Par Luk Vervaet,
Co-signé par Laurent Moulin, Ana Navarro, Jean-Baptiste
Godinot, Elisabeth Grimmer, Rnesto
Moreno, Stéphanie Guilmain, Camille Seilles
C’est une affaire qui dure depuis six ans.
Le 20 mai 2015, une quinzaine de manifestants, armés de…
banderoles, entrent dans la Régie des bâtiments pour crier leur opposition à la
construction de la maxi-prison à Haren. Lors de l’action, dans un moment de
colère, un manifestant donne un coup de poing sur la maquette de la future prison,
exposée dans le hall d’entrée. Elle est cassée. Ce n’était pas l’objectif de cette
action. Sinon les manifestants s’en seraient sans aucune doute pris autrement ;
ils n’auraient pas fait une manifestation publique avec des calicots, et ce en
présence d’un public nombreux.
Mais la machine policière et judiciaire se met immédiatement
en marche.
Condamnés pour être présents !
Quatre des manifestants sont identifiés grâce à des caméras.
Les images ne montrent pas qu’ils sont en train de s’en prendre à la maquette, mais
témoignent uniquement de leur présence à la manifestation. En 2018, la justice frappe
ces jeunes à coups de bâton : ils sont condamnés à dix mois de prison avec
un sursis de trois ans pour « destruction de bien mobilier en bande ».
Ce n’est pas fini.
Trois ans plus tard, le 1er octobre 2021, un
tribunal prononce le verdict pour le volet civil de l'affaire. Les quatre sont
condamnés à rembourser 43 000 euros à la Régie des bâtiments, propriétaire
de la maquette.
Vous avez bien lu : 10 mois de prison et 43 000 euros
pour une maquette, une peine à la mesure du projet mégalomane de Haren. Dans ce
verdict, il ne s’agit pas de frais de réparation pour une personne blessée, ni pour
un bâtiment abimé, ni non plus pour un mur de prison vandalisé, mais uniquement
d’une maquette publicitaire, qui ne servait à rien d’autre que ça, vu que les
plans avaient déjà été approuvés. La vraie destruction, elle, celle du site du
Keelbeek, soit 18 hectares de terre agricole et de nature, avait bel et bien commencé.
Justice de la vengeance, justice de classe
Nous assistons à une justice de la vengeance. Elle vise à
réduire au silence toute tentative d’opposition à l’ouverture de la maxi-prison
prévue pour septembre 2022. À une justice qui définit la culpabilité, non pas
sur base d’avoir commis une infraction ou un délit, mais sur base de la présence
de la personne, de son « association » avec d’autres. La justice belge
agit comme en Angleterre où la loi baptisée « Joint entreprise »
permet à la justice de « condamner des personnes à de lourdes peines pour
quelque chose qu’elles n’ont pas fait, qu’elles n’ont pas prévu, qu’elles n’avaient
pas l’intention de faire, qu’elles ont souvent même essayé d’empêcher, leur
présence sur les lieux étant suffisante pour les rendre coupables »[1].
Une justice de classe et partiale, où les juges ont clairement fait savoir que,
contrairement à beaucoup de leurs collègues, ils étaient en faveur de la
construction de la méga-prison. Les quatre inculpés ont été traités comme des moins
que rien, des marginaux, des hors-la-loi dont l’avenir doit être hypothéqué ou brisé,
en les condamnant à des peines de prison et à un montant, sans doute dérisoire aux
yeux de ces juges bien payés, mais qui mène ces jeunes à la ruine.
L'opposition ! par Renesto |
Un dernier règlement de compte de la part de nos gouvernants ?
L’opposition à la construction de la méga-prison à Haren, qui
tient bon depuis déjà dix ans, exprime la confrontation entre deux visions du
monde et du problème carcéral en Belgique. D’un côté, les habitants de Haren, de
la ZAD, des collectifs anticarcéraux, de magistrats, architectes, académiciens
et avocats, de défense de la nature et des petits paysans. Leurs formes
d’actions ont été on ne peut plus pacifiques sous le mot d’ordre « Ni prison, ni béton » : pétitions,
articles, livres, dessins, films, concerts, procédures en justice et construction
sur le site de cabanes et de tentes, plantation de patates et aménagement d’un
verger. Ils se sont unis dans un des mouvements les plus larges, inspirants,
créatifs et démocratiques que notre pays a connus[2].
De l’autre, les gouvernements successifs qui, depuis 2008, ont tous, quelle que
soit leur couleur politique, choisi pour la construction de nouvelles prisons
pour répondre à la crise carcérale[3],
sous le titre trompeur : « Masterplan
pour une détention dans des conditions humaines ». Si l’humanité des
autorités dans les nouvelles prisons sera à la mesure de celle dont ont joui
les opposants à la méga-prison, le pire est à venir.
L’opposition à la méga-prison a en effet rencontré une violence sans précédent de la part de l’État. Il fallait s’y attendre, vu le caractère intrinsèquement violent de la prison elle-même. Les Masterplans ont dû être imposés avec la violence d’État parce que leurs plans n’ont suscité aucune adhésion sociale, si ce n’est celle des banques et des entreprises de construction. Non, il n’y a jamais eu de négociations avec les opposants, seules quelques séances d’information pour présenter les projets.
