vendredi 29 novembre 2013

Zakia Khattabi (ecolo) dénonce l'extradition illégale de Nizar Trabelsi (20 novembre 2013)


Zakia Khattabi (Ecolo) interpelle la ministre Turtelboom sur l'extradition illégale de Nizar Trabelsi. 
Réaction du président de la commission justice au Sénat, Alain Courtois (MR) : « Madame, accueillez Trabelsi chez vous ». Réaction de la ministre : " Le gouvernement a estimé que le non-respect de la mesure provisoire de la Cour était justifié en vue de l’obligation conventionnelle d’extrader, d’une part, et des considérations précieuses sur le plan de la sécurité publique, d’autre part."
 Texte intégral.
Demande d’explications de Mme Zakia Khattabi à la ministre de la Justice sur «le non-respect d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Trabelsi» (no 5 4063)
Mme Zakia Khattabi (Ecolo). – Le 6 décembre 2011, la vice-présidente de la section de la Cour européenne des droits de l’homme chargée de l’affaire Trabelsi a décidé d’indiquer au gouvernement belge, en application de l’article 39 du règlement de la Cour, de ne pas extrader le requérant, Monsieur Trabelsi, vers les États-Unis et ce, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant la Cour. La Cour estimait, sur la base de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qu’il y avait « un risque grave et difficilement réparable pour le condamné de subir un traitement inhumain et dégradant » en cas d’extradition vers les États-Unis.
Or, ce jeudi 3 octobre 2013, après que le Conseil des ministres a confirmé l’ordre d’extradition de M. Trabelsi, ce dernier, convaincu d’être transféré vers la prison d’Ittre, aurait été placé à bord d’un appareil américain, ou affrété par les autorités américaines, qui a décollé immédiatement en direction des États-Unis. Ce n’est que deux heures plus tard, madame la ministre, que vous avez fait une déclaration publique annonçant l’extradition, dans le cadre de laquelle vous avez soutenu que tous les recours avaient été épuisés et que la Belgique avait obtenu les garanties suffisantes de la part des États-Unis, vous référant aux trois conditions posées par la chambre des mises en accusation de Bruxelles dans son arrêt du 10 juin 2010.
Cet arrêt est justement toujours contesté devant la Cour européenne des droits de l’homme qui n’a pas encore rendu sa décision. C’est donc en violation de l’article 34 de la Convention et de la mesure provisoire prise le 6 décembre 2011 sur la base de l’article 39 du règlement de la Cour, que la Belgique a procédé à cette extradition. Cette situation est d’autant plus inacceptable que la Cour a rappelé à plusieurs reprises qu’elle maintenait la mesure provisoire durant le traitement du recours et qu’elle a pris la peine, dès le 6 décembre 2011, d’aviser le ministère belge de la Justice de ce que « lorsqu’un État contractant ne se conforme pas à une mesure indiquée au titre de l’article 39 du Règlement, cela peut entraîner une violation de l’article 34 de la Convention ».
C’est dès lors de manière délibérée et en parfaite connaissance de cause que l’État belge a choisi de ne pas respecter la mesure provisoire et de violer la Convention, préférant avoir à payer une indemnité plutôt que de respecter tant les droits d’un justiciable que ses engagements pris lors de la signature de la Convention et, plus particulièrement, celui de ne pas entraver, par aucune mesure, l’exercice efficace du droit de recours de celui-ci.
C’est la première fois que la Belgique ne respecte pas ses engagements dans le cadre du droit international. Cette violation, condamnée par Amnesty International, par la Ligue des droits de l’homme, par l’Association syndicale des magistrats et par les barreaux, est suffisamment inquiétante pour que vous nous expliquiez quel a été le raisonnement du gouvernement dans cette procédure.
Dans la déclaration publique que vous avez faite après l’extradition, vous avez avancé comme arguments l’épuisement des voies de recours et l’arrêt du Conseil d’État. Or un recours est toujours pendant devant la Cour européenne des droits de l’homme. La Belgique, comme ses cours et tribunaux – dont aussi le Conseil d’État –, est soumise au droit européen et à la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme. L’argumentation ne tient donc pas.
Quels sont dès lors, madame la ministre, les intérêts supérieurs pris en compte par la Belgique et qui pourraient justifier cette violation délibérée des droits de l’homme ? Faut-il s’attendre à l’avenir à ce que l’État belge prenne des libertés avec d’autres décisions de la Cour, voir d’autres instances supérieures, au détriment de la sécurité juridique ? Accessoirement, une telle politique ne privera-t-elle pas bientôt la Belgique de la crédibilité qui lui permettait d’encourager jusqu’il y a peu d’autres États à mieux respecter les droits fondamentaux ?
M. le président. – Outre la sécurité juridique, il y aussi la sécurité du territoire… Si vous voulez, madame Khattabi, vous pouvez accueillir M. Trabelsi chez vous !
Mme Annemie Turtelboom, ministre de la Justice. – Nizar Trabelsi a été extradé vers les États-Unis à la suite de l’arrêt du Conseil d’État du 23 septembre qui avait confirmé cette décision d’extradition.
Cette décision a été prise sur la base de la condamnation de Nizar Trabelsi en Belgique à douze ans d’emprisonnement effectif pour crimes terroristes commis en Belgique. Depuis la fin de sa détention, le 23 juin 2012, il se trouvait toujours emprisonné en attendant son extradition vers les États-Unis sur la base d’un mandat d’arrêt international de ce pays du 16 novembre 2007 concernant les crimes suivants : conspiracy to kill US nationals outside of the USA ; conspiracy and attempt to use weapons of mass destruction ; conspiracy to provide material support and resources to a foreign terrorist organization ; providing material support and resources to a foreign terrorist organization.
La décision a aussi été prise sur la base du fait qu’il n’a pas de permis de séjour en Belgique et que sa demande d’asile politique a été rejetée à deux reprises ; sur la base de la garantie de la part des autorités des États-Unis que cette affaire sera jugée par un tribunal de droit commun et non par un tribunal militaire ou un tribunal d’exception et qu’il ne peut pas être condamné à la peine de mort et, enfin, de l’arrêt du Conseil d’État par lequel tous les recours de droit ont été épuisés, et qui a confirmé la décision d’extradition vers les États-Unis.
Dans sa décision, le Conseil d’État se réfère à plusieurs reprises pour des questions importantes, aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, et notamment à l’arrêt Aswat du 16 avril 2013 en ce qui concerne le risque de traitement inhumain et dégradant, les arrêts Vinter et autres (Royaume-Uni) du 9 juillet 2013 et Babar Ahmad et autres (Royaume-Uni) du 10 avril 2013 quant aux risques d’un emprisonnement à perpétuité incompressible.
La détention d’extradition qui a commencé après l’exécution des peines belges, c’est-à-dire le 24 juin 2012, est basée sur la loi relative aux extraditions, notamment en son article 3.
L’extradition avait été accordée par l’arrêté ministériel du 23 novembre 2011, notifié le 6 décembre 2011.
Étant donné le rejet de la requête en annulation devant le Conseil d’État, l’arrêté ministériel était confirmé comme titre valable et justifiait de l’extradition.
La mesure provisoire imposée par la Cour européenne l’était en vertu du règlement de la Cour. La page juridique d’une telle mesure n’est donc pas la convention ni le protocole. La jurisprudence de la Cour estime qu’il existe une obligation de respecter une mesure provisoire.
Dans ce cas, le gouvernement a estimé que le non-respect de la mesure provisoire de la Cour était justifié en vue de l’obligation conventionnelle d’extrader, d’une part, et des considérations précieuses sur le plan de la sécurité publique, d’autre part.
L’État interjettera appel contre l’ordonnance du 3 octobre dernier. La requête et donc l’ordonnance sont intervenus après la remise de M. Trabelsi. Par conséquent, elles sont donc sans objet.

