La
prison, un business !
A
Les
nombreux grands projets lancés par l’Etat sont ils vraiment
utiles ?
Il
y a 25 ans la RTB cartonnait avec une émission présentée par Jean
Claude Defossé baptisée « Les grands travaux inutiles ».
Aujourd’hui on pourrait imaginer une suite intitulée « Les
grands projets dangereux ». La gare de Mons, le projet de
centre commercial Neo au Heysel et la méga prison de Haren en
feraient partie.
Contrairement à leurs aïeux des années 80, ils ne
seraient plus financés uniquement par l’Etat et seraient au mieux
des partenariats public-privé, voire entièrement laissés aux mains
du secteur privé et, espérons le, resteront au stade de projets; ne
deviendront jamais des chancres.
Le
projet de méga prison à Haren est sans doute le plus téméraire,
le plus dénué de sens et le plus exemplatif d’un système
politico-économique basé sur la connivence entre Etat et sociétés
privées, de la recherche du gigantisme per se, de la mauvaise
gestion des politiques publiques désormais soumises aux impératifs
de la rentabilité économique, de la négation de la valeur travail
pourtant portée au pinacle par nos dirigeants politiques et les
chantres du néolibéralisme.
L’enfermement
est il la solution ?
On
peut commencer par s’interroger sur le bien fondé du concept même
de l’enfermement. S’il peut être énoncé qu’il est impossible
pour une infime partie de la population de faire société et que
celle-ci doit en être protégée, force est de constater que le
résultat des politiques d’incarcération est catastrophique.
Aux
Etats Unis, une fois encore précurseur en la matière, une ancienne
assistante auprès de la Cour Suprême, Michelle Alexander, à la
question de quel avenir pour les prisonniers, répondait sans
ambages : « 70% d’entre retournent en prison endéans
quelques années et dans certains Etats c’est une question de
mois » (1). En Belgique, le Comité pour la prévention de la
torture a pu démontrer du caractère contre productif de
l’augmentation de l’« offre » de prison : « Le
fait d’augmenter la capacité carcérale n’est pas susceptible,
en soi, de résoudre durablement le problème de la surpopulation. En
effet, il a été observé dans de nombreux pays – y compris en
Belgique – que la population carcérale a tendance à augmenter au
fur et à mesure que la capacité carcérale s’accroît » (2)
Le projet de la méga prison en Belgique est peu convaincant quant à
son volet réinsertion, c’est peu dire.
Le
principe « Small is beautiful » ne serait il pas plus
adéquat ?
Quant
à l’intérêt de ce gigantisme. Certes, on peut comprendre que les
riverains n’ont pas nécessairement envie de voir une prison
s’établir près de chez eux mais pour autant cela justifie t il de
construire une méga prison.
Différents études ont démontré que
la taille « optimale » d’un établissement
pénitentiaire s’établit à une capacité d’accueil de 300 - 400
places (3). Alors pourquoi construire un complexe qui pourrait
accueillir quelque 1.200 détenus ? La prison de Lantin,
l’actuelle plus importante maison d’arrêt de Belgique a pu
illustrer de ces difficultés. Comme les banques devenues trop
grandes pour être gérées efficacement, d’aussi importantes
structures carcérales non seulement déshumanisent encore davantage
un environnement par définition peu agréable mais aussi
enregistrent davantage de « suicides » et d’évasions,
sont plus encore démotivantes pour le personnel pénitentiaire,
connait des risques de mutineries plus élevés, sont éloignés des
villes, donc peu accessible tant pour les avocats que pour les
familles, complexifiant ainsi le travail judiciaire, accroissant les
risques de transfert vers les palais
de justice et diminuant la qualité de suivi et de soutien des
détenus.
Cette tendance au gigantisme introduit du risque dans le
système, tout comme l’accroissement de la taille des bilans
bancaires. Quand
le « too big to jail » rime avec le « too big to
fail ». Un
nombre de prisons plus important et des prisons de taille plus petite
assureraient une diversification de ce risque et surtout améliorerait
la qualité de vie de tous, non seulement des détenus mais du
personnel pénitentiaire, des avocats et des familles.
Une
méga prison se justifie t elle au niveau économique ?
