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Voir Observatoire des prisons - Belgique sur Facebook avec des extraits du rapport du docteur Verbrugghe https://www.facebook.com/oipbelgique |
Je travaillais encore comme membre du comité de surveillance de la prison de Haren lorsque le Dr Brecht Verbrugghe y est arrivé. Le « jeune médecin », comme l'appelaient affectueusement les détenus, a rapidement acquis une bonne réputation parmi eux en tant que prestataire de soins de santé.
Même si, au début, le système de santé ne fonctionnait absolument pas dans la nouvelle prison, même si la liste des plaintes des prisonniers aurait pu remplir une cellule entière, ils se rendaient bien compte que le jeune médecin faisait tout ce qu'il pouvait pour aider les prisonniers malades.
Brecht Verbrugghe avait déjà beaucoup d'expérience et d'expertise en tant que médecin. Comme médecin généraliste ou dans une clinique psychiatrique à Gand, comme médecin auprès des prisonniers et des internés négligés dans l'ancienne prison de Saint-Gilles et maintenant en tant que médecin dans la prison flambant neuve de Haren. Quelqu'un qui, s'il le voulait, pourrait grimper haut dans la hiérarchie (médicale) des prisons.
Mais avec quelques collègues, le « jeune médecin » a choisi une voie très différente. Ensemble, ils ont décidé de rendre public ce qui pourrit dans l’univers carcéral depuis des décennies mais reste caché au monde extérieur.
Le lundi 12 mai au matin, ils ont ainsi provoqué une sorte de déferlement pénitentiaire dans les médias belges (1). Du calibre du livre du médecin Véronique Vasseur sur la prison française de Fleury de Mérogis, qui a suscité une tempête dans le monde carcéral français à l'époque (2).
Rapidement, les applaudissements et la solidarité de nombreuses associations travaillant dans les prisons se sont manifestés ici aussi. (3) Les hauts responsables du système pénitentiaire et ceux des ministères de la justice et de la santé ont bien senti qu'une sorte de tsunami était en train de se former. Avec les déclarations habituelles de leurs porte-parole, les hauts responsables du système pénitentiaire ont rapidement tenté d'arrêter la vague. Sans succès.
Le coming out de Brecht Verbrugghe et de ses collègues est extraordinairement courageux
D'abord, parce que si vous travaillez en prison, vous êtes censé vous taire. Du moins si vous voulez conserver votre emploi. Tout le monde sait qu'il existe une sorte d'omerta : vous faites votre travail et s'applique le vieil adage des trois singes « ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire ». La loyauté envers les collègues est attendue. Les problèmes doivent être résolus en interne (par les « canaux internes ») et vous vous abstenez d'exposer le linge sale.
À cet égard, la prison peut être comparée à l'Église catholique, qui a tenté d'étouffer les abus commis sur des enfants et qui aurait résolu le problème en interne. Le sommet du système pénitentiaire dispose en effet de pouvoirs discrétionnaires qui lui permettent, par exemple, d'écarter et d'exclure à volonté, de classer des soi-disant preuves comme secrètes... sans se soucier de la loi. J'en ai fait moi-même l'expérience lorsqu'on m'a refusé l'accès à toutes les prisons belges en 2009.
Bien sûr, cela ne signifie pas l’absence de voix critiques. Comme celles des universitaires. Mais ils ne risquent pas leur emploi, ils sont autorisés à dire ce qu'ils veulent dans la presse et à l'université depuis l'extérieur, personne ne s'en soucie vraiment. Certains témoignent anonymement, de crainte de perdre leur emploi. Je me demande bien pourquoi les gens ont peur de s'exprimer : après tout, la liberté d'expression est l'une des valeurs sacrées de ce pays, une valeur pour laquelle le monde occidental fait la guerre dans le monde entier. D’autres commencent à témoigner lorsqu'ils sont à la retraite, quand leur carrière est terminée et leur sécurité financière garantie.
