Zakia Khattabi (Ecolo) interpelle la
ministre Turtelboom sur l'extradition illégale de Nizar Trabelsi.
Réaction du président de la commission justice au Sénat, Alain
Courtois (MR) : « Madame, accueillez Trabelsi chez vous ». Réaction de la ministre : " Le gouvernement a estimé que le non-respect de la mesure
provisoire de la Cour était justifié en vue de l’obligation
conventionnelle d’extrader, d’une part, et des considérations
précieuses sur le plan de la sécurité publique, d’autre part."
Texte intégral.
Demande
d’explications de Mme Zakia Khattabi à la ministre de la
Justice sur «le non-respect d’une décision de la Cour européenne
des droits de l’homme dans l’affaire Trabelsi» (no 5 4063)
Mme Zakia
Khattabi (Ecolo). – Le 6 décembre 2011, la
vice-présidente de la section de la Cour européenne des droits de
l’homme chargée de l’affaire Trabelsi a décidé d’indiquer au
gouvernement belge, en application de l’article 39 du
règlement de la Cour, de ne pas extrader le requérant, Monsieur
Trabelsi, vers les États-Unis et ce, dans l’intérêt des parties
et du bon déroulement de la procédure devant la Cour. La Cour
estimait, sur la base de l’article 3 de la Convention
européenne des droits de l’homme, qu’il y avait « un
risque grave et difficilement réparable pour le condamné de subir
un traitement inhumain et dégradant » en cas d’extradition
vers les États-Unis.
Or,
ce jeudi 3 octobre 2013, après que le Conseil des
ministres a confirmé l’ordre d’extradition de M. Trabelsi,
ce dernier, convaincu d’être transféré vers la prison d’Ittre,
aurait été placé à bord d’un appareil américain, ou affrété
par les autorités américaines, qui a décollé immédiatement en
direction des États-Unis. Ce n’est que deux heures plus tard,
madame la ministre, que vous avez fait une déclaration publique
annonçant l’extradition, dans le cadre de laquelle vous avez
soutenu que tous les recours avaient été épuisés et que la
Belgique avait obtenu les garanties suffisantes de la part des
États-Unis, vous référant aux trois conditions posées par la
chambre des mises en accusation de Bruxelles dans son arrêt du
10 juin 2010.
Cet
arrêt est justement toujours contesté devant la Cour européenne
des droits de l’homme qui n’a pas encore rendu sa décision.
C’est donc en violation de l’article 34 de la Convention et
de la mesure provisoire prise le 6 décembre 2011 sur la
base de l’article 39 du règlement de la Cour, que la Belgique
a procédé à cette extradition. Cette situation est d’autant plus
inacceptable que la Cour a rappelé à plusieurs reprises qu’elle
maintenait la mesure provisoire durant le traitement du recours et
qu’elle a pris la peine, dès le 6 décembre 2011,
d’aviser le ministère belge de la Justice de ce que « lorsqu’un
État contractant ne se conforme pas à une mesure indiquée au titre
de l’article 39 du Règlement, cela peut entraîner une
violation de l’article 34 de la Convention ».
C’est dès lors de
manière délibérée et en parfaite connaissance de cause que l’État
belge a choisi de ne pas respecter la mesure provisoire et de violer
la Convention, préférant avoir à payer une indemnité plutôt que
de respecter tant les droits d’un justiciable que ses engagements
pris lors de la signature de la Convention et, plus particulièrement,
celui de ne pas entraver, par aucune mesure, l’exercice efficace du
droit de recours de celui-ci.
C’est la première fois
que la Belgique ne respecte pas ses engagements dans le cadre du
droit international. Cette violation, condamnée par Amnesty
International, par la Ligue des droits de l’homme, par
l’Association syndicale des magistrats et par les barreaux, est
suffisamment inquiétante pour que vous nous expliquiez quel a été
le raisonnement du gouvernement dans cette procédure.
Dans
la déclaration publique que vous avez faite après l’extradition,
vous avez avancé comme arguments l’épuisement des voies de
recours et l’arrêt du Conseil d’État. Or un recours est
toujours pendant devant la Cour européenne des droits de l’homme.
La Belgique, comme ses cours et tribunaux – dont aussi le Conseil
d’État –, est soumise au droit européen et à la juridiction de
la Cour européenne des droits de l’homme. L’argumentation ne
tient donc pas.
Quels sont dès lors,
madame la ministre, les intérêts supérieurs pris en compte par la
Belgique et qui pourraient justifier cette violation délibérée des
droits de l’homme ? Faut-il s’attendre à l’avenir à ce
que l’État belge prenne des libertés avec d’autres décisions
de la Cour, voir d’autres instances supérieures, au détriment de
la sécurité juridique ? Accessoirement, une telle politique ne
privera-t-elle pas bientôt la Belgique de la crédibilité qui lui
permettait d’encourager jusqu’il y a peu d’autres États à
mieux respecter les droits fondamentaux ?
M. le
président. – Outre la sécurité juridique, il y aussi la
sécurité du territoire… Si vous voulez, madame Khattabi, vous
pouvez accueillir M. Trabelsi chez vous !