Economiquement,
on aurait pu penser qu’au vu de sa taille critique le coût de
construction par cellule ait pu être optimisé, or il n’est est
rien. Pour la prison de Leuze qui abrite 312 détenus et qui fut
lancé en 2012 l’investissement initial a été estimé à 75
millions € (4) soit quelque 240.000 € par cellule. Pour celle
d’Haren, le seul coût de construction a été estimé à 330
millions € (5) soit 280.000€ par cellule et sur 25 ans en tenant
compte des coûts de fonctionnement les montants prévus oscillent
entre 1,7 et 2 milliards € soit au moins 1 million € par cellule
(6). Ce projet pose d’autres questions.
Les
règles comptables ont été modifiées a de nombreuses reprises
rendant la privatisation inévitable
Pourquoi
avoir opté pour un partenariat public - privé (PPP) afin d’assurer
le financement de sa construction et de son exploitation. Les Etats
connaissant (ou plutôt suite à des pressions externes s’étant
mis dans une situation financière difficile) une aggravation de leur
déficit publics et de leur endettement sont contraints d’innover
en termes de financement. Par ailleurs, depuis la réforme de la
comptabilité européenne (les fameuses normes européennes SEC 95)
(7) tout investissement qu’ils réalisent est désormais considéré
comme une dépense courante et vient donc grever en année 1 les
finances publiques alors qu’il est censé porter ses fruits sur des
décennies. Afin de pallier à ces nouvelles normes et pour
équilibrer leur budget, les Etats ont dès lors lancé différents
partenariats public - privé. Ce sont des contrats qui peuvent
revêtir différentes formes mais qui généralement laissent à
l’Etat la propriété du bien en question : hôpital, école,
autoroute et lui laisse la possibilité de contrôler une gestion qui
est dorénavant confiée à une entreprise privée qui en récolte
les profits et participe au financement. On parle de contrats DBFM
(Design,
Build, Finance, Maintain), à savoir que les consortiums désignés
dessinent les plans, construisent, financent et gèrent la prison à
l'exception des aspects de sécurité.
Ces
contrats ont été vivement critiqués, car laissant tous les
bénéfices aux entreprises privées alors que l’Etat couvrait les
éventuels risques lorsque les choses ne se déroulaient pas comme
prévu dans les plans financiers. Ainsi, en France, un rapport de la
Cour des comptes de 2010 démontre que les indemnités annuelles
octroyées par l’Etat aux prestataires privés sont 2 à 3 fois
plus élevées que lorsqu’un établissement carcéral relève
entièrement du public (8).Tout comme ce qui s’est passé lors de
la crise financière, voilà une autre forme de privatisation des
profits et de socialisation des pertes.
Depuis 2004 suivant les
caractéristiques de ces PPP, Eurostat, l’organisme européen
chargé des statistiques, oserait on dire ironiquement, a revu le
traitement comptable de ceux ci. L’entièreté des montants, même
la part financée par le privé, doit désormais être comptabilisée
comme une dépense publique, enlevant tout l’intérêt d’un tel
mécanisme de financement pour les Etats (9). Ces derniers vont donc
être obligés a purement et simplement privatiser les missions dont
ils ne peuvent plus assurer eux même le coût.
La
privatisation est déjà une réalité
Par
ailleurs, un très grand nombre de services « offerts »
au sein des prisons sont payants et assurés par des sociétés
privées externes. Les services de cantine sont ainsi assurés par
exemple par la société Facilicom à la prison de Leuze. Le détenu
doit débourser pour s’approvisionner en dentifrice, pour pouvoir
regarder la télévision,…. On comprend dès lors l’intérêt à
ce que le nombre de prisonniers augmente. Ils constituent une
clientèle captive de choix que ces sociétés privées n’ont aucun
souhait à voir partir et l’on comprend ainsi mieux le peu de
volonté à développer des politiques de réinsertion cohérentes.