L'absence de résistance et de critique de l'intérieur, de la part des personnes actives sur le terrain, nous permet d'apprécier à sa juste valeur le témoignage de Brecht Verbrugghe et de ses collègues. Ce témoignage nous donne confiance en l'avenir. Il nous apprend qu'il y aura toujours des personnes qui oseront s'élever contre l'injustice. Quels que soient les risques. Quel que soit le prix personnel éventuel à payer.
En outre, le témoignage du Dr Verbrugghe ne porte pas sur un quelconque incident ou scandale, dû à la surpopulation. En ce qui concerne cette dernière, le Dr Verbrugghe refuse de se résigner à cette éternelle excuse. « En réalité, le problème n'est pas la surpopulation, mais la surcondamnation », a-t-il déclaré dans une interview.
Le jeune médecin dénonce un système de santé déficient à tous points de vue, en raison de la relation toxique entre la prison et les soins de santé. Vous pouvez en prendre connaissance dans son rapport de 18 pages, téléchargeable en ligne.(4)
Il traite des soins de santé dans les trente-huit prisons qui, en Belgique, ne relèvent pas du ministère de la Santé publique, mais de la haute administration pénitentiaire. Avec toutes les conséquences que cela implique, tant à l'intérieur des prisons (ce sont les gardiens qui doivent distribuer les médicaments et contrôler leur prise, l'utilisation des cellules de punition pour traiter les crises médicales), qu'à l'extérieur (les maladies et les infections retournent dans la société sans avoir été traitées lorsqu'un prisonnier est libéré). Le rapport décrit le manque de ressources et de personnel. Le (non-)dépistage de l'hépatite C. Les pénuries et le sabotage des soins transmuraux. Les contrôles de tuberculose non séquencés. L'évaluation médicale inexistante ou inadéquate dans le cadre de la libération conditionnelle. Et ainsi de suite…
pic OIP https://oip.org/fiche-droits/medecine-generale/
En conclusion, il ne s'agit pas de failles majeures ou mineures dans le système. Il s'agit, comme l'a dit Lise Meunier, l'une des lanceurs d’alerte, sur les ondes de la RTBF « d'une idéologie à l'égard des prisonniers ». En d'autres termes, notre société considère les prisonniers comme du ballast ou des déchets, n’appartenant pas à la communauté humaine. Et les soins médicaux qui leur sont prodigués sont à la hauteur de cette considération.
Ceux qui pensent que j'exagère devraient se demander comment il est possible que les programmes des partis ou les manifestations des syndicats ne mentionnent nullement les droits des prisonniers. Comment est-il possible que des centaines de prisonniers doivent dormir à même le sol ? Que des gens soient entassés, pire que des animaux, dans des cellules trop petites, sans aucune réponse sociétale ?
De plus en plus, l’indifférence s'est installée à l'égard du monde carcéral, faisant de l'injustice la chose la plus normale du monde. Le fait qu’on nous dise systématiquement qu'il faut mettre plus de gens derrière les barreaux et que la surpopulation de nos prisons est due à la présence d'étrangers qu'il faut renvoyer dans leur pays n'y est pas pour rien.
Le message de Brecht Verbrugghe et de ses collègues est donc aussi un message contre la prison et contre le racisme. Une déclaration contre la déshumanisation qui est la marque des temps sombres que nous vivons.
Qu'ils en soient chaleureusement remerciés.
