgique, on y mettait tous les " gros problèmes " des autres prisons, les conditionnelles se faisant rares il arriva ce qu'il devait arriver " une mutinerie ". On a tout fait péter, mis le feu, jeter tout par-dessus les galeries, les seaux de merdes suivirent le même chemin puis, nous sommes allés sur les toits de la prison ! Quelle nuit euphorique nous avons  vécu, quelle délivrance aussi ! A l'aube, la brigade spéciale d'intervention débarque, les meneurs sont immédiatement transférés, on me renvoie à Lantin, la prison qui ne voulait plus de ma présence suite à une tentative d'évasion.

Les semaines passent, je n'ai plus rien à attendre sauf que l'assistante sociale m'appelle. " C'est la procédure " me dit-elle.  Je la regarde en train de compulser mon dossier tout en buvant sa tasse de café. Elle finit par me demander si j'ai quelqu'un qui serait prêt à m'engager si j'étais libéré ? " Pour lui répondre, il faudrait d'abord savoir " quand je serais libéré ? " . La veille de mon passage devant " la commission ", on me signale que l'on ne retrouve plus mon dossier !! Deux mois se passent, sans doute plus, la bonne femme me rappelle et me demande si j'ai d'autres perspectives d'avenir ?  Je lui répond que j'ai un frère qui est directeur à l'académie des beaux-arts, que celui pourrait se rendre répondant. La comédie a assez duré. Elle ne me croit pas, se met à rire et décroche le téléphone et joint l'intéressé qui lui dit ne pas me connaître. Elle raccroche et jubile car elle croit qu'elle a raison, termine à retranscrire ces éléments dans le dossier ; je suis remis aux calendriers Grecques alors qu'il n'y a pas une goutte de sang sur mes mains. " Comment les autres parviennent-ils à obtenir une condi alors ? "

Il me reste six mois à faire sur une peine de sept ans. Leur conditionnelle, ils peuvent se la carrer, je vais à fond de peine. Eh bien non ! Une circulaire oblige les moins de six mois à prendre une conditionnelle immédiatement ! On me fout dehors tout en m'obligeant à me rendre tous les mois pendant quatre ans au commissariat du quartier et ensuite chez l'assistante de probation. J'accepte évidemment ce marché.  Il faudrait être fou pour refuser. Je pense que j'aurais pris ces mêmes conditions pour huit jours, pour ne plus rester huit jours dans cet univers sordide. Ne jugez pas, il faut y passer pour savoir. Le pire allait arriver. A part les agences intérim, pour nettoyer les fours ou charger les camions, il y a très peu de bras ouverts dans l'industrie. Mon assistante de probation, voyant que je n'ai pas de travail régulier, me menace de retour à la case prison. La tension est telle que je finis par lui dire qu'elle peut me révoquer et elle me fixe un rendez-vous devant la commission, à la prison de Lantin.  Sachant que j'allais être révoqué je prends quelques affaires. Devant la commission, je parle des difficultés à trouver un emplois stable à notre époque, quand à prendre une formation en langues étrangères demandée par mon assistante de probation, cela m'est impossible car il faut pour moi, être bien dans sa tête ou avoir une famille. Ce  sont les arguments que j'expose en sachant que je parle à un mur, que toute bataille est inutile, parce que je les connais ces juges, en fait, je ne connais qu'eux. Tu sais quoi Luk, ils m'ont LIBERÉ !!!  Sur la photo, la photocopie de mon carnet de conditionnelle avec les cachets du commissariat et les attestations de passage chez l'assistante de probation.


 


Réflexions sur un gâchis 

En réfléchissant un peu sur ce texte , on se rend vite compte que l'on se trouve devant l'absurdité de l'administration. Dans un premier temps, on me refuse à cette commission parce que je dois  obligatoirement passer par des congés. Pour prendre ces congés , c'est facile lorsqu'il y a la famille ou de l'argent. Avec le nombre d'années effectuées , je t'affirme que neuf détenus sur dix n'ont pas cinquante euros pour prendre ce congé. Voir venir l'incitation au délit n'est pas du domaine du visionnaire mais un fait inéluctable, au grand dam de ces fonctionnaires moralisateurs ! 

