jeudi 9 mars 2017

« La prison, un système obsolète », par Perceval Carteron, éducateur, signataire de « l’Appel des 200 pour un Moratoire sur la construction de nouvelles prisons ».


À l’heure actuelle la prison n’a plus aucun effet dissuasif (pour peu qu’elle en ait eu un jour). Elle est le symptôme d’une société inégalitaire et violente. Elle enferme les gens dans un tiroir dont il est quasiment impossible de sortir. Il est grand temps de repenser notre système judiciaire en commençant par trouver une alternative à l’enfermement.

Dans l'ensemble de mon parcours professionnel (écoles en Discrimination positive, travailleur de rue, travailleur dans un projet de volontariat pour les 16-26ans, et maintenant dans une fédération de Maison de jeunes), j'ai connu plusieurs jeunes adultes et quelques personnes plus âgées, ayant été incarcérés.  J'ai quasi systématiquement constaté plusieurs états de fait : un parcours de désespoir qui s'accentue un peu plus à chaque étape et laisse la personne dans un état psychologique assimilable à de la dépression, des inégalités de base qui se creusent à chaque étapes, des victimes innocentes qui payent le prix de l'incarcération. A cela se rajoute le fait que les multiples peines supplémentaires liées à l'incarcération et après ainsi qu'un vide symbolique quant à la pertinence de la sanction par rapport à la faute commise. De plus, lorsqu’il y a victime, elle n’obtient que rarement une réelle réparation. Le système tente de monétiser la souffrance et compense le reste par un esprit de vengeance en faisant payer le coupable par une incarcération plus ou moins longue. La victime devra se contenter de l’aide aux justiciables et d’avoir été soi-disant vengée par un système qui n’a pas pu la protéger.

Désespoir et logique destructrice
Les gens ne commettent pas des délits ou des crimes par plaisir ou par méchanceté (à quelques exceptions près qui tiennent du désordre mental ou de problème sociétal). Ils les commettent car ils sont dans un état psychologique qui leur laisse croire que c'est un bon choix, voire le seul choix. Cet état est causé par la réalité du quotidien pour les personnes précarisées (consumérisme inaccessible, employabilité faible, hausse du coût de la vie, et aides sociales d'une part insuffisante et d'autre part de plus en plus difficile à conserver). A partir du moment où le délit est commis les personnes commencent à avoir une image dégradée d'elles-mêmes et commencent
généralement un processus destructeur.

Lorsque ces personnes se retrouvent face à la justice, la plupart du temps, elles n'ont plus une image d'elles-mêmes valorisante. Elles n'envisagent même plus de se trouver des circonstances atténuantes, lorsqu'on les interroge sur ce qu'elles pourraient faire d'autres, elles ne savent pas quoi répondre.  Par expérience je sais qu'un accompagnement de qualité, avec de simples perspectives d'avenir et une argumentation claire permettent d'éviter les incarcérations pour des petits délits.

 

L’argumentaire de défense change tout
En fait, à ce stade ce n'est pas une question de sanction par rapport à la faute, c'est une question de sanction par rapport à l'argumentaire. De ce fait les personnes ayant une faible estime d'elles-mêmes, paniquées, ou isolées diminuent leurs chances de pouvoir argumenter en leur faveur. J'ai souvent observé des personnes "creusant leur propre tombe" dans des affaires judiciaires somme toute simples et avec de vraies alternatives possibles. (Ce qui tend donc à prouver que la prison est la sanction donnée par défaut quand on ne sait pas quoi faire de personnes qui ne représentent aucun danger pour la société).

De plus on met en place un système qui déresponsabilise totalement les personnes et les prive de leur autonomie. Et par ce biais, on espère les rendre plus responsables et plus autonomes à leur sortie. C’est un non-sens ! Cela équivaudrait à dire à un élève qui a des lacunes en math : "au lieu
d'aller au cours de math, tu iras en retenue et quand tu reviendras tu devras passer les examens que tu n'avais pas réussi avant, plus ceux que tu auras raté à cause de ton absence". Je le répète, c'est un non-sens absolu.

L’inégalité appelle l’inégalité
Dans la même idée que la sanction se défini par rapport à l'argumentaire et non par rapport à la faute, il est clair que les moyens à disposition de la personne jugée vont fortement influencer le verdict (il n’est plus à prouver que riches et pauvres n’ont pas les mêmes chances face aux tribunaux). Évidemment dès qu'il y a condamnation et incarcération, les inégalités se creusent à chaque étape. Des personnes ayant déjà du mal à comprendre et/ou suivre les contraintes du système et les obligations légales se retrouvent avec encore plus de contraintes et donc un risque augmenté d'enfreindre la loi à nouveau. Ayant déjà des antécédents, ils seront plus exposés à la sanction et ils seront jugés plus durement (c'est le principe des peines multiples alors que la dette envers la société est supposée être payée).

Les préjugés en plus des inégalités
Mais au-delà de des inégalités, s'ajoute l’injustice des préjugés : il y a des personnes qui n'ont pas le bon profil socio-économique. J’ai déjà entendu plusieurs fois des magistrats dire "des personnes comme elles n’ont pas leur place en prison" (il s'agissait généralement de personnes éduquées, issues d'un milieu socio-économique moyen. De plus ces personnes n'avaient pas une image qui colle avec l'image véhiculée des "voyous"). Si on peut être d'accord avec la déclaration, elle implique néanmoins quelque chose de dérangeant : il y a des profils qui auraient donc leur place en prison (au-delà de la faute commise). Il s'agit de quelque chose d'inconscient qui se construit avec le temps. Et où l'on considère que certains profils n'ont pas leur place en prison (Les chiffres quant aux réalités socio-économiques des prisonniers parlent d’eux-mêmes. De même pour les jugements rendus.).