Il y a conflit d’intérêt. Le système actuel cherche à tout
marchandiser, à tout monétiser, y compris le monde carcéral et
cela au détriment de son efficacité (10). Il existe pourtant des
modes de contrôle de la population, ayant commis des actes
répréhensibles, plus légers comme le bracelet électronique dont
l’utilisation a explosé entre 2013 et 2014 passant de quelque
1.000 récipiendaires à quelque 1.800 sans pour autant que le nombre
de personnes enfermées diminue, que du contraire. Le nombre de
délinquants augmenterait il, le système judiciaire se veut il plus
sévère, ou faut il y voir une autre raison ? En 2011, le
gouvernement annonçait la construction de 4 nouvelles prisons (11),
en 2013 il laissait pressentir la construction de 7 nouvelles prisons
et ceci en prétextant de l’explosion de la criminalité alors
qu’on nous racontait il y a quelques semaines que la présence de
l’armée dans la rue avait fait chuter celle-ci de 30% (12) et
qu’en avril dernier la Ministre de tutelle de l’époque Annemie
Turtelboom annonçait que les efforts fournis depuis 2012 avaient
fait baisser la surpopulation de 10%. La surpopulation carcérale a
ainsi régressé pour atteindre 19% et elle pourrait passer sous les
15% avant la fin de l'année affirmait elle alors (13).
Souci
sécuritaire ou big business ou les deux ?
Les
conditions de travail des détenus ne constituent elles pas une
atteinte à la « libre » concurrence ?
De
plus, les détenus travaillent pour des salaires de misère, souvent
moins de 300€ par mois (14) (15).
Ne revient on pas ainsi au bagne, à l’esclavage organisé par
l’Etat ? Qu’en est-il de cette valeur travail chérie par
nos dirigeants ? Ne peut-on parler de concurrence déloyale ?
Dans le cadre de la construction de la prison de Leuze d’une
capacité de 312 places on nous promettait la création de 200 à 300
emplois directs et de plusieurs centaines d'emplois indirects. Sont
ce là des emplois utiles ? Vont-ils permettre de faire croître
la productivité de notre économie ? Les travailleurs du
secteur pénitentiaire y trouveront-ils valorisation et
reconnaissance ?
La
Justice est elle la même pour tous ?
Tout
ceci alors que dans le même temps, nos politiques ont voté la
transaction pénale qui a permis à ceux qui avaient commis le plus
grand délit de l’histoire financière de Belgique de s’en tirer
en payant une amende modeste, n’étant même pas condamnés et
n’atterrissant dès lors pas en prison alors qu’un voleur de
saucisson a-t-on appris tout récemment risque d’écoper d’une
peine ferme (16), que par la soumission à la TVA des honoraires
d’avocats on rend l’accès à la justice plus difficile pour les
moins favorisés,… Y aurait-il une justice de classes ?
Heureusement,
tous les projets de construction de prison n’aboutissent pas. Celui
de Termonde qui devait être lancé en 2012, est toujours à l’arrêt
suite à de nombreux recours juridiques. Quant à celui de Haren, la
contestation monte. Une concertation est organisée ce 20 mai à 9h30
au Casino de Bruxelles (on nage dans un surréalisme typiquement
belge, peut être vont-ils distribuer des jeux de Monopoly à
l’entrée), où de nombreux citoyens seront présents afin de
contester le bien fondé de la construction de cette méga prison. Ce
combat peut encore être gagné, mais il nous faut nous mobiliser.
L’auteur
remercie, Luk Vervaet, ancien enseignant à la prison de Saint-Gilles
et Jean Baptiste Godinot de l’ASBL Respire, partenaire de la Plate
forme pour sortir du désastre carcéral pour leurs apports
d’informations, suggestions, corrections et relecture attentive. Il
va de soi que le présent document relève de mon entière
responsabilité.
(2)
Comité pour la prévention de la torture : Rapport au
gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en
Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; CPT/inf
(2010) 24, §79
(3)
Cour des Comptes, Mesures de lutte contre la surpopulation carcérale,
p.99
(4)
La future prison de Leuze-en-Hainaut est officiellement sortie de
terre, La Libre 13 septembre 2012
(9)
Eurostat communiqué de presse 11 février 2004 Traitement des
partenariats public-privé
(11)
Contrats pour la construction de 4 nouvelles prisons, La Libre 16
juin 2011
(13)
Surpopulation carcérale : Turtelboom juge les chiffres du Conseil de
l'Europe dépassés, La Libre, 29 avril 2014
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