samedi 28 mars 2020

Genepi Belgique + signataires : "Prisons et Santé : incompatibles"

 La prison est un lieu de peines et de souffrances physiques et psychologiques. Les conditions de détention en Belgique ont été condamnées à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme. 

Comme l’écrit l’ASBL i.Care sur son site internet: "La population carcérale est vulnérable de manière chronique ou temporaire. Caractérisée par une surreprésentation des catégories sociales en temps précaires, son accès aux soins est peu aisé et sa santé est parfois très affectée avant même de passer la porte des prisons". 

Les conditions de détention s’aggravent en temps d’épidémie. Depuis juin 2017, on n’en cite pas moins de trois: gale, rougeole et punaises de lit ont sévi dans les prisons de Gand, Mons, Lantin, Berkendael et Arlon. À l’heure où nous faisons tous et toutes l’expérience du confinement, nous réalisons que l’accès aux moyens permettant de maintenir du lien social est vital, tant au quotidien que sur les moyens et longs termes. C’est toutefois la rupture sociale qui caractérise souvent l’expérience carcérale. Une rupture exacerbée dans cette période de confinement total par l’absence d’accès à internet et aux réseaux sociaux, qui pour la majorité de la population dehors, nous font tenir le coup.

Le Covid-19, nous le savons, a un fort potentiel de contamination. De plus, il est potentiellement mortel particulièrement pour les populations déjà affaiblies. Le risque est encore accru pour des individus qui souffrent de troubles respiratoires et de déficiences immunitaires, ce qui est le cas de très nombreuses personnes détenues. Selon le Centre Fédéral d’Expertise de Soins de Santé, alors que 3 personnes sur 4 sont en bonne santé dans la population générale, seule la moitié́ de la population carcérale présente un état de santé normal.

Les établissements pénitentiaires, suivant les recommandations sanitaires, ont fait interdire toutes les visites depuis le 16 mars, excepté quelques visites professionnelles. Les visites de proches ont toutes été suspendues jusqu'au 3 avril a minima. En réponse à cette mesure, qui isole d’autant plus les détenu·e·s de leurs proches, 20 euros de crédit d’appel ont été alloués à chaque détenu·e.

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur l’effectivité de ces mesures dans cette période de crise qui accroît considérablement l’absentéisme d’agents pénitentiaires déjà habituellement sous pression et en sous-effectif chronique. Une autre mesure précise que les détenu·e·s contaminé·e·s seront transféré·e·s à Bruges et les cas graves seront hospitalisés.

Nous pensons que ces mesures sont largement insuffisantes d’une part, pour garantir la santé de toutes et tous ; et d’autre part, pour garantir les droits des détenu·e·s. En effet, face au risque pandémique, dans un espace où la promiscuité physique est exacerbée, les précautions d’hygiène et la distanciation physique sont impossibles à respecter. Cela impacte également les agent·e·s pénitentiaires qui sont débordés et s’exposent tout comme les détenu·e·s à des risques importants de contagion. Ainsi, une augmentation exponentielle des contagions menace nos prisons, ce qui risque d’aggraver la saturation des hôpitaux.

En outre, ces mesures renforcent l’isolement social et les risques psychologiques qui en découlent. Le droit des détenu·e·s et de leurs proches d’entretenir des liens familiaux est gravement menacé, d’autant plus que nous pouvons raisonnablement supposer que les mesures de confinement s’étaleront sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois, comme l’indique le cas chinois. Les cas italiens et français indiquent que des émeutes parfois fatales peuvent éclater dans ce contexte particulier[2]. En Belgique, des troubles ont éclaté à Nivelles, à Termonde et à Saint-Gilles.

Si la décision du Conseil central de surveillance pénitentiaire de suspendre le contrôle des commissions de surveillance en prison (et parle de mettre sur pied une permanence téléphonique) est une précaution sanitaire nécessaire et compréhensible, cette absence ne permet plus d’avoir un regard in situ sur les conditions actuelles de vie détention qui s’annoncent donc particulièrement difficiles, voir mortifères.

En raison de l’épidémie, le parquet, par l’intermédiaire de la procureure Ine Van Wymersch, porte-parole de crise, a décidé de reporter le commencement de l’exécution de certaines peines de prison, afin de limiter les risques de contaminations. Ces reports sont évalués au cas par cas, en fonction de la gravité des infractions et de la dangerosité des personnes condamnées. Si de tels reports sont possibles, des libérations anticipées et des aménagements de peines le sont aussi.

Des réflexions allant dans ce sens sont en cours en Irlande et au Canada. Bien que des juges d’instruction lèvent certains de leurs mandats d’arrêt, ces initiatives restent individuelles et demandent une mobilisation personnelle des avocat·e·s, des greffier·ère·s, des juges et du reste de l’appareil judiciaire, ce qui ne permet ni cohérence, ni sécurité́ juridique, ni respect des mesures de confinement et de distanciation sociale.

