samedi 28 mars 2020

La CLAC (LA CLAC - Collectif de luttes anti-carcérales) : Covid-19 : Prisons et Répression

"Soutien aux détenus", banderole accrochée à Nivelles
 par des militants 

 1. Contexte actuel


Le covid-19 a atteint la Belgique au début du mois de mars. Par mesure de santé publique, la population est obligée de restreindre les contacts sociaux et de se confiner pour limiter la propagation du virus. Evidemment, les murs des prisons n’arrêtent pas l’épidémie, les détenu.e.s et les agents pénitentiaires ne sont pas à l’abri du risque de contamination. Bien au contraire, avec les aller-retours du personnel pénitentiaire, l’épidémie peut facilement traverser les murs et faire beaucoup de dégâts à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons. En effet, en concentrant les détenu.e.s dans des conditions d’hygiène déplorables, les prisons offrent une autoroute pour la propagation des maladies contagieuses. Entassées les unes sur les autres, les personnes incarcérées n’ont en plus qu’un accès très limité aux soins de santé et la population carcérale compte un nombre important de personnes âgées et de personnes ayant une santé fragile (deux fois plus que dans le reste de la population selon l’asbl I Care).
On le voit, pour des raisons de santé publique, avec une population carcérale plus vulnérable, des conditions de détention propices aux maladies et la perméabilité des murs face au virus, on ne peut exclure la prison de notre champ de réflexion. 

De plus, la crise sanitaire en cours permet de souligner un argument supplémentaire pour l’abolition de toutes les prisons. Si la santé publique guidait l’action des autorités sans exclure quiconque de ce droit fondamental, la première des mesures à prendre serait de vider un maximum les prisons.
Et pourtant, les mesures prises par le gouvernement en la matière accentuent encore le problème sanitaire et carcéral.
Les mesures coronavirus
Concernant le système carcéral :  
- Suspension des visites familiales des détenu.e.s
- "Don" de 20 euros en appels téléphoniques
- Production de masques de la part des détenu.e.s
- Réduction du temps de préau
- Limitation recommandée aux avocat.e.s pour la visite des détenus.
- Suspension des visites des prisons de la part des commissions de surveillance, mais le suivi de la situation continue, uniquement à distance, par téléphone.
- Maintien du droit à accéder à la prison pour les collaborateur.ice.s (police, autorités judiciaires, magistrat.e.s et services de santé et sociaux).
- Les permissions de sortie sont suspendues ;
- Les nouveaux congés pénitentiaires sont suspendus ;
- Les congés pénitentiaires prolongés sont accordés. 

Au niveau pénal :
Les services judiciaires continuent de fonctionner mais connaissent certaines restrictions : 
- Suspension des traitements de dossiers en matière pénale* dans tout le pays, sauf traitement des dossiers concernant des détenu.e.s et des dossiers dits urgents (récidives, sujets à prescription,...)
- Refus d’introduction de nouveaux dossiers sauf urgents.
- Remise des prononcés à la date du 19 avril sauf pour les détentions préventives
- Ecartement du personnel judiciaire à risque.
- Encouragement des représentations des détenu.e.s par leur.s avocat.e.s.
- Suspension automatique des requêtes de présence physique aux audiences.
- Report de certaines exécutions de peine.

* Depuis le 23 mars, les audiences concernant un ou deux détenus sont maintenues le plus possible et les détenu.e.s sont extrait.e.s pour pouvoir assister à l’audience. Les dossiers impliquant plus de deux prévenus sont reportés.
 
Ce qu’on en pense

Au regard de ces mesures, en tant que Collectif anti-carcéral, nous voulons attirer l’attention sur trois points. 
D’abord, on isole davantage les personnes détenues, on les fait toujours travailler dans des conditions indignes (salaire de misère, pas de contrat...), on rend encore plus difficile l’accès à des services externes (formations, ateliers...), les aménagements de peine sont généralement suspendus ou très inaccessibles. Seuls les congés pénitentiaires prolongés restent de mise mais constituent une mesure aux critères très exigeants et qui en réalité retardent la fin de l’exécution de la peine* : ce n’est donc pas un aménagement de peine.
Dans la période actuelle, l’incarcération et ce qu’elle entraine perdurent, les conditions de détentions s’aggravent sans équivoque.

Ensuite, les témoignages depuis l’intérieur des prisons confirment une période encore plus dure qu’à la normale. Des personnes sont confinées dans leur cellules : l’incarcération dans l’incarcération. Certain.e.s étaient libérables à un jour près avant la crise mais l’épidémie a retardé le tribunal d’application des peines : celles-eux-ci restent enfermé.e.s "à un jour près". Les visites suspendues, il ne reste que le téléphone aux détenu.e.s comme lien avec leurs proches : des contacts régis par le stress de tomber à court de crédit téléphonique. Ce sont quelques témoignages parmi d’autres reçus. 
On imagine comment cette situation peut faire craquer, qu’entendre les matons revendiquer seulement du matériel pour eux peut foutre la haine, qu’entendre la panique dehors sans pouvoir être près de ses proches peut rendre l’inquiétude invivable, que se rendre compte que la société vous oublie peut dégouter. 
Etre réduit à l’impuissance quand le danger menace est psychologiquement invivable. Les restrictions imposées, le sentiment d’abandon, d’impuissance et la peur qui s’installent entraînent une légitime réaction des détenu.e.s. En Italie, en France ou en Belgique, les détenu.e.s se révoltent et tentent de s’évader de leur cages mortifères.
Au-delà des mesures gouvernementales et des comptes rendus sanitaires, c’est ces vécus et paroles qui comptent.

