Dans l'ensemble de mon parcours professionnel (écoles en Discrimination positive, travailleur de rue, travailleur dans un projet de volontariat pour les 16-26ans, et maintenant dans une fédération de Maison de jeunes), j'ai connu plusieurs jeunes adultes et quelques personnes plus âgées, ayant été incarcérés. J'ai quasi systématiquement constaté plusieurs états de fait : un parcours de désespoir qui s'accentue un peu plus à chaque étape et laisse la personne dans un état psychologique assimilable à de la dépression, des inégalités de base qui se creusent à chaque étapes, des victimes innocentes qui payent le prix de l'incarcération. A cela se rajoute le fait que les multiples peines supplémentaires liées à l'incarcération et après ainsi qu'un vide symbolique quant à la pertinence de la sanction par rapport à la faute commise. De plus, lorsqu’il y a victime, elle n’obtient que rarement une réelle réparation. Le système tente de monétiser la souffrance et compense le reste par un esprit de vengeance en faisant payer le coupable par une incarcération plus ou moins longue. La victime devra se contenter de l’aide aux justiciables et d’avoir été soi-disant vengée par un système qui n’a pas pu la protéger.
Désespoir et logique destructrice
Les gens ne commettent pas des délits ou des crimes par
plaisir ou par méchanceté (à quelques exceptions près qui tiennent du désordre
mental ou de problème sociétal). Ils les commettent car ils sont dans un état
psychologique qui leur laisse croire que c'est un bon choix, voire le seul
choix. Cet état est causé par la réalité du quotidien pour les personnes
précarisées (consumérisme inaccessible, employabilité faible, hausse du coût de
la vie, et aides sociales d'une part insuffisante et d'autre part de plus en
plus difficile à conserver). A partir du moment où le délit est commis les
personnes commencent à avoir une image dégradée d'elles-mêmes et commencent
généralement un processus destructeur.
Lorsque ces personnes se retrouvent face à la justice, la plupart du temps, elles n'ont plus une image d'elles-mêmes valorisante. Elles n'envisagent même plus de se trouver des circonstances atténuantes, lorsqu'on les interroge sur ce qu'elles pourraient faire d'autres, elles ne savent pas quoi répondre. Par expérience je sais qu'un accompagnement de qualité, avec de simples perspectives d'avenir et une argumentation claire permettent d'éviter les incarcérations pour des petits délits.
généralement un processus destructeur.
Lorsque ces personnes se retrouvent face à la justice, la plupart du temps, elles n'ont plus une image d'elles-mêmes valorisante. Elles n'envisagent même plus de se trouver des circonstances atténuantes, lorsqu'on les interroge sur ce qu'elles pourraient faire d'autres, elles ne savent pas quoi répondre. Par expérience je sais qu'un accompagnement de qualité, avec de simples perspectives d'avenir et une argumentation claire permettent d'éviter les incarcérations pour des petits délits.
L’argumentaire de défense change tout
En fait, à ce stade ce n'est pas une question de sanction
par rapport à la faute, c'est une question de sanction par rapport à
l'argumentaire. De ce fait les personnes ayant une faible estime d'elles-mêmes,
paniquées, ou isolées diminuent leurs chances de pouvoir argumenter en leur
faveur. J'ai souvent observé des personnes "creusant leur propre
tombe" dans des affaires judiciaires somme toute simples et avec de vraies
alternatives possibles. (Ce qui tend donc à prouver que la prison est la
sanction donnée par défaut quand on ne sait pas quoi faire de personnes qui ne
représentent aucun danger pour la société).
De plus on met en place un système qui déresponsabilise
totalement les personnes et les prive de leur autonomie. Et par ce biais, on
espère les rendre plus responsables et plus autonomes à leur sortie. C’est un non-sens !
Cela équivaudrait à dire à un élève qui a des lacunes en math : "au lieu
d'aller au cours de math, tu iras en retenue et quand tu reviendras tu devras passer les examens que tu n'avais pas réussi avant, plus ceux que tu auras raté à cause de ton absence". Je le répète, c'est un non-sens absolu.