Afin de réduire la concentration de la population carcérale, de limiter les risques sanitaires liés aux départs et retours répétés en prison et ainsi contribuer à combattre le pic d’infection, la Direction générale des établissements pénitentiaires demande, par circulaire ministérielle du 21 mars, aux directeurs de prisons d’octroyer un congé prolongé, pour certaines catégories restreintes de détenu·e·s, pour la durée de pandémie du Coronavirus. Si ces mesures vont dans le bon sens, elles ne seront pas suffisantes pour endiguer le phénomène.

C’est pourquoi, nous demandons:

Que, comme ce devrait être le cas pour toutes les personnes vivant dans des conditions précaires ou risquées, il soit organisé un dépistage systématique des personnes détenues et que des mesures sanitaires adéquates soient prises à l'égard des personnes qui répondent positivement au Covid-19.

La libération de toutes les personnes détenues vulnérables (en raison de leur âge ou de leur état de santé général), le plus possible, au moyen de la libération sous conditions si ces personnes sont en détention préventive ou de la libération provisoire ou de la libération conditionnelle si elles sont condamnées. Cela implique de s’assurer que les personnes libérées puissent disposer, à l'extérieur, des ressources humaines et matérielles suffisantes en ces temps de confinement généralisé et de mettre ses ressources à leur disposition si leur environnement extérieur est en défaut.

Le renforcement massif de l’apport de matériel sanitaire et du suivi de la santé des personnes restant détenues.

Le maintien des contacts avec les proches en facilitant encore les contacts téléphoniques (que ce soit avec les familles, les proches, les avocat·e·s et tout autre intervenant·e·s, notamment les psychologues et visiteur·euse de prison) et d’assurer la continuité des relations par tous les moyens possibles.

L’organisation de mesures alternatives efficaces pour pallier l’absence des commissions de surveillance et ce afin de maintenir le contrôle des conditions de vie pénitentiaires d'autant plus fragilisées en cette période. Une recommandation similaire est adressée aux services externes d'aide aux détenu·e·s et à leurs proches et surtout aux services et associations de santé œuvrant en milieu carcéral.

Ces mesures dépassent le seul intérêt des personnes incarcérées. La santé de tous et toutes dépend aujourd’hui de la mise en place rapide et efficace de mesures solidaires, dont aucun groupe social ne peut être exclu. Elles permettent aussi de préserver la santé précaire, tant des personnes incarcérées que des travailleurs et travailleuses au sein de la prison, en leur permettant de réduire les risques de contamination et de circulation du virus. Au risque de voir les prisons devenir un nouvel épicentre pandémique, nous devons prendre les mesures adéquates de toute urgence.

Signataires
Aide Sociale aux Justiciables de Namur - asbl ; ; Association des Visiteurs Francophones des Prisons de Belgique ; Association Syndicale des Magistrats ; Atelier des droits sociaux - asbl ; Avocats sans frontières ; Bruxelles Laïque - asbl ; Collecti.e.f 8 maars Bruxelles ; Dispositif Relais - asbl ; écolo j ; Fly - Centre ambulatoire disciplinaire ; GREPEC - Groupe de recherche en matière pénale et criminelle ; LEGALIA - Cabinet d’avocats ; Les membres de la Commission de surveillance de la prison de Lantin ; Le Mouvement des jeunes socialistes ; L’Observatoire International des Prisons-Belgique ; L’ORS Espace Libre - asbl ; Plate-Forme-Sortants de Prison - asbl ; Prospective jeunesse Relais- asbl ; Enfants-Parents - asbl ; Résilience - asbl ; Service d'Aide aux Justiciables du Centre Social Protestant ; Service Education pour la Santé - asbl;