Enfin, les médias parlent d’initiatives de solidarité. Nous ne voulons pas nier leur importance, surtout en cette période, mais nous refusons de qualifier de réelle "solidarité collective" une entraide qui fait le tri entre les personnes en fonction de leur statut social et leur casier judiciaire. Il est clair qu’en maintenant les murs des prisons, les décideurs.ses politiques sont les premier.e.s responsables de cette logique de tri. Cependant, il appartient à l’ensemble de la population de faire attention à cette logique et d’aller à son encontre.

2. Liberté pour tou.te.s


Nous appelons à la libération de toutes les personnes détenues en maison d’arrêt, en maison de peine et en centres fermés pour étranger.e.s. Nous appelons à la libération en deux temps dont les critères ne sont pas uniquement déterminés par les catégories du système pénal. Il n’est pas question ici de longue/petite peine, ni de femmes/hommes, ni de domiciliés/sdf. 
Pour penser la libération, nous appelons maintenant et toujours à se baser sur l’avis des premier.e.s concerné.e.s (détenu.e.s, familles, proches etc.), à prendre en compte les situations singulières de chacun.e et à ne pas considérer une situation comme inchangeable (si quelqu’un est dans la galère, organisons-nous pour l’en sortir plutôt que de le foutre en taule sur base de l’éternel prétexte de la "réinsertion").
Nous appelons à la libération immédiate et inconditionnelle des personnes ayant la possibilité de séjourner dans un espace où iels se sentent en sécurité, qui n’ont pas été condamnées pour des faits répétés de violence physique ou psychologique sur des personnes et pouvant être soutenues par un entourage solidaire. 
Sans attendre la fin de la crise sanitaire, nous appelons à une libération différée pour les autres personnes détenues, le temps de mettre en place des mesures post-détention sans que ces dernières ne soient uniquement individuelles mais collectives, et qui ne suivent pas les logiques de contrôle pénitentiaire mais qui permettent d’assurer un retour de la personne dans la vie collective .

Concrètement :
Nous appelons à la réquisition de batiments vides pour offrir un espace aux personnes sans lieu de séjour adéquat pour elles et leur entourage.
Nous appelons à l’organisation d’entourages soutenant qui permettent la mise en place d’un cadre apaisant.
Nous n’excluons pas les mesures d’éloignements (c’est-à-dire l’interdiction d’approcher une victime) qui permettent un meilleur équilibre entre protection et restriction que la prison. 
Nos revendications s’articulent autour des personnes détenues mais il nous semble évident qu’elles s’accompagnent d’une prise en charge collective du ressenti et de la sécurité des personnes qui se considèrent comme cible ou comme victime. 
 
En vue de l’abolition des prisons et d’une meilleure prise en compte de ce qui peut nous insécuriser, ces mesures de solidarité devraient être permanentes.
En cette période de crise sanitaire, la prison devient encore plus inhumaine et ces mesures sont d’autant plus pertinentes.

3. Délation, police & répression

 
Il n’est pas possible de parler des prisons sans parler de répression. Nous voulons partager nos peurs vis-à-vis des comportements que peuvent engendrer la période actuelle et ce que nous avons déjà observé.

Appeler la police a des conséquences
Le temps semble être propice à la délation : "Ce voisin qui écoute de la musique trop fort et qui n’est surement pas seul", "Ce couple qui boit un verre dans un parc public", "Ce groupe de personnes un peu trop statique en rue", "Ces cris en bas de chez moi" etc. Faire appel à la police est encore plus encouragé que d’habitude sous prétexte que "c’est le boulot de la police", "c’est dans l’intérêt de tout le monde" et "je peux pas y aller moi-même". 
Limitons le recours à la police tant que possible. La répression policière est encore plus forte actuellement et peut entrainer des poursuites. La dénonciation a des conséquences et la machine judiciaire, t’y mets un pied, elle te bouffe la jambe. Lorsqu’on fait appel à la police, on perd la maitrise des conséquences que cela aura.
Il existe des alternatives pour instaurer collectivement un climat de sécurité. Par exemple, mobilisons des personnes pouvant prendre le rôle de médiateurs.trices autour de nous pour régler nos conflits.

Ne réveillons pas le flic qui est en nous
Si nous proposons de réagir face à des situations problématiques, il ne s’agit pas de jouer les flics-justiciers. On pense aux personnes sans-abris qui se font encore plus expulser des caves d’immeubles par les locataires. On pense aux militant.e.s voulant afficher des messages de soutien qui sont empêché.e.s par des "bons citoyens". On pense à tou.te.s les mal-logé.e.s qui se font moraliser parce qu’elles restent dehors.
Nous devons collectivement nous soucier de la santé mais ne soyons pas pour autant agent.e.s du
maintien de l’ordre.

N’acceptons pas n’importe quoi
En cette période, nous assistons à un renforcement du contrôle des données privées, à une multitude de restrictions, à une extension du pouvoir du gouvernement, à une augmentation d’arrestations dans les quartiers populaires où les personnes partagent un petit espace de vie souvent à beaucoup.
Nous appelons à être attentif.ves au sens de ces mesures et au contrôle excessif qu’elles impliquent.
Cette crise laissera des marques dans l’organisation de la vie collective et dans nos relations. Nous refusons que ces traces soient celles de la répression et de la dénonciation. C’est le moment de choisir une réelle solidarité qui inclut les personnes détenu.e.s et les personnes vulnérables en tout temps.
LA CLAC - Collectif de luttes anti-carcérales

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