SOURCE
Nous sommes des amis de Tanguy Fourez. Nous ne le connaissons pas
personnellement. Mais nous faisons partie des victimes potentielles du commissaire
Vandersmissen. Quiconque a eu l'occasion de se manifester dans les rues de Bruxelles
en faveur des sans-papiers, des chômeurs, des occupants de maisons vides, ou pour
d'autres raisons valables connaît bien ce personnage. Pour rester polis, nous nous
contenterons de dire que le commissaire Vandersmissen est un triste sire.
Tanguy Fourez est cet homme qui, le 24 mai dernier, en fin de la manifestation contre
la loi Peeters, a séché le commissaire Vandersmissen d'un solide coup bien ajusté.
Celui-ci, blessé à la tête en tombant, a du faire un petit séjour à l'hôpital où tant de ses
victimes l'avaient précédé. Nous avons tous vu la scène, filmée et diffusée sur les
réseaux "sociaux": le commissaire poursuit et gaze des manifestants en train de se
disperser et, emporté par sa fureur, s'avance imprudement, gazeuse à la main ; un
inconnu surgit alors que le commissaire gaze un enième manifestant, et le met au
tapis d'un coup de poing. Ce poing fermé, dressé tant de fois bien haut dans les
manifestations comme un symbole de lutte, s'est soudain concrétisé sur la mâchoire
du commissaire !
Les images sont claires, Tanguy Fourez n'avait aucune autre arme
que son poing. Il n'était manifestement pas préparé à un affrontement, n'ayant même
pas pris soin de masquer son visage -erreur fatale, mais hélas fréquente... Sa photo a
été publiée dans les journaux, et il s'est presenté de lui-même aux autorités. Laissé en
liberté provisoire, il sera cité à comparaitre pour "des faits de rébellion armée, port
d’arme prohibée par destination et de coups et blessures volontaires avec incapacité de
travail sur une personne dépositaire de la force publique", et risque une peine de 5 ans
d'emprisonnement -sans préjuger d'autres soucis éventuels au niveau de son boulot
etc.
Nous ne cherchons pas à excuser son geste, car il n'appelle pas des excuses mais des
éloges. En se portant spontanément au secours d'un autre manifestant agressé par le
commissaire Vandersmissen, Tanguy Fourez a réagi comme un être humain digne de
ce nom.
FGTB et PTB
Cela échappe manifestement à la direction de son syndicat qui s'est dépêchée
de l'exclure et surtout de le faire savoir : "La FGTB souligne qu’un tel comportement
violent est incompatible avec ses statuts fédéraux". La FGTB parle de "comportement
violent" uniquement à propos du coup de poing de Tanguy Fourez, et se garde bien de
mettre en cause le comportement du commissaire Vandersmissen, et de façon plus
générale l'énorme pression policière exercée sur les manifs à Bruxelles. Par ailleurs,
nous n'avons pas souvenir que la FGTB ait jamais émis la moindre protestation contre
les agissements du commissaire Vandersmissen, qui ne datent pourtant pas d'hier.
Il semblerait que Tanguy Fourez ait été aussi un sympathisant du PTB. Le porte-parole
de ce parti a fait aussitôt savoir que "Le PTB condamne catégoriquement l'acte de
violence commis à l'encontre du commissaire Vandersmissen. L'agression du
commissaire Vandersmissen est moralement et politiquement inadmissible. De tels actes
n'ont pas leur place dans notre société et ne peuvent être tolérés". Là encore, pas un mot
sur les agissements du commissaire Vandersmissen, sur les brutalités policières
systématiques lors des manifestations de rue à Bruxelles.
Cela n'est pas une surprise, à vrai dire. Pour les bureaucrates dirigeant la FGTB
comme pour les cadres néo-staliniens du PTB, la reproduction de leur appareil
l'emporte sur toute autre considération : comme toute forme institutionnalisée, elles
se veulent respectables car respectueuses de la légalité.
A partir de là, les solidarités horizontales n'ont plus lieu d'être et tout geste qui
s'inscrit dans ce plan fait tache. De tels gestes, qui jadis faisaient partie intégrante de
la culture ouvrière, sont alors condamnés par l'appareil. Ce que nous dit cet acte de
veulerie politique consistant à lâcher Tanguy Fourez en pâture aux médias et à la
justice, c'est que bureaucrates et politicards n'ont à l'évidence aucun sens éthique.
Qu'ils se réclament de l'héritage du mouvement ouvrier ne fait que rendre cela encore
plus odieux. Croit-on un instant que les ouvriers insurgés de l'hiver 1960 auraient
laissé un des leurs se faire gazer sans réagir ?!