Déborah Albelice, Avocate ; Henri Bartholomeeussen, Président du Centre d’Action Laïque ; Juliette Béghin, Criminologue et membre du conseil scientifique du Genepi Belgique ; Selma Benkhelifa, Avocate au barreau de Bruxelles ; Sandra Berbuto, Avocate ; Diane Bernard, Professeure à L’USL-B; Thomas Berns, Professeur de philosophie à l’ULB ; Mélanie Bosmans, Avocate ; Denis Bosquet, Avocat ; Chloé Branders, Membre du Conseil scientifique du Genepi Belgique et chercheuse Crid&P ; Robin Bronlet, Avocat au barreau de Bruxelles ; Fabio Bruschi, Chargé de cours à l'UCLouvain et coordinateur pédagogique à l'ARC - Asbl ; Joke Callewaert, Avocat ; Carine Couquelet, Avocate ; Antoine Couvreur, Président de DéFI Jeunes ; Philippine Crespin, Assistante en droit pénal à l’UCLouvain et avocate pénaliste au Barreau de Bruxelles ; Julie Crowet, Avocate ; Sophie Cuykens, Avocate et assistante en droit pénal à l’ULB ; Rosalie Daneels, Avocate à la Cour ; Nadia Dardenne, Chercheuse à l’UCLouvain (CRID&P) ; Bruno Dayez, Avocat au barreau de Bruxelles ; Didier Debaise, Professeur de philosophie à l’ULB ; Dimitri De Beco, Avocat, président de la Commission pénale du barreau de Bruxelles et assistant en droit pénal à l’USL-B ; Florence De Cock, Avocate ; Dominique Defraene, Professeur à l’Ecole de Criminologie de l’ULB ; Romain Delcoigne, Avocat ; Pauline Delgrange, Avocate au barreau de Bruxelles ; Vanessa De Greef, Chargée de recherche au FNRS et professeure à l'ULB ; Cloé Devalckeneer, Coprésidente d’Ecolo J ; Olivier De Schutter, Professeur à l'UCL et membre du Comité d'experts des Nations Unies pour les droits économiques, sociaux et culturels ; Marie-Sophie Devresse, Professeure de criminologie à l'UCLouvain ; Christophe Dubois, Chargé de cours à l’ULiège ; Lola Gautier, Doctorante au FNRS UCLouvain et au CRID&P ; Mona Giacometti, Avocate et doctorante en droit pénal à l’UCLouvain ; Christine Guillain, Professeure à l’USL-B ; David Jamar, Sociologue à l’UMons ; Stéphane Jans, Avocat ; Dan Kaminski, Professeur à l’UCLouvain ; Laurent Kennes, Avocat et professeur à l’ULB ; Arthur Lambert, Coprésident d’Ecolo J ; Loïca Lambert, Avocate au barreau de Bruxelles ; Steve Lambert, Avocat ; Philippe Landenne, Aumônier de prison ; Véronique Laurent, Avocate ; Anne Lemonne, Chercheuse en criminologie ; Christelle Macq, Assistante en droit pénal à l’UCLouvain (CRID&P) ; Christophe Marchand, Avocat ; Jean-Marc Mahy, Educ’Acteur ; Thierry Marchandise, Magistrat et membre de la Commission de surveillance de la prison de Ittre ; Philippe Mary, Professeur à l’Ecole de Criminologie de l’ULB et président d’honneur du Genepi Belgique; Antoine Masson, Professeur à l’Ecole de Criminologie de l’UCLouvain ; Elisabeth Mertens , Animatrice à l’ARC- Asbl ; Thomas Mitevoy, Avocat au barreau de Bruxelles ; Thierry Moreau, Professeur à l'UCLouvain et avocat ; Carla Nagels, Professeure à l’Ecole de Criminologie de l’ULB ; Olivia Nederlandt, Chercheuse FNRS à l’USL-B ; Céline Nieuwenhuys, Secrétaire générale de la Fédération des Services Sociaux ; Joëlle Noël, Avocate ; Delphine Paci, Avocate, membre de l’OIP et assistante en droit pénal et procédure pénale USL-B ; Julien Pieret, Directeur du Centre de droit public de l’ULB ; Magali Plovie, Députée au Parlement de la Région Bruxelles-Capitale ; Marc Preumont, Avocat et professeur à l’ULB ; Elodie Querton, Assistante en criminologie de l’UCLouvain, sexologue et criminologue clinicienne ; Bertrand Renard, Professeur à la faculté de droit et de criminologie à l’UCLouvain ; David Ribant, Avocat, administrateur de la Ligue des droits humain et, assistant en droit pénal à l'Université Saint-Louis de Bruxelles ; Elsa Roland, Chercheuse en science de l’éducation à l’ULB ; Damien Scalia, Professeur à l’ULB ; David Scheer, Chercheur au CLERSE-CNRS ; Sarah Schlitz, Députée fédérale Ecolo; Thibaut Slingeneyer, Chargé de cours à la faculté de droit et de criminologie de l’UCLouvain et à L’USL-B ; Isabelle Stengers, Philosophe ; Michel Syllin, Professeur à la Faculté de Sciences psychologiques et de l'Éducation et à la Faculté de Sciences sociales et politiques/Solvay Brussels School of Economics and Management de l’ULB ; Virginie Taelman, Avocate ; Léa Teper, Avocate au barreau de Bruxelles et doctorante à l'UCLouvain (CRID&P) ; Cedric Tolley, Sociologue et coordinateur du Conseil scientifique du Genepi Belgique ; Catherine Toussaint, Avocate ; Françoise Tulkens, Ancienne juge et vice-présidente de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ; Martin Vander Elst, Anthropologue à l’UCLouvain ; Damien Vandermeersch, Professeur à l’UCLouvain et à l’USL-B ; Véronique Van Der Plancke, Avocate au barreau de Bruxelles et collaboratrice scientifique au sein de l’Institut pour la recherche interdisciplinaire en sciences juridiques de l’UCLouvain ; Patrick Van Elewyck, Membre de la Commission de surveillance de la prison de Ittre ; Aurélie Verheylesonne, Avocate, assistante en droit pénal et en procédure pénale à l’ULB/Umons et commissaire de surveillance à la prison de Forest et de Berkendael ; Luk Vervaet, Ancien enseignant dans les prisons ; Benedikte Zitouni, Professeure de sociologie à l’USL-B.

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