Ce matin-là, elle était venue me rendre visite à Lantin.
Pour ces rencontres, l'administration pénitentiaire avait prévu un long couloir
avec une vingtaine de petites salles, chacune divisée en deux, un carreau
faisant office de mur de séparation.
Pour accéder à ce lieu sinistre, il
vous faut évidemment montrer patte blanche et se fournir de tous les documents
nécessaires demandés par les autorités.
Ceux qui sont passés par là savent à quoi je fais allusion. Il n'est pas
rare que des personnes jettent l'éponge devant tant de formalités. Je pense
surtout aux personnes âgées, ayant emprunté de nombreux transports avant
d'arriver à la prison où ils se voient refouler parce qu'ils ont oublié un
papier. Le système est redoutable et surtout intransigeant ; malheur à qui ne
s'y conforme, il sera rejeté sans autre forme de procès. Certains pourtant
s'accrochent, car ils savent que cette visite est importante, qu'ils ne
pourront peut-être plus revenir, parce que le temps fait son œuvre, parce que la
condamnation est disproportionnée au peu qu’il leur reste à vivre. Cette première visite, comme vous pouvez le
constater, peut prendre des semaines avant d'aboutir. « Il faut aimer
cette personne pour arriver au couloir des visites, c'est une certitude ».
La
femme qui partage ma vie se trouve devant moi, elle me signale qu'un de ses
enfants a souhaité l'accompagner. Je lui demande où se trouve cet enfant.
« Il est dans le couloir, il nous entend ». Elle me fait signe
qu'il pleure, qu'il est traumatisé par cette rencontre et cet endroit. Face à
cette situation, c'est à mon tour d'être traumatisé et je sens que je vais
défaillir. Je regarde le plafond en espérant que Dieu me vienne en aide. Il me
faut réagir au plus vite pour sortir de ce drame. Heureusement, vous pensez
bien que j'ai aussi appris la maîtrise. Cette maitrise peut servir lors d'un
interrogatoire, la conduite d'un véhicule volé, dans bien de faits mais ici,
c'est du jamais vu, on ne trompe pas un enfant d'un claquement de doigts,
surtout celui dont on a tenu la main, ou encore avec qui on a joué et qu’on a
serré dans les bras.
La
porte du parloir finira par s'entrouvrir avant qu’on ait trouvé les mots pour
le tranquilliser. L'enfant apparaît devant moi, les yeux rougis, des larmes
qu'il ne cache même plus, ensuite, le silence de nos regrets devant cette
innocence.
Pendant toute cette visite, l'enfant est resté accroché au cou de sa
maman sans dire un mot, me regardant intensément.
Vous avez des juges qui condamnent, le code pénal en main, le silence de cet enfant était bien plus redoutable que tous mes juges réunis.
A+ Marcus