« …
l’émotion ne s’embarrasse pas des amalgames … seule la raison, la pédagogie et
la patience nous permettront de retrouver le chemin de la pensée raisonnable
… »
Monsieur le Ministre de
la Justice, Mesdames et Messieurs les Juges, Mesdames et Messieurs les Avocats,
Mesdames et Messieurs les Représentants Syndicaux, Mesdames et Messieurs les
Directeurs d’établissements pénitentiaires, Mesdames et Messieurs les Agents
pénitentiaires, Mesdames, Messieurs,
Nous nous permettons de
vous adresser ce courrier à 4 jours de l’expiration du préavis de grève déposé
par les agents pénitentiaires, et à 4 jours d’une menace lourde de
conséquences, à savoir un mouvement de grève qui impacterait les visites à la
veille des fêtes de Noël et de fin d’année.
Nous sommes épouses,
filles, mères, sœurs de détenus, et quoique certains pourraient penser, nous
sommes d’abord et avant tout terriblement affectées par les souffrances
engendrées par les faits commis par nos époux, pères, fils, frères. Et, par ce
courrier, nous ne chercherons nullement à obtenir une quelconque pitié, voire
compassion, en regard de notre situation.
Cependant, vivant chaque
jour la peine de nos détenus, nous sommes en contact permanent avec le monde de
la prison, son mode de fonctionnement. Et c’est de ce mode de fonctionnement dont
nous voudrions vous parler car, si l’on s’arrête uniquement au discours
larmoyant et alarmiste des agents, on fait fausse route. Et ça, nous ne pouvons
plus le passer sous silence, cela a assez duré.
Pour rappel, en juin
dernier, après de nombreuses semaines de grèves, un protocole d’accord a été
signé entre le Ministre de la Justice et 4 des 6 organisations syndicales.
A notre niveau, nous
avons vu des changements : de nouveaux agents ont été engagés, les
horaires de certains d’entre eux ont été modifié en impactant plus précisément
l’organisation des visites au sein des prisons. Nous les avons vus arborer
fièrement leurs nouveaux uniformes.
Mais, petit à petit, nous
avons constaté que les visites étaient de nouveau mises entre parenthèse car
« il manquait de personnel ». Manque de personnel : voilà le
problème récurent au sein des établissements pénitentiaires et, comme à chaque
fois, ce sont les détenus et leurs familles qui doivent payer le prix
fort : visites annulées alors que des dizaines de personnes sont dans le
sas d’entrée, visites raccourcies alors que d’autres viennent après avoir
travaillé et trouvent portes closes à leur arrivée, visites annulées la veille
mais sans pouvoir (vouloir) prévenir les familles, ...
Que l’on cesse de se
méprendre sur les raisons du « manque de personnel » en prison. A
force de les fréquenter, de les découvrir parfois les unes après les autres,
nous finissons par voir la réalité de la situation, cette réalité cachée par
les syndicats, cette réalité couverte par les directions, cette réalité ignorée
par le Ministre de la Justice, les Juges, les Avocats et les Citoyens qui pour
la plupart d’entre eux, sont bien contents de savoir toutes ces personnes
enfermées (à juste titre d’ailleurs), mais qui hélas, se voilent la face quant
au fait que chacun des détenus actuellement entre quatre murs, sortiront, tôt
ou tard, et ce, que nous le voulions ou non !
Alors, que chacun d’entre
vous, chacun d’entre nous sache la réalité : les agents, pour un certain
nombre d’entre eux, n’en n’ont que faire du métier qu’ils exercent. Ceux qui se
plaignent d’être traités comme des porte-clés le sont à juste titre. Et, le
temps passant, la confiance s’installant, ils se laissent aller à la confidence,
ils libèrent cette parole qu’ils retiennent « face caméra ».