Nous venons ensuite à cette fameuse conditionnelle où l'assistante te demande un certificat d'embauche alors qu'il n'y a pas de date de sortie. L'administration te répondra que les congés ont été créés pour cela. Comme si l'employeur t'attendait depuis toujours ! 

Tu as ensuite remarqué qu'à quelques mois de ta libération, cette administration se rend compte que si elle ne fait rien, tu leur échappes et, en quelques jours, voire quelques heures elle trouve des solutions. 

Dernier élément, l'assistante de probation qui doit fournir des résultats ou du moins justifier sa présence et son salaire, je regrette de revenir à mon cas mais, je te pose la question: " Est-il possible d'apprendre une langue et de suivre un cours de langue alors que l'on se trouve sans travail, sans famille, chez des amis qui vous ont tendu la main ? " Je t'ai écrit que, lors de la révocation, la commission avait remanié mes obligations, ce que je n'ai pas abordé, c'est que cela c'est déroulé des années après cette sortie et toutes ces contraintes pour une peine de sept mois sur sept ans ! 

Aujourd'hui , tu sais ce que je fais. Je ne pense pas un seul instant que toute cette administration m'a amené à cette place. Je suis cependant certain qu'elle aurait pu le faire si elle s'était prise tout autrement, avec un peu d'humanité. C'est là, qu'il doit y avoir du changement, tu le sais. J'arrête car je m'énerve devant tout ce gâchis et ces années perdues. 


dimanche 25 octobre 2020

"Garde à vue", par Marcus

 Vous vous souvenez sans doute de la prise d'otages de Tilff dans les années 1989, selon Wikipedia  "La prise d'otages de Tilff est une des plus spectaculaires affaires judiciaires belges du XX siècle" ? 

Pendant cette prise d'otages, j'étais emprisonné et un beau jour, la gendarmerie débarque à Lantin. Motif ; on vient me chercher sur ordre du procureur du Roi (Léon Giet) pour convaincre Philippe et consort d'en finir avec cette prise d'otage !  


Je n'ai évidemment aucune compétence en ce domaine et , malgré les menaces , renvois mes pandores à leurs fonctions . J'ai en mémoire  leur avoir signifié qu'ils auraient quelques difficultés à me tenir les bras et les jambes devant les dizaines de caméras plantées sur le site ! " On t'aura " m'ont-ils dit pour toute conclusion . Et c'est vrai, ils m'ont eu. Je dois avoir à cette époque écopé une peine de trois ans pour le recel de Philippe après son évasion . 

Dix ans plus tard, ces mêmes pandores reviennent ; un évadé de la prison de Jamioulx sème le trouble dans tout le pays, les braquages se multiplient, pendant des semaines puis des mois, son visage fait la une de la presse puis au journal télévisé. Je n'ai évidemment rien à voir ni à dire sur cet homme. Les interrogatoires se suivent tout comme les menaces, c'est devenu une habitude en cet endroit. Ce que mes pandores oublient, c'est que je suis né en prison, ce que mes pandores ignorent, c'est la force de caractère que j'ai accumulé tout au long de ces années de solitude. Par contre, ce qu'ils savent, c'est que je les emmerde. Je suis donc conduit au cachot en attente du passage chez le juge d'instruction. Il n'y a rien d'anormal dans tout cela me diras-tu.  

Le lendemain matin, après la tartine de confiture et le gobelet de café, les interrogatoires reprennent puis, dans l'après-midi on me conduit à Eupen au palais de justice. Devant la chambre du juge se trouve une salle garnie de bancs. Les gendarmes me disent qu'ils vont d'abord rencontrer le juge et que dans cette attente ils sont obligés de m'attacher à un anneau devant son bureau. Ils entrent dans ce bureau me laissant seul au clou, sans doute pour réfléchir au sort qui m'attend, le temps passe. Je suis assis sur ce banc dans une position inconfortable puisque je suis attaché.  Mon bras s'ankylose et je finis par peser de tout mon poids sur cet anneau qui cède. Merde ! me voilà avec une infraction en plus ! Et si je prenais la tangente pour leur apprendre, après tout ce qu'ils m'ont fait subir ? Il se fait tard, j'aurais vite disparu dans cette nuit noire.  Je descends l'escalier, sors du porche et me retrouve dans la rue. " Je suis libre, je suis libre ". Il faut être dans cette situation pour connaître la valeur de ce mot  LIBRE . A peine avoir fait quelques pas dans cette rue  et par reflex de survie sans doute, je tâte les portières des voitures et, à la troisième, la porte s'ouvre, "C'est mon  jour ". Bingo, les clés sont sur le tableau de bord, j'exulte, c'est incroyable, quelle baraka ! Et puis je réfléchis enfin ; tout cela est anormal, seul dans la salle des pas perdus, l'anneau, la voiture et maintenant les clés. Je prends peur, oui j'ai peur . Qu'est-ce que ces flics m'ont fait comme travail, que va-t-il m'arriver ? Je les imagine en nombre caché derrière les voitures ou m'attendant sûrement plus loin.