L’inégalité appelle l’inégalité
d'aller au cours de math, tu iras en retenue et quand tu reviendras tu devras passer les examens que tu n'avais pas réussi avant, plus ceux que tu auras raté à cause de ton absence". Je le répète, c'est un non-sens absolu.
L’inégalité appelle l’inégalité
Dans la même idée que la sanction se défini par rapport à
l'argumentaire et non par rapport à la faute, il est clair que les moyens à
disposition de la personne jugée vont fortement influencer le verdict (il n’est
plus à prouver que riches et pauvres n’ont pas les mêmes chances face aux
tribunaux). Évidemment dès qu'il y a condamnation et incarcération, les
inégalités se creusent à chaque étape. Des personnes ayant déjà du mal à
comprendre et/ou suivre les contraintes du système et les obligations légales
se retrouvent avec encore plus de contraintes et donc un risque augmenté
d'enfreindre la loi à nouveau. Ayant déjà des antécédents, ils seront plus
exposés à la sanction et ils seront jugés plus durement (c'est le principe des
peines multiples alors que la dette envers la société est supposée être payée).
Les préjugés en plus
des inégalités
Mais au-delà de des inégalités, s'ajoute l’injustice des
préjugés : il y a des personnes qui n'ont pas le bon profil
socio-économique. J’ai déjà entendu plusieurs fois des magistrats dire
"des personnes comme elles n’ont pas leur place en prison" (il
s'agissait généralement de personnes éduquées, issues d'un milieu
socio-économique moyen. De plus ces personnes n'avaient pas une image qui colle
avec l'image véhiculée des "voyous"). Si on peut être d'accord avec
la déclaration, elle implique néanmoins quelque chose de dérangeant : il y a
des profils qui auraient donc leur place en prison (au-delà de la faute
commise). Il s'agit de quelque chose d'inconscient qui se construit avec le
temps. Et où l'on considère que certains profils n'ont pas leur place en prison
(Les chiffres quant aux réalités socio-économiques des prisonniers parlent
d’eux-mêmes. De même pour les jugements rendus.).
Un débat faussé
Les médias et les fictions nous fabriquent une image du
criminel méchant, qui a pris la décision en son âme et conscience de nuire aux
autres. Les débats sont systématiquement faussés par des personnes qui prennent
des exemples extrêmes touchant à l’affectif (viols, violences sur des personnes
faibles, tortures, etc.). D’une part les prisons ne sont pas majoritairement
remplies de ce type de criminel, en fait les prisons sont surtout remplies de
délinquants (la différence étant de taille), d’autres part, ce type de crimes
demandent avant tout de prendre en charge la victime et de donner une réponse
qui ne peut se définir à l’avance. La réponse donnée doit être sociétale et
réellement garantir que ce crime ne puisse plus être commis ni même envisagé
par une personne saine d’esprit.
Les victimes indirectes
Lors d'une incarcération, outre les éventuelles victimes directes
du délit/crime, il y a souvent des familles qui subissent les effets de
l'incarcération. Ces personnes payent socialement, psychologiquement et parfois
même légalement les frais des actes d'une autre personne. Cet état de fait est même
reconnu par l'état via l'aide aux justiciables. Il y a là un paradoxe évident
entre l'idée de justice et son application. Et même lorsqu'on considère que
l'incarcération est légitime et méritée pour l'auteur, il est inacceptable de
considérer que les proches doivent aussi en payer les conséquences (à plus
forte raison lorsque les proches sont mineurs).