Ces professionnels du discours qui n'ont à la bouche que les mots de "camarades", de
"solidarité" etc., que savent-ils de la camaraderie effective entre prolétaires ? de ce
sentiment de solidarité inné qui fait qu'un père de famille de 43 ans va frapper un
commissaire en train de gazer un autre manifestant ? Tanguy Fourez, révolté par ce
qu'il voyait, s'est porté au secours d'un camarade agressé. Il est de ces gens qui
n'hésiteraient pas à se jeter à l'eau pour sauver un enfant en train de se noyer -tandis
que les cadres du PTB, sur la berge, hausseraient sans doute les épaules devant une
telle manifestation d'aventurisme spontanéiste...
Le mépris de classe
Tanguy Fourez, accablé par la dénonciation médiatico-policière, a tenté de justifier
son geste par le fait qu'il avait bu. Une photo diffusée dans les médias le montre une
canette de bière à la main. Nous imaginons les réflexions, dans les cercles du pouvoir
comme dans l'inintelligentsia officielle, sur ces brutes d'ouvriers alcooliques... si en
plus de ça Tanguy Fourez regardait les matchs de foot, son compte est bon, tant le
mépris de classe aime se parer d'un alibi culturel...
A une époque où règnent la crainte et même la peur, largement instillées par des
techniques policières et médiatiques d'une extrême violence, le geste de Tanguy
Fourez force le respect. Peut-être qu'une ou deux bières l'ont aidé à surmonter ses
inhibitions ? et alors ? ! Il aurait pu poursuivre son chemin et, trop heureux de s'en
sortir indemne, laisser son prochain se faire gazer par Vandersmissen. Mais il est
intervenu et ce geste lui fait honneur. Alors que tous les appareils politiques et
syndicaux n'ont de cesse de justifier les pires renoncements et les pires trahisons,
ravalant la dialectique au rang d'une simple casuistique, le geste simple, clair et précis
de Tanguy Fourez relève de ce que nos camarades zapatistes du Sud-Est mexicain
appellent "la digne rage".
Une députée du PTB déclarait récemment au journal d'affaires L'Écho "on est capable
de faire des compromis". Mais l'attitude du PTB par rapport à Tanguy Fourez ne relève
même plus du compromis, elle relève de la collaboration. Ces gens pour qui le fin mot
de l'Histoire consiste à occuper des places dans la sphère du pouvoir n'hésiteront pas,
une fois parvenus, à envoyer à leur tour la soldatesque contre leurs propres électeurs
si ceux-ci viennent à contester -le XXº siècle a été rempli d'épisodes de ce genre. Leur
réthorique peut faire illusion, mais leurs silences les dénoncent.
Le commissaire
Aussi quelques extraits de ce témoignage, portée par une Bruxelloise sur le
commissaire Vandersmissen, aideront à préciser les choses :
"Je m'appelle Lili ; en 15 ans voilà ce que cet homme m'a fait. Il m'a traité de sale pute. Il m'a traité de
merde gauchiste. Il m'a envoyé en garde à vue parce que je défendais des familles sans papiers. Il m'a
envoyé en garde à vue parce que je défendais la liberté de circulation. Il m'a traité de pute à nègre. Il m'a
menacé de garde à vue parce que je défendais des exilés politiques. Quand j'étais au sol et que sa police me
frappait il a posé sa botte sur mon épaule, en "me demandant" de fermer ma gueule. Il m'a envoyé en
garde a vue parce que j'étais qu'une sale "gouine de merde". Il m'a traité de sale gauchiste de merde. Il
m'a menacé de viol alors que j'étais en garde en vue dans une cellule, cernée par les policiers qu'il
dirigeait. Il a proposé a ses policiers de me violer pour me calmer, il trouvait ça drôle.
Il a organisé de véritables rafles a chaque fin de manif réclamant des papiers pour tous. Ce que je viens de
décrire a été vécu et relaté également par la plupart de mes ami-e s ou potes ou connaissances qui sont
loin d'être tous et toutes de dangereux gauchistes, mais un jour on eut le malheur de se retrouver face à
lui. (...)
Cet homme a insulté de sale nègre, sale bougnoule, a peu près tous les arabes et tous les africains noirs que
je connais. A frappé et a demandé à sa police de frapper volontairement tous les gens qui se battent contre
les injustices, qu'ils viennent d'extrème gauche, du No Border, d'Amnesty.... Qu'ils soient contre les guerres
où qu'elles soient, qu'ils soient, pacifistes ou pas.
Cet homme a suscité et généré une violence gratuite inouïe dans notre ville. A suscité la terreur : finir dans
une garde à vue gérée par cet homme était synonyme de violence, de peur, de menaces. (...)Pour toutes ces
raisons je ne pleurerai pas sur le sort du commissaire Vandersmissen."
Pour toutes ces raisons, Tanguy Fourez ne doit pas rester isolé face à la justice. Nous
devons réhabiliter cet homme sur qui tous les médias et tous les partis se sont
empressés de cracher. Nous devons affirmer notre solidarité avec lui.
Son procès est
fixé au 14 juin.
Des amis de Tanguy Fourez