Rhimou Saidi, la mère du détenu Mohammed Jelloul,
dans le bus qui la ramène à Al-Hoceima,
le 28 octobre 2018.
© Youssef Afas
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Un mercredi sur deux, les mères, les femmes et les sœurs des 39 derniers manifestants du Hirak (mouvement) du Rif emprisonnés à Casablanca font 1200 km de bus pour aller voir leurs proches. Avec l’aide du Comité de soutien aux familles de détenus du Hirak, elles se battent pour améliorer leurs conditions de détention et pour faire face à un quotidien difficile.
par Lina Rhrissi, 7 février 2019
Le soleil surplombe les barbelés, le mirador ocre et les barrières bleues de la prison Ain Sebaâ 1, située dans la zone industrielle d’Oukacha, à vingt minutes du centre de Casablanca, quand un minibus noir se gare non loin de l’entrée. Ce mercredi matin, une quinzaine de femmes, quelques enfants et une poignée d’hommes se pressent de descendre du véhicule pour aller voir leurs proches. Comme c’est le cas deux fois par mois depuis maintenant plus de deux ans. Ils sont partis vers 20 h d’Al-Hoceima et ont fait dix heures de route éprouvantes, sans pause, pour arriver à l’heure de la visite.
Entre mai et juillet 2017, l’État a arrêté des centaines de manifestants du Hirak, un mouvement populaire qui a démarré en octobre 2016 suite à la mort tragique de Mouhcine Fikri à Al-Hoceima, capitale du Rif. Le vendeur de poisson avait été broyé par une benne à ordures alors qu’il tentait de récupérer ses marchandises confisquées par les autorités. Les manifestations qui ont suivi dénonçaient, entre autres, la corruption, la marginalisation de la région du nord-est et le manque d’hôpitaux et d’universités. Aujourd’hui, 39 des hommes arrêtés sont toujours enfermés loin de chez eux, à Casablanca, où sont historiquement incarcérés les prisonniers politiques au Maroc. Leur procès en appel a commencé il y a près de trois mois, le 14 novembre 2018, et trois audiences ont déjà eu lieu.
« MON GARÇON MÉRITE UNE MÉDAILLE »
À leur sortie de la prison, vers 13 h, les Rifaines, qui viennent de passer deux heures au parloir, sont davantage disposées à nous parler, malgré le regard inquisiteur des policiers qui nous suivent discrètement. « Ça va, il va bien », souffle Oulaya, vêtue de noir, la mère de Nabil Hamjike, condamné à 20 ans d’emprisonnement. « Mais il n’a rien à faire là, il n’a pas volé d’argent, ils ont réclamé leurs droits. Mon garçon mérite une médaille, pas la prison ! », clame la femme de 61 ans qui appelle tous les prisonniers « mes fils ». Aux tables du petit café en face de la maison d’arrêt, on commande des barquettes de frites et des sandwichs. Hanane, 31 ans, la sœur de Mohamed Harki, qui risque 15 ans, est plus inquiète. Son frère mène alors une grève de la faim pour réclamer son inscription en master, qu’il a depuis obtenue. Il y a aussi Souad, la femme de Karim Amghar, condamné à 10 ans, son fils d’un an sur les genoux. Le bambin, né deux mois après l’arrestation de son père, ne l’a jamais vu ailleurs que derrière les barreaux. « C’est dur pour lui, il ne fait que pleurer dans le bus », confie-t-elle. Mais la jeune maman tient à ce qu’il puisse venir de temps en temps.
Depuis le transfert des détenus à Oukacha, rapidement après leurs arrestations, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), une instance relativement indépendante de l’État a obtenu que trois minibus soient fournis gratuitement, un mercredi sur deux, par le conseil régional de la ville de Casablanca. Au début, quelques familles pouvaient se permettre de venir tous les mercredis, les visites étant hebdomadaires, mais avec un coût de 300 DH (27,5 euros) par passager pour un aller-retour, elles étaient peu nombreuses. Toutes racontent l’épuisement, les mollets qui gonflent, le froid en hiver et les vomissements. Mais si pour certaines, les trajets s’espacent, aucune n’envisage d’y mettre fin.
UNE PREMIÈRE POUR DE NOMBREUSES FEMMES
Quelques jours plus tôt, dans le grand appartement casaoui d’Amina Khalid, membre du Comité de soutien aux familles de détenus du Hirak, nous rencontrions Rhimou Saidi, la mère de Mohamed Jelloul, le tout premier à avoir été arrêté dans le cadre des manifestations du Rif. La veuve de 68 ans originaire de Beni Bouayach, à côté d’Al-Hoceima, est devenue une figure du mouvement. Sourire désarmant et regard déterminé, elle ne loupe jamais un voyage en car. Celle qui ne parlait que le tarifit (le dialecte rifain) il y a encore quelque mois s’exprime désormais en darija, l’arabe dialectal marocain, et a pris l’habitude de donner des interviews. Son fils avait déjà été arrêté en 2012 et a passé cinq ans en prison pour avoir participé au Mouvement du 20 février. « À sa sortie, j’ai eu le temps de le voir à peine un mois avant qu’il ne soit de nouveau arrêté. C’était le noir complet », se souvient-elle. « Il n’avait même pas participé à ces manifestations-là ! » Depuis, Rhimou Saidi assure avoir pris conscience de l’injustice et compris que tout ce que son fils lui disait était vrai. « Avant la mort de Mouhcine Fikri, je n’étais jamais descendue dans la rue. » Une première pour de nombreuses femmes rifaines, plutôt conservatrices et habituées à rester entre quatre murs.
CASABLANCA, C’EST COMME NEW YORK
Pour la majorité des proches de détenus, l’arrivée dans la mégalopole Casablanca aussi a été une grande première. « Pour elles, c’est comme New York », commente Amina Khalid qui a fait en sorte de les guider et de les accueillir au mieux. Créé en mai 2017, le Comité de soutien a organisé des manifestations et des sit-ins. « On voulait à la fois mettre en lumière le sort des familles de prisonniers du Hirak et les soutenir moralement et matériellement », précise Amina Boukhakhal, également membre de l’organisation. Les militants leur ont transmis les contacts d’avocats, ont organisé une collecte de vêtements chauds et, à chaque procès, ont ouvert les portes de leurs maisons pour les héberger. Mais la relation ne s’est pas faite du jour au lendemain. « Il a fallu les mettre en confiance, raconter ce qu’on a nous-même vécu », explique Amina Khalid, « parce que les gens du Rif sont renfermés et n’ont pas saisi pourquoi on les aidait. »
Merci à Marie-Jo Fressard pour l'envoi de l'article.