Pas une seule table ronde où l’opinion des détenus, de leurs familles, des ex-détenus, de l’association des avocats, du secteur social actif au sein des prisons, des habitants de Haren pourrait être entendue et discutée. Au début, le comité des habitants de Haren se déclarait même prêt à accepter une petite prison sur le territoire de leur petite commune. La réponse a été l’envoi des bulldozers sur le site pour faire place à la méga-prison.
La violence ne s’est pas limitée à la violence verbale ou
symbolique. Il suffit de citer quelques incidents, qui se sont répétés à plusieurs
reprises. En septembre 2015, évacuation et destruction de toutes les
habitations sur le site du Keelbeek. En août 2018, nouvelle évacuation violente
de l’occupation du Keelbeek, par la destruction et l’incendie des cabanes des
citoyens défendant la biodiversité du Keelbeek, avec arrestation de sept
personnes. En 2019, arrestation de nonante citoyens qui bloquaient pacifiquement
le chantier de la méga prison[4].
Notre liberté se réduit-elle à seulement supporter cette violence ?
La poursuite des activistes
Pour comble de cynisme, ce sont les activistes qu’un
ministre a tenté de présenter comme responsables pour les dégâts causés par
toutes ces destructions illégales. En 2019, en effet, Jan Jambon, ex-ministre
fédéral de l’Intérieur en charge de la Régie des bâtiments a déposé une plainte
contre dix citoyens opposés à la méga-prison. Il ne leur réclamait pas moins de
1 036 000 euros ! Un
million trente-six mille euros qui se décomposaient ainsi : 13 000
euros pour les frais d’évacuation, 70 000 euros pour les clôtures et 953 000
euros pour la surveillance par G4S Denys.
En 2017, la police avait déjà auditionné quelques-unes de
ces dix personnes dans des commissariats différents. Finalement, les dix ont dû
comparaître devant le tribunal le 14 janvier 2020, inculpés de « dégradation
de propriétés immobilières d’autrui, à plusieurs reprises entre le 2/03/2015 et
le 27/10/2016 » et de « destruction de clôtures rurales et urbaines avec
circonstances aggravantes : commettre une usurpation de terrain, à plusieurs
reprises entre le 2/03/2015 et le 27/10/2016 ». La mise en accusation des
dix personnes, sélectionnées à nouveau de manière aléatoire et comme s’il s’agissait
des propriétaires du terrain, a été jugée tellement arbitraire, grotesque et démesurée
que le tribunal a prononcé un non-lieu.
Dans le cas des quatre condamnés pour la maquette, la Régie
des bâtiments et la justice leur font payer le prix de la maquette à 34 363
euros, y inclus le prix du « déménagement de la maquette à 5 033,60
euros », le prix de fabrication de deux autres maquettes (!), je cite,
« l’avance de 40% pour la fabrication de trois maquettes pour le
concours ‘La prison de Haren’ à 9 534,80 euros » ! Plus
le montant de « l’avance de 40% pour l’adaptation de la maquette pour
le concours La Prison de Haren à 2 202,20 euros ».
Belle illustration du fait que les prisons existent aussi pour que toute une caste – faite entre autres de magistrats ou d’architectes– puisse gagner sa vie sur le dos des détenus et de ceux qui défendent leurs droits. Au cours de ces deux années de crise sanitaire, plusieurs personnes nous ont témoigné de leur consternation de voir s’ériger une prison-monstre en lieu et place d’un hôpital ou d’une école à Haren.
Si vous faites partie de ces indignés, soutenez les quatre condamnés.
Toute contribution est la bienvenue sur le compte bancaire au nom de « Soutien
procès maquette» avec le numéro BE66 5230 4745 8943.
[2]
Voir le livre « Ni prison, ni béton. Contre la maxi-prison de Bruxelles et
son monde », un ouvrage collectif retraçant la lutte, des zadistes,
activistes et habitant.e.s de Haren, par le Collectif vrije Keelbeek libre
(Haren), éditeur Maelström.
L’Observatoire de la méga-prison de Bruxelles-Haren,
une plateforme mise en place par le Comité de Haren, l’asbl Respire, des
riverains et des militants réunis pour dénoncer le projet toxique de
construction de méga-prison à Bruxelles-Haren.https://www.harenobservatory.net/
Réseau de soutien à l’agriculture paysanne http://www.luttespaysannes.be/spip.php?article110
Le dossier CONTRE LA PRISON DE HAREN ET TOUTES LES
PRISONS MODERNES https://www.brudoc.be/opac_css/doc_num.php?explnum_id=988
L’appel pour un moratoire.http://supermax.be/200-academiciens-travailleurs-sociaux-artistes-lancent-un-appel-pour-arreter-la-construction-de-prisons-en-belgique/
[3]Après
la Turquie et l’Italie, la Belgique est le troisième pays avec le plus grand
taux de surpopulation des prisons (117 détenus pour 100 places, 10.885 détenus
au 19 novembre 2021, pour une capacité de 9.611 détenus) des 52 pays membres du
Conseil de l’Europe. Dans une prison à Anvers, il y a 769 détenus pour 439
places (mi-novembre 2021). En 2019, le suicide était la cause de 44% des 27 décès
dans les prisons belges, ce pourcentage étant 26% dans toute l’Europe.) https://www.standaard.be/cnt/dmf20210408_97616859
[4]Avez-vous vu de pareilles opérations contre la police
qui lors de ses actions syndicales bloque tout simplement l’accès à Bruxelles
ou à la rue de Loi ?