Notes
[1] en néerlandais : VRT NWS : https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2025/05/07/gevangenisarts-de-medische-zorg-in-gevangenissen-is-ondermaats/ et https://www.vrt.be/vrtnws/nl/kijk/2025/05/12/tza-gezondheidszorg-gevangenissen-mimir-3ce5dbaf-be32-465c-8541-/ ; HLN : https://www.hln.be/gevangenissen/het-is-brandjes-blussen-arts-trekt-aan-de-alarmbel-vanwege-ondermaatse-medische-zorg-in-gevangenissen~a882041f/ ; Het Nieuwsblad : https://www.nieuwsblad.be/cnt/dmf20250512_91607777 ; De Morgen : https://www.demorgen.be/snelnieuws/arts-dient-klacht-in-bij-orde-der-artsen-over-zorg-in-gevangenis-mensen-sterven-omdat-ze-niet-door-ons-worden-gezien~b6ff71e7/: Le Standard : https://www.standaard.be/binnenland/ziekenzorg-in-gevangenissen-is-beneden-alle-peil-het-enige-wat-telt-is-dat-de-gevangenen-in-leven-blijven/66555952.html ; BRUZZ :
en français RTBF : https://www.rtbf.be/article/prison-un-medecin-denonce-l-impossibilite-de-soigner-correctement-les-detenus-malades-11537151; Le Soir : https://www.lesoir.be/674619/article/2025-05-12/en-prison-recit-dune-medecine-abimee-apres-un-temps-votre-cadre-de-valeurs et https://www.lesoir.be/674616/article/2025-05-12/en-punissant-mal-ses-condamnes-la-societe-se-punit-elle-meme; 7sur7 : https://www.7sur7.be/belgique/un-medecin-denonce-des-dysfonctionnements-graves-dans-les-prisons-belges~a08ac0d2/; La Libre : https://www.lalibre.be/belgique/societe/2025/05/12/prison-le-cri-dalarme-dun-medecin-face-a-une-medecine-abimee-7GV6VP2BXZEBNHD6J23UCUBMNI/ ; Sudinfo : https://www.sudinfo.be/id995557/article/2025-05-12/patients-labandon-secret-medical-bafoue-ce-medecin-alerte-sur-la-prise-en-charge; La Dernière Heure : https://www.dhnet.be/actu/belgique/2025/05/12/polemique-en-milieu-carceral-un-medecin-saisit-lordre-pour-denoncer-les-dysfonctionnements-7U65ZIHCXZD6NOJXOYXE3FGGVY/
A la radio :📻 The Morning sur Radio 1 : https://www.vrt.be/vrtmax/luister/radio/d/de-ochtend~11-19/de-ochtend~11-30502-0/ ;📻 La Première sur RTBF ;📻 Fien et Thibault Staan Op sur StuBru : https://www.vrt.be/vrtmax/luister/radio/f/fien-en-thibault-staan-op~41-383/fien-en-thibault-staan-op~41-33856-0/ ;📻 BX1 Radio :
... à la télévision : 📺 Terzake on Canvas : https://www.vrt.be/vrtmax/a-z/terzake/2025/terzake-d20250512/ ;📺 BRUZZ24 : https://www.bruzz.be/videoreeks/journaal-bruzz-24/video-herbekijk-bruzz-24-over-de-gebrekkige-gevangenenzorg-haren ;📺 Le Journal on RTBF : https://auvio.rtbf.be/media/journal-televise-19h30-le-19h30-3338968 ;📺 BX1 : https://bx1.be/categories/news/un-medecin-denonce-lincapacite-de-soigner-correctement-les-detenus-a-bruxelles/
[2] https://www.lemonde.fr/societe/article/2004/03/29/le-dr-veronique-vasseur-depeint-aux-deputes-l-univers-carceral_359105_3224.html
[3] Article d'opinion pour Brecht Verbrugghe et ses collègues signé par Marion Guémas de l'asbl I.Care, Lise Meunier du Réseau Hépatite C & Kris Meurant de l'asbl Transit, Belgique Acat, Apres, Cap-iti asbl, Féda, Fidex, la Liaison antiprohibitionniste, Médecins du Monde, La Ligue des droits humains, Infor Drogues et l'OIP, l'observatoire international des prisons https://www.rtbf.be/article/les-associations-actives-en-prison-soutiennent-les-medecins-qui-ont-denonce-l-impossibilite-de-soigner-des-detenus-11545937
[4] Une version légèrement abrégée de 18 pages peut être téléchargée en ligne à l'adresse suivante : https://www.vrt.be/content/dam/vrtnieuws/bestanden/brief%20orde%20der%20geneesheren.pdf
le témoignage du docteur Verbrugghe a été suivi par une lettre ouverte, signée par 300 médecins, professeurs, soignants et assistants sociaux, https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2025/05/24/open-brief-gevangenissen-artsen-zorg-verlinden-vandenbroucke/