dimanche 25 octobre 2020

"Garde à vue", par Marcus

 Vous vous souvenez sans doute de la prise d'otages de Tilff dans les années 1989, selon Wikipedia  "La prise d'otages de Tilff est une des plus spectaculaires affaires judiciaires belges du XX siècle" ? 

Pendant cette prise d'otages, j'étais emprisonné et un beau jour, la gendarmerie débarque à Lantin. Motif ; on vient me chercher sur ordre du procureur du Roi (Léon Giet) pour convaincre Philippe et consort d'en finir avec cette prise d'otage !  


Je n'ai évidemment aucune compétence en ce domaine et , malgré les menaces , renvois mes pandores à leurs fonctions . J'ai en mémoire  leur avoir signifié qu'ils auraient quelques difficultés à me tenir les bras et les jambes devant les dizaines de caméras plantées sur le site ! " On t'aura " m'ont-ils dit pour toute conclusion . Et c'est vrai, ils m'ont eu. Je dois avoir à cette époque écopé une peine de trois ans pour le recel de Philippe après son évasion . 

Dix ans plus tard, ces mêmes pandores reviennent ; un évadé de la prison de Jamioulx sème le trouble dans tout le pays, les braquages se multiplient, pendant des semaines puis des mois, son visage fait la une de la presse puis au journal télévisé. Je n'ai évidemment rien à voir ni à dire sur cet homme. Les interrogatoires se suivent tout comme les menaces, c'est devenu une habitude en cet endroit. Ce que mes pandores oublient, c'est que je suis né en prison, ce que mes pandores ignorent, c'est la force de caractère que j'ai accumulé tout au long de ces années de solitude. Par contre, ce qu'ils savent, c'est que je les emmerde. Je suis donc conduit au cachot en attente du passage chez le juge d'instruction. Il n'y a rien d'anormal dans tout cela me diras-tu.  

Le lendemain matin, après la tartine de confiture et le gobelet de café, les interrogatoires reprennent puis, dans l'après-midi on me conduit à Eupen au palais de justice. Devant la chambre du juge se trouve une salle garnie de bancs. Les gendarmes me disent qu'ils vont d'abord rencontrer le juge et que dans cette attente ils sont obligés de m'attacher à un anneau devant son bureau. Ils entrent dans ce bureau me laissant seul au clou, sans doute pour réfléchir au sort qui m'attend, le temps passe. Je suis assis sur ce banc dans une position inconfortable puisque je suis attaché.  Mon bras s'ankylose et je finis par peser de tout mon poids sur cet anneau qui cède. Merde ! me voilà avec une infraction en plus ! Et si je prenais la tangente pour leur apprendre, après tout ce qu'ils m'ont fait subir ? Il se fait tard, j'aurais vite disparu dans cette nuit noire.  Je descends l'escalier, sors du porche et me retrouve dans la rue. " Je suis libre, je suis libre ". Il faut être dans cette situation pour connaître la valeur de ce mot  LIBRE . A peine avoir fait quelques pas dans cette rue  et par reflex de survie sans doute, je tâte les portières des voitures et, à la troisième, la porte s'ouvre, "C'est mon  jour ". Bingo, les clés sont sur le tableau de bord, j'exulte, c'est incroyable, quelle baraka ! Et puis je réfléchis enfin ; tout cela est anormal, seul dans la salle des pas perdus, l'anneau, la voiture et maintenant les clés. Je prends peur, oui j'ai peur . Qu'est-ce que ces flics m'ont fait comme travail, que va-t-il m'arriver ? Je les imagine en nombre caché derrière les voitures ou m'attendant sûrement plus loin.


 Il n'y a qu'une solution à prendre en pareil cas, c'est de revenir au point de départ, à la salle des pas perdu, devant chez le juge et au plus vite pour pouvoir à nouveau maitriser mon destin. Je retourne et vais me rassoir sur ce banc en m'imaginant ce qu'aurait été cette cavale improvisée et du pourquoi de cette mise en scène. Avec le retrait, on comprend le pourquoi, sur le moment, c'est autre chose. Après quelques minutes, la porte s'ouvre, on me fait passer devant madame la juge qui  comme si de rien était me menace aussi si je ne suis coopérant. Devant mon mutisme elle se sent forcée de passer aux actes et rédige le mandat d'arrêt sous ma désapprobation évidemment. 
Conduit à la prison de Verviers, j'y passe un mois lorsque me vint l'idée de contacter la DH pour parler de l'arbitraire dont je me sentais victime. J'ai téléphoné à ce journal à 11 heures du matin. C'est le seul coup de fil que j'ai donné pendant ce séjour. A treize heure quarante-cinq , la porte s'ouvre , le gardien lance la phrase " Monsieur Sluse, préparez vos affaires , vous êtes LIBERÉ ".


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