Mme Annemie
Turtelboom, ministre de la Justice. – Nizar Trabelsi a été
extradé vers les États-Unis à la suite de l’arrêt du Conseil
d’État du 23 septembre qui avait confirmé cette décision
d’extradition.
Cette
décision a été prise sur la base de la condamnation de Nizar
Trabelsi en Belgique à douze ans d’emprisonnement effectif pour
crimes terroristes commis en Belgique. Depuis la fin de sa détention,
le 23 juin 2012, il se trouvait toujours emprisonné en
attendant son extradition vers les États-Unis sur la base d’un
mandat d’arrêt international de ce pays du 16 novembre 2007
concernant les crimes suivants : conspiracy to kill US
nationals outside of the USA ; conspiracy and attempt to use
weapons of mass destruction ; conspiracy to provide material
support and resources to a foreign terrorist organization ;
providing material support and resources to a foreign terrorist
organization.
La
décision a aussi été prise sur la base du fait qu’il n’a pas
de permis de séjour en Belgique et que sa demande d’asile
politique a été rejetée à deux reprises ; sur la base de la
garantie de la part des autorités des États-Unis que cette affaire
sera jugée par un tribunal de droit commun et non par un tribunal
militaire ou un tribunal d’exception et qu’il ne peut pas être
condamné à la peine de mort et, enfin, de l’arrêt du Conseil
d’État par lequel tous les recours de droit ont été épuisés,
et qui a confirmé la décision d’extradition vers les États-Unis.
Dans
sa décision, le Conseil d’État se réfère à plusieurs reprises
pour des questions importantes, aux arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme, et notamment à l’arrêt Aswat du
16 avril 2013 en ce qui concerne le risque de traitement
inhumain et dégradant, les arrêts Vinter et autres (Royaume-Uni) du
9 juillet 2013 et Babar Ahmad et autres (Royaume-Uni) du
10 avril 2013 quant aux risques d’un emprisonnement à
perpétuité incompressible.
La
détention d’extradition qui a commencé après l’exécution des
peines belges, c’est-à-dire le 24 juin 2012, est basée
sur la loi relative aux extraditions, notamment en son article 3.
L’extradition
avait été accordée par l’arrêté ministériel du
23 novembre 2011, notifié le 6 décembre 2011.
Étant
donné le rejet de la requête en annulation devant le Conseil
d’État, l’arrêté ministériel était confirmé comme titre
valable et justifiait de l’extradition.
La
mesure provisoire imposée par la Cour européenne l’était en
vertu du règlement de la Cour. La page juridique d’une telle
mesure n’est donc pas la convention ni le protocole. La
jurisprudence de la Cour estime qu’il existe une obligation de
respecter une mesure provisoire.
Dans
ce cas, le gouvernement a estimé que le non-respect de la mesure
provisoire de la Cour était justifié en vue de l’obligation
conventionnelle d’extrader, d’une part, et des considérations
précieuses sur le plan de la sécurité publique, d’autre part.
L’État interjettera
appel contre l’ordonnance du 3 octobre dernier. La requête et
donc l’ordonnance sont intervenus après la remise de M. Trabelsi.
Par conséquent, elles sont donc sans objet.
Mme Zakia
Khattabi (Ecolo). – Monsieur le président, tout d’abord, je
suis scandalisée par la proposition que vous m’avez faite
d’accueillir chez moi M. Trabelsi. Je pensais qu’un fin
connaisseur du droit tel que vous comprendrait la portée de ma
question.
M. le président.
– Ma remarque était spontanée et calculée.
Mme Zakia
Khattabi (Ecolo). – C’est d’autant plus inquiétant…
Madame la ministre, nous n’avons effectivement pas la même analyse
juridique. Par ailleurs, les éléments que vous avancez ne
contiennent rien de nouveau par rapport à 2011 : on continue à
s’interroger sur ce qui a motivé la décision de la Belgique de
procéder à l’extradition. Au-delà du scandale juridique, que je
ne suis pas la seule à mettre en avant, l’ensemble des acteurs, et
des connaisseurs de la législation, notamment en matière de droits
de l’homme – M. Courtois mis à part – s’indignent et
s’interrogent sur le procédé sciemment utilisé par le
gouvernement, et je me réfère ici au problème de respect de la
séparation des pouvoirs.
Par ailleurs, je
pense surtout aux conséquences dramatiques que cela entraîne, pour
la Belgique, sur le plan international, dès lors que notre pays perd
toute crédibilité et toute légitimité de faire la leçon aux
États qui ne respecteraient pas les droits de l’homme.
Vous avez beau
jeu car l’opinion publique ne se sentira pas très concernée et
risque même de se réjouir de ce départ. Je m’inquiète quant à
moi de savoir que notre gouvernement cautionne de tels procédés de
non-respect de nos engagements et des conventions internationales,
alors qu’un État démocratique est supposé être respectueux de
ces droits de l’homme.
Madame la
ministre, depuis cette décision, quelle garantie le citoyen peut-il
encore avoir que demain, pour des raisons de sécurité nationale qui
ne requièrent aucune motivation de la part de l’administration ou
pour satisfaire vos exigences d’un allié puissant, il ne sera pas
soumis à l’arbitraire du pouvoir exécutif, quand bien même les
décisions de justice lui auraient été favorables ?