Un projet de société à refaire entièrement
Un projet de société à refaire entièrement
Je pense que face au constat déplorable de l'incarcération
comme outil de régulation sociale et comme sanction adaptée et constructive, il
faut envisager une nouvelle façon de voir la sanction. Mes expériences
m'amènent à penser qu'il faut mettre en place un accompagnement général prenant
en compte les différents facteurs. A savoir : l'accompagnement
socio-économique, l'accompagnement psychologique et l'accompagnement de
développement personnel (études, formations, bien-être). De plus il y a une
symbolique forte dans la prison qui dit à tous les citoyens : "on répond à
l'infraction (même non violente) par la violence". De plus, lorsqu'il y a
des victimes, l’incarcération ne ramène pas le sentiment de sécurité ni ne
répare les dommages causés. Parfois même victimes et auteurs continuent de se
côtoyer dans une ambiance malsaine et un esprit revanchard.
Il y a bien des initiatives de médiation auteur/victime, de "sanction réparatrice" mais elles ne peuvent être efficaces quand elles sont ordonnées par un état qui se montrera violent en cas de refus. Pour refaire une homologie c'est dire à quelqu'un "dis pardon ou je te frappe", le pardon sera dit mais n'aura que peu de valeur et d'impact. De plus, nous n’abordons pas ici le fait que l’état en question accorde sa grâce selon l’influence des personnes, ce qui renforce l’illégitimité des sanctions prises.
Il y a bien des initiatives de médiation auteur/victime, de "sanction réparatrice" mais elles ne peuvent être efficaces quand elles sont ordonnées par un état qui se montrera violent en cas de refus. Pour refaire une homologie c'est dire à quelqu'un "dis pardon ou je te frappe", le pardon sera dit mais n'aura que peu de valeur et d'impact. De plus, nous n’abordons pas ici le fait que l’état en question accorde sa grâce selon l’influence des personnes, ce qui renforce l’illégitimité des sanctions prises.
Il y a lieu de repenser complètement le système judiciaire, de distinguer les faits et les auteurs : il faut distinguer les personnes représentant un danger, les personnes ayant commis un fait qui impacte directement sur une autre personne et les auteurs de faits qui ne nuisent qu'à eux-mêmes et/ou à la société. Il faut que les citoyens répondent de leurs actes dans les mêmes conditions. Appliquer le même type de sanction, avec pour seule variation la durée, c'est à nouveau répondre à la faute par l'injustice. Il est étrange qu'une société puisse s'interroger sur la valeur éducative de la fessée mais par sur la valeur éducative, sociétale et symbolique de la prison.
La prison n'est pas un outil de protection des citoyens
respectueux de la loi mais un outil de sanction de ceux qui l'enfreigne. Elle
passe donc à côté de sa fonction prétendue : protéger les personnes (y compris d'elles-mêmes).
Concernant la maxi-prison
Mon inquiétude est toute simple, agrandir l'échelle de la
prison implique inévitablement d'augmenter les procédures aveugles et
déshumanisante. De ce fait nous nous éloignons un peu plus d'un projet de
société qui vise l'égalité entre les personnes, la diminution des crimes et
délits ainsi que de la récidive. De plus les projets de privatisation liés aux
services de la prison mêlent une notion de rentabilité qui ne peut être
compatible avec un projet de réparation. Car, aux effets pervers que j'évoque
ci-dessus s'ajoute l'exploitation des personnes. Je pense que la maxi prison
n'est rien d'autres que la mise à l'échelle inhumaine d'une institution qui n'a
déjà rien d'humain et de juste...
En conclusion
Il se pourrait que la prison soit le rouage ou le symptôme
d’un système dégénérescent. De fait des criminels de guerre ne sont jamais
jugés car protégés par un état, les politiciens véreux se cachent derrière
l’immunité diplomatique, les escrocs de la finance derrière le secret bancaire.
Parallèlement, on explique aux victimes d’agressions sexuelles qu’elles ont une
part de responsabilité, aux victimes de violences policières avérées qu’elles
se sont rebellées et on condamne les lanceurs d’alerte.
Plus que la prison c’est l’ensemble du système judiciaire
qui doit être remis en question. Voilà pourquoi il est grand temps d’arrêter de
construire de nouvelles prisons et de s’atteler à la reconstruction d’un
système sociétal laissant place au développement des individus et à la garantie
de leur sécurité.
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