jeudi 11 mai 2017

Pour une autre justice : le temps de la reparation. Wildflowers de Agnes Furey et Leonard Scovens




« Une autre justice », ou le temps de la réparation

LE MONDE | 16.12.2016 Par Nicolas Bourcier


Léonard est enfermé à vie dans une prison de Floride. 

A plusieurs dizaines de kilomètres d’écart, dans le décor d’une bibliothèque de prison de Floride et d’un salon buco­lique, un détenu et une vieille dame s’écrivent à voix haute. Ses mots à elle sont d’une douceur extrême, un flot ininterrompu d’intelligence et de compassion. 
Sa parole à lui est ciselée au papier de verre et d’une poétique à vous renverser les tripes. Agnes Furey et Leonard Scovens se parlent, malgré les murs de l’institution pénitentiaire. Ils se parlent ainsi depuis onze ans, et leur correspondance ne semble pas près de s’arrêter.

Accusé du double meurtre de son ex-petite amie et de son fils, Leonard est un condamné à perpétuité – une double perpétuité pour être précis, et sans possibilité de faire appel. Agnes était la mère de la jeune femme. 
« Après le meurtre de ma fille et de mon petit-fils,j’étais comme anesthésiée. Pendant des mois, j’étais en dépression. L’écriture m’a permis de commencer à guérir. Avec le temps, j’ai ressenti le besoin et l’envie de parler à cet homme. Je voulais comprendre, savoir qui il était. J’ai découvert qu’il était impossible de le rencontrer tant qu’il était en prison. »

Un effet extraordinaire

La Floride est un des Etats les plus répressifs des Etats-Unis qui détiennent, et de loin, le taux d’incarcération le plus élevé au monde. Ici, la loi interdit aux victimes et aux coupables de se rencontrer. Ici, comme quasiment partout ailleurs, la dureté du système judiciaire, centré sur une approche punitive, ne permet pas de faire baisser la criminalité. Face à cet échec, des voix se sont élevées pour proposer une autre justice. Une justice dite restaurative (réparatrice), dans laquelle victimes et coupables tentent de surmonter ensemble leurs traumatismes.

Née au Canada, cette démarche s’est développée dans les communautés protestantes dès les années 1970. Elle est encore embryonnaire aux Etats-Unis, mais son application peut avoir un ­effet extraordinaire, comme le montre si justement ce documentaire bouleversant, Une autre ­justice, réalisé par Isabelle Vayron de La Moureyre et Chloé Henry-Biabaud.

Plusieurs témoignages viennent nourrir le propos. Il y a là Agnes et Leonard, mais aussi les parents McBride et les Grosmaire, de Tallahassee, Renee Napier, qui a perdu sa fille dans un accident de voiture causé par Eric Smallridge. 
Tous tournés vers ce « temps de l’après », celui de la reconstruction pour les victimes comme pour les condamnés.

« Agnes a été la première personne à m’avoir dit que je n’étais pas un meurtrier, mais un homme qui avait tué – il y a une différence, insiste Leonard Scovens. Avant elle, je n’arrivais pas à saisir ça. J’ai fait une terrible erreur et, pendant longtemps, j’avais accepté d’être défini par cette erreur.Agnes a arrêté ça. Et quand elle l’a fait, j’ai pu commencer à me voir comme un homme, comme un être humain, et ça a été le début d’un changement. »

Garder une part d’humanité

Pour Agnes, Leonard est devenu une partie de « la solution » : 
« De cette correspondance, nous avons chacun tiré de quoi guérir. Nous avons décidé de partager cette guérison avec d’autres qui vivaient quelque chose de similaire dans leur vie. » 
Ensemble, ils ont ainsi décidé d’écrire un livre, Wildflowers, A Restaurative Journey into Healing, Justice and Joy (« Fleurs sauvages, une journée réparatrice dans la guérison, la justice et la joie », non traduit). 
Agnes participe aux foires littéraires de Floride pour vendre leur opus. Leonard, lui, malgré son régime de détention parti­culièrement restrictif, tente de partager au sein de sa prison son expérience. Un autre moyen de garder une part d’humanité et de briser, qui sait, une spirale de la ­violence.

Une autre justice, de Chloé Henry-Biabaud et Isabelle Vayron de La Moureyre (Fr., 2016, 60 min).






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