Mme Zakia Khattabi (Ecolo). – Monsieur le président, tout d’abord, je suis scandalisée par la proposition que vous m’avez faite d’accueillir chez moi M. Trabelsi. Je pensais qu’un fin connaisseur du droit tel que vous comprendrait la portée de ma question.

M. le président. – Ma remarque était spontanée et calculée.

Mme Zakia Khattabi (Ecolo). – C’est d’autant plus inquiétant… Madame la ministre, nous n’avons effectivement pas la même analyse juridique. Par ailleurs, les éléments que vous avancez ne contiennent rien de nouveau par rapport à 2011 : on continue à s’interroger sur ce qui a motivé la décision de la Belgique de procéder à l’extradition. Au-delà du scandale juridique, que je ne suis pas la seule à mettre en avant, l’ensemble des acteurs, et des connaisseurs de la législation, notamment en matière de droits de l’homme – M. Courtois mis à part – s’indignent et s’interrogent sur le procédé sciemment utilisé par le gouvernement, et je me réfère ici au problème de respect de la séparation des pouvoirs.
Par ailleurs, je pense surtout aux conséquences dramatiques que cela entraîne, pour la Belgique, sur le plan international, dès lors que notre pays perd toute crédibilité et toute légitimité de faire la leçon aux États qui ne respecteraient pas les droits de l’homme.
Vous avez beau jeu car l’opinion publique ne se sentira pas très concernée et risque même de se réjouir de ce départ. Je m’inquiète quant à moi de savoir que notre gouvernement cautionne de tels procédés de non-respect de nos engagements et des conventions internationales, alors qu’un État démocratique est supposé être respectueux de ces droits de l’homme.
Madame la ministre, depuis cette décision, quelle garantie le citoyen peut-il encore avoir que demain, pour des raisons de sécurité nationale qui ne requièrent aucune motivation de la part de l’administration ou pour satisfaire vos exigences d’un allié puissant, il ne sera pas soumis à l’arbitraire du pouvoir exécutif, quand bien même les décisions de justice lui auraient été favorables ?

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