 Il n'y a qu'une solution à prendre en pareil cas, c'est de revenir au point de départ, à la salle des pas perdu, devant chez le juge et au plus vite pour pouvoir à nouveau maitriser mon destin. Je retourne et vais me rassoir sur ce banc en m'imaginant ce qu'aurait été cette cavale improvisée et du pourquoi de cette mise en scène. Avec le retrait, on comprend le pourquoi, sur le moment, c'est autre chose. Après quelques minutes, la porte s'ouvre, on me fait passer devant madame la juge qui  comme si de rien était me menace aussi si je ne suis coopérant. Devant mon mutisme elle se sent forcée de passer aux actes et rédige le mandat d'arrêt sous ma désapprobation évidemment. 
Conduit à la prison de Verviers, j'y passe un mois lorsque me vint l'idée de contacter la DH pour parler de l'arbitraire dont je me sentais victime. J'ai téléphoné à ce journal à 11 heures du matin. C'est le seul coup de fil que j'ai donné pendant ce séjour. A treize heure quarante-cinq , la porte s'ouvre , le gardien lance la phrase " Monsieur Sluse, préparez vos affaires , vous êtes LIBERÉ ".


lundi 19 octobre 2020

Le vendredi 27 mars 2020, un incident s’est produit à la prison de Lantin, par Marcus



Le message de Belga : « Le front commun syndical des gardiens de la prison de Lantin (Juprelle) a déposé, ce vendredi soir, un préavis de grève à la suite des incidents qui se sont déroulés à la prison dans la soirée. Trois membres du personnel pénitentiaire ont été transportés en ambulance vendredi en fin de journée, après avoir été molestés par plusieurs détenus. Ils ont pu quitter l’hôpital dans la soirée. De vendredi 22 heures à samedi 22 heures, la prison tournera donc avec un service minimum. Vendredi, à la sortie du préau, plusieurs détenus ont tenté d’escalader un mur. L’un d’eux est tombé et s’est blessé. Lorsque les membres du personnel pénitentiaire sont venus lui porter secours, plusieurs détenus s’en sont pris à eux et les ont molestés. Trois de ces agents ont été transportés en ambulance à l’hôpital, a expliqué le délégué syndical. Ils ont pu rentrer chez eux dans la soirée. Six autres détenus se sont retranchés sur le toit de la prison. À 19h30, les détenus étaient toujours présents sur le toit. Un renfort policier était attendu sur place. Avec l’épidémie de Coronavirus, la prison de Lantin, comme d’autres, fait face à une tension grandissante ces derniers jours. Les détenus sont confinés 23 heures sur 24 en cellule, les visites ont été supprimées ainsi que toutes activités proposées au sein de la prison ».

Pour l'administration pénitentiaire, il s'agit d'une mutinerie. 

Je sais qu'à cet endroit, c'est la seule solution pour rester en vie, pour ne pas crever comme des rats. Ce qui va se passer maintenant nul ne le sait ! Ayant vécu pareil cas, je me souviens d'avoir été mis dans un des cachots se trouvant au sous-sol de la tour pour une période de neuf jours, ensuite une peine de trois mois au huitième étage de cette tour pour ensuite être transféré dans une autre prison au fin fond de la Belgique (Tournai).