Ils sont absents non pas
nécessairement parce qu’ils sont malades ou surmenés, ils s’absentent pour
aller dans un parc d’attraction en famille, pour participer à une festivité
locale, pour profiter de leur vendredi (ou leur mardi, cela dépend…), pour
« travailler » ailleurs, ... Et, les nouveaux agents engagés
commencent par les remplacer mais, voyant que les absences
« illicites » passent « comme une lettre à la poste »,
ils se mettent rapidement au pas et eux aussi s’absentent, chaque jour un peu
plus. Et lorsque nous nous présentons à la porte, les visites sont annulées.
Et lorsque celles-ci sont
maintenues, nous subissons les foudres des quelques agents qui travaillent
encore. Ceux-ci, vraisemblablement exténués par la surcharge réelle de travail et
a juste titre, nous en font voir de toutes les couleurs lorsque l'humeur s'y
prête. D'autres encore ont tout simplement les mains liées par des collègues
menaçants. Le règlement en vigueur pour les visites peut alors changer de jour
en jour, selon la « pause » qui travaille : un jour vous pouvez
apporter du linge, le lendemain non ; un jour vous sonnez sous le portique
alors que vous portez les mêmes vêtements que précédemment et que jamais, vous
ne sonniez ; un jour vous devez enlever votre gilet et le lendemain, vous
pouvez le garder ; mardi votre enfant peut prendre son doudou avec lui,
mercredi, il ne peut plus,… Et nous restons dignes, polies, respectueuses, nous
baissons la tête tel un enfant pris en flagrant délit d’une énorme bêtise… même
faces aux injures et aux comportements désobligeants.
Selon les Règles
pénitentiaires européennes, « les
modalités des visites doivent permettre aux détenus de maintenir et de
développer des relations familiales aussi normales que possible »
(règle 24.4 RPE). Le 2e paragraphe de l’article 60 de
la Loi de Principe stipule, quant à lui que : « Le chef
d'établissement veille à ce que la visite puisse se dérouler dans des
conditions qui préservent ou renforcent les liens avec le milieu affectif, en
particulier lorsqu'il s'agit d'une visite de mineurs à leur parent. »
Ces textes sont des
textes de lois et, dès lors que nos
hommes, pères, fils et frères ont enfreint la loi, ils ont été jugés, condamnés
et enfermés. Et ils sont pris en charge par des personnes qui ne respectent pas
la loi et ce en toute impunité. Cependant, le message qu’ils font passer est
tout autre et ils savent pertinemment qu’un détenu et sa famille n’auront aucun
poids, aucun impact sur les informations qui pourront être véhiculées. Pensez
vous qu'un détenu puisse retenir quoi que ce soit d'une privation de liberté
qui s'accompagne d'une privation de dignité ?
Sans doute vous demanderez-vous
pourquoi cette lettre ne sera pas « signée » de façon précise ?
Tout simplement parce que nous subissons des menaces dès lors où nous nous
permettons de dénoncer les dysfonctionnements du système et de dénoncer ceux
qui génèrent et couvrent ces dysfonctionnements.
Cependant, qui que vous
soyez, n’oubliez pas que certains de ces « porte-clés »
« s’occupent » des détenus, « préparent » avec eux leur
réinsertion, sont sensés les remettre sur le bon chemin… Pour se faire, ne
faudrait il pas d'autres exemples plus adéquats, dans un réel
accompagnement ?
Un avocat général, lors
d’un procès, disait au condamné : « Ne considérez pas la prison comme une fin en soi ; elle est pour
vous un nouveau départ, elle va vous aider à grandir, à mûrir, à réintégrer la
société ».
L'utilisation des grèves
a outrance durant les périodes les plus sensibles pour les familles, doit
cesser !
Comment voulez vous expliquer a un enfant qu’il ne verra pas son
parent pour Noël, parce que la Tec fait grève… et que les agents choisissent de
se tourner les pouces ce jour là ? Il n’est plus question de pouvoir mais
de vouloir.
Comment voulez-vous
changer lorsque vous êtes « pris en charge » par des personnes qui
mentent et sont dans l’illégalité de par leurs absences illicites et protégées ?
N'y aurait il pas une solution pour que nos réalités carcérales puissent se
rencontrer dans le respect des lois et des Hommes ?
Des
femmes, des mères, des filles, des sœurs de détenus. 20/12/2017