Une
interview par Luk Vervaet
« Je
me sens mal. Depuis jeudi, Nizar est dans une prison à Washington. A
l'autre bout du monde. Je n'étais pas préparé à une chose
pareille. Je n'ai pas pu lui dire au revoir. Ils me l'ont arraché.
Ils se sont comportés comme des voyous.
Je
l'ai vu pour la dernière fois, mercredi, lors de la visite à
Bruges, pendant deux heures. La visite s'est terminée à 19.45 h.
Quelques heures après seulement ils allaient le mettre dans un avion
américain qui partait de l'aéroport militaire de Melsbroek. Ils
l'on fait en secret. Ils ont pu le faire sortir de sa cellule en lui
disant qu'il allait être transféré à la prison d'Ittre. Il a dû
croire qu'on allait enfin pouvoir se marier devant la loi, comme
c'était prévu par la commune d'Ittre. Après son transfert vers la
prison de Bruges, la commune avait prévu le mariage pour le 7
octobre.
Nizar
était fatigué, toujours rongé par l'inquiétude, par cette lutte
sans fin pour obtenir quoique ce soit.
Deux
de mes enfants l'ont encore vu le samedi passé pendant la visite de
3.15 à 5.15h. C'était une belle visite, plein de joie. On avait
obtenu cette visite à ces heures-là par un arrangement avec la
direction en sa faveur. Mais par la suite, la direction a changé.
Elle a remis l'horaire de la visite pour les enfants pour le samedi
suivant de nouveau de 19 heures à 20 heures. Nizar avait demandé à
la direction pourquoi elle avait fait ce changement. Il avait aussi
demandé les résultats de son rapport psychiatrique. Il avait
demandé s'il y avait déjà une réponse sur sa nouvelle demande
d'asile en Belgique. Mais à aucune de ses questions il n'y a eu une
réponse. Les gardiens avaient apparemment reçu l'ordre de ne plus
lui parler.
Quand
mes enfants ont appris la nouvelle de son extradition, il ont pleuré.
Ils m'ont dit : on ne pourra plus jamais le revoir. Ma fille a
dit : on va économiser pour payer le voyage pour le faire
revenir.
C'est
par une journaliste que j'ai appris la nouvelle de son extradition.
Les médias étaient au courant avant nous. Avant ses propres
avocats. Ils ne m'ont pas mise au courant. Pour empêcher sa
libération, là, ils citent mon nom. Mais quand il s'agit de son
extradition , c'est comme si je n'existe pas. Dès que l'avocat
a appris la nouvelle, il a saisi le tribunal et introduit un recours.
La Cour a dit qu'ils ne pouvaient pas l'extrader, mais il était déjà
dans l'avion.
Je
ne me suis jamais attendue à ce qui c'est passé. J'attendais le
jugement de la Cour européenne. Je savais que ça pourrait être
négatif. Mais au moins je m'y étais psychologiquement préparée.
Pour lui dire adieu. Ce qui s'est passé est un comportement de
voyou, indigne d'un état de droit.
C'est
comme si l'affaire Trabelsi a provoqué une crise au sein du
gouvernement.
D'abord
il y a eu le mariage qu'ils ont voulu empêcher coûte que coûte.
Ils étaient en train de perdre, parce qu'ils n'ont pas le droit
d'interdire un mariage. Puis, il y a eu le jugement de la Cour
européenne dans l'affaire Vinter, qui stipule qu'un enfermement à
vie sans aucune perspective de sortie est contraire à la Convention
des droits de l'homme. C'était un jugement qui était applicable à
Nizar, parce que les Américains avaient dit que Nizar pourrait être
condamné à la perpétuité sans plus jamais avoir le droit de
sortir. Et enfin, il y avait la décision de la Cour européenne qui
allait arriver bientôt et pourrait être positive. C'est pour tout
ça qu'ils l'ont extradé et transgressé la loi.
Le
lundi avant son extradition, j'étais au tribunal en référé où
l'avocat de l’État belge a dit qu'il ne s'opposait pas au mariage.
Il disait que Nizar avait été transféré de la prison de Ittre à
Bruges pour des raisons de sécurité, pas pour empêcher le mariage.
Et ces raisons étaient secrètes. Ensuite il a suggéré que j'étais
encore plus dangereuse que Nizar. C'est la théorie du grand complot
terroriste. Si tout ça n'était pas aussi dramatique, je pourrais en
rire. Je ne suis cité dans aucun procès, je toujours respecté la
loi, je n''ai rien à cacher. Il n'y a aucune inculpation contre moi.
Il dit ça juste pour me salir. Pour me mettre une étiquette. Je
n'ai jamais rencontré Malika Al Aroud, ce n'est pas elle qui m'a
présenté Nizar, comme le prétend l'avocat de l’État belge. Je
ne l'ai jamais contactée ou téléphonée. Tout ce que j'ai fait
c'est verser un peu d'argent sur son compte en prison pour qu'elle
puisse s'acheter quelque chose à la cantine. C'était un geste
humanitaire. C'est légal. Mais des choses légales sont devenues
criminelles. Comme tomber amoureux et vouloir se marier est devenu un
acte criminel. En lançant cette accusation contre moi, c'est comme
si l’État voulait nous faire doublement mal. Avant il y avait
Dutroux comme ennemi public numéro 1, maintenant c'est Nizar
Trabelsi, qui a passé 12 ans de prison en Belgique et qui a fait sa
peine jusqu'au bout. »
Adresse
Nizar
Trabelsi
D.C.D.C.
#339-147
1901
D Street, S.E.
Washington,
D.C. 20003