Un débat faussé
Les médias et les fictions nous fabriquent une image du criminel méchant, qui a pris la décision en son âme et conscience de nuire aux autres. Les débats sont systématiquement faussés par des personnes qui prennent des exemples extrêmes touchant à l’affectif (viols, violences sur des personnes faibles, tortures, etc.). D’une part les prisons ne sont pas majoritairement remplies de ce type de criminel, en fait les prisons sont surtout remplies de délinquants (la différence étant de taille), d’autres part, ce type de crimes demandent avant tout de prendre en charge la victime et de donner une réponse qui ne peut se définir à l’avance. La réponse donnée doit être sociétale et réellement garantir que ce crime ne puisse plus être commis ni même envisagé par une personne saine d’esprit.


 Les victimes indirectes
Lors d'une incarcération, outre les éventuelles victimes directes du délit/crime, il y a souvent des familles qui subissent les effets de l'incarcération. Ces personnes payent socialement, psychologiquement et parfois même légalement les frais des actes d'une autre personne. Cet état de fait est même reconnu par l'état via l'aide aux justiciables. Il y a là un paradoxe évident entre l'idée de justice et son application. Et même lorsqu'on considère que l'incarcération est légitime et méritée pour l'auteur, il est inacceptable de considérer que les proches doivent aussi en payer les conséquences (à plus forte raison lorsque les proches sont mineurs).

Un projet de société à refaire entièrement
Je pense que face au constat déplorable de l'incarcération comme outil de régulation sociale et comme sanction adaptée et constructive, il faut envisager une nouvelle façon de voir la sanction. Mes expériences m'amènent à penser qu'il faut mettre en place un accompagnement général prenant en compte les différents facteurs. A savoir : l'accompagnement socio-économique, l'accompagnement psychologique et l'accompagnement de développement personnel (études, formations, bien-être). De plus il y a une symbolique forte dans la prison qui dit à tous les citoyens : "on répond à l'infraction (même non violente) par la violence". De plus, lorsqu'il y a des victimes, l’incarcération ne ramène pas le sentiment de sécurité ni ne répare les dommages causés. Parfois même victimes et auteurs continuent de se côtoyer dans une ambiance malsaine et un esprit revanchard.

Il y a bien des initiatives de médiation auteur/victime, de "sanction réparatrice" mais elles ne peuvent être efficaces quand elles sont ordonnées par un état qui se montrera violent en cas de refus. Pour refaire une homologie c'est dire à quelqu'un "dis pardon ou je te frappe", le pardon sera dit mais n'aura que peu de valeur et d'impact. De plus, nous n’abordons pas ici le fait que l’état en question accorde sa grâce selon l’influence des personnes, ce qui renforce l’illégitimité des sanctions prises.

Il y a lieu de repenser complètement le système judiciaire, de distinguer les faits et les auteurs : il faut distinguer les personnes représentant un danger, les personnes ayant commis un fait qui impacte directement sur une autre personne et les auteurs de faits qui ne nuisent qu'à eux-mêmes et/ou à la société. Il faut que les citoyens répondent de leurs actes dans les mêmes conditions. Appliquer le même type de sanction, avec pour seule variation la durée, c'est à nouveau répondre à la faute par l'injustice. Il est étrange qu'une société puisse s'interroger sur la valeur éducative de la fessée mais par sur la valeur éducative, sociétale et symbolique de la prison.
La prison n'est pas un outil de protection des citoyens respectueux de la loi mais un outil de sanction de ceux qui l'enfreigne. Elle passe donc à côté de sa fonction prétendue : protéger les personnes (y compris d'elles-mêmes).


 Concernant la maxi-prison
Mon inquiétude est toute simple, agrandir l'échelle de la prison implique inévitablement d'augmenter les procédures aveugles et déshumanisante. De ce fait nous nous éloignons un peu plus d'un projet de société qui vise l'égalité entre les personnes, la diminution des crimes et délits ainsi que de la récidive. De plus les projets de privatisation liés aux services de la prison mêlent une notion de rentabilité qui ne peut être compatible avec un projet de réparation. Car, aux effets pervers que j'évoque ci-dessus s'ajoute l'exploitation des personnes. Je pense que la maxi prison n'est rien d'autres que la mise à l'échelle inhumaine d'une institution qui n'a déjà rien d'humain et de juste...

En conclusion
Il se pourrait que la prison soit le rouage ou le symptôme d’un système dégénérescent. De fait des criminels de guerre ne sont jamais jugés car protégés par un état, les politiciens véreux se cachent derrière l’immunité diplomatique, les escrocs de la finance derrière le secret bancaire. Parallèlement, on explique aux victimes d’agressions sexuelles qu’elles ont une part de responsabilité, aux victimes de violences policières avérées qu’elles se sont rebellées et on condamne les lanceurs d’alerte.
Plus que la prison c’est l’ensemble du système judiciaire qui doit être remis en question. Voilà pourquoi il est grand temps d’arrêter de construire de nouvelles prisons et de s’atteler à la reconstruction d’un système sociétal laissant place au développement des individus et à la garantie de leur sécurité.


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