 L'administration pénitentiaire est débordante d'idées pour les sanctions ! Toute cette mise en scène était effectuée à mon insu, sans avocat, sans PV, sur ordre d'un seul homme au mépris des lois qui régissent notre pays. Je pense que les cachots sous la tour n'existent plus, car cette même tour se serait enfoncée dans le sol. Je ne vous ai pas décrit ces cachots, tout comme je ne vous ai pas expliqué comment se déroulait la mise en scène. Si je ne l'ai pas fait, c'est parce que je sais que des enfants lisent mes commentaires. Il est trop tôt pour certains de connaître ce côté sordide de l'être humain. Dans un article du Soir, je raconte y avoir un jour découvert le bonheur dans ce sous-sol de la prison de Lantin. Vous n'allez évidemment pas le croire parce que dans ce contexte" absolu ", il est impossible d'y trouver de l'Humanité. Si vous tenez à revivre cet instant unique, l'article se trouve dans Le Soir du 10 octobre 2003. A lire ICI

Mes écrits m'amènent à penser que je sombre dans le péché d'orgueil. Que vous soyez d'accord ou pas, sachez qu'un jour tous ces murs de prison finiront par tomber, c'est une certitude. Des sceptiques vous diront qu'il est impossible de vivre sans prison ! A ceux-là je répondrai qu'avant 1844 , elles n'existaient pas sur notre territoire ! 

A+ Marcus

Un article dans Le Soir du 10 octobre 2003 : 






samedi 3 octobre 2020

Zoom sur "Face au juge": l'émission qui cartonne sur RTL, par Marcus


(photo RTL play) Durant six semaines, chaque dimanche, Julie Denayer s'est invitée sur nos petits écrans pour nous présenter la troisième saison de "Face au juge" sur RTL, nous plongeant au coeur des tribunaux de Bruxelles, Charleroi et Visé. Cette nouvelle saison, qui s'est terminée dimanche dernier, a battu tous les records ..

L'émission que vous animiez  est maintenant bien loin, ce qui me permet ce soir de donner mon avis .

Je ne vous cacherai pas que souvent, je me sentais mal à l'aise au vu des protagonistes mis sur la sellette . Mal à l'aise, par l'inculture qu'ils affichaient face aux juges érudits appelés à les condamner. Le spectacle était omniprésent, l'affaire était dans la boîte ou plutôt emprisonné, le public peut maintenant dormir sur ses deux oreilles.  

Je suppose, compte tenu du succès, qu'on recommencera l'année prochaine !

Je pense qu'avant d'être présentatrice, vous êtes avant tout une journaliste et je me dis que ce petit bout de femme va aller plus loin, beaucoup plus loin pour voir les choses enfin changées. 

Je me dois de vous dire que j'ai fait plus de vingt ans de prison, mes délits n'intéresseront personne et ce n'est donc pas le sujet. 

Non, le sujet, se sont les personnages que j'y ai rencontrés; je me souviens du patron d'Interagri, du directeur de la SMAP, des deux patrons du recyclage d'Herstal, du patron des thermes de Chaudfontaine ... La liste est évidemment très, très longue. Ces personnages n'ont fait que quelques mois, voire quelques jours de prison. Il y en eut d'autres, beaucoup plus nombreux, qui, grâce à des procédures et de bon avocats évitèrent ce passage. 

A côté de chez moi vivait une personne qui détourna plus d'un milliard aux handicapés. Vivait, car aujourd'hui parti, laissant à ses héritiers les sommes colossales détournées. Dans les gros œuvres on n'oubliera pas le milliardaire qui dévalisa la sidérurgie Wallonne et qui fit des ravages jusqu'en Amazonie, également parti vers l'enfer j'espère. 

Vous avez développé la partie de l'iceberg ou siégeaient les pingouins et les otaries ; les ours auraient-ils droit au repos éternel ? Serait-il possible pour vous de demander aux juges que vous avez rencontrés, les motivations qui les poussent vers ces hommes perdus et souvent incultes plutôt qu'à ces monstres adulés de notre société ? 

Sur le site " écrire à Christophe Barratier " se trouve une nouvelle qui s'intitule " Le monstre de la cathédrale ". Il y a d'autres nouvelles que je vous invite à lire sur ce site car, on est ardemment occupé à construire de nouvelles prisons , " qui ira " ne fait pas de doute  . 

Avec abnégation je vais devoir continuer à témoigner dans vos écoles et vos universités, des congrès, je sais qu'un jour les choses changeront . 

A+ Marcus