dimanche 5 avril 2020

Vivre le coronavirus dans une prison marocaine est une véritable calamité, par Marie-Jo Fressard (Solidmar)


Marie-Jo Fressard, au centre,
 avec Khadija Ryadi
 et Luk Vervaet 
Vivre une épidémie en prison est une très difficile épreuve, vivre le coronavirus dans une prison marocaine est une véritable calamité.

Devant l’incroyable vitesse de propagation de la pandémie et les dizaines, voire centaine de milliers de morts dans le monde depuis le début de l'année, des appels urgents ont été lancés par d'importants organismes comme celui de Michelle Bachelet, la Haut-Commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU  qui demande la libération urgente de certaines catégories  de détenus pour éviter que la pandémie de Covid-19 ne fasse des "ravages" dans les prisons et au de- là ; par la Croix Rouge, et par de nombreuses ONG nationales et internationales.

Des États ont déjà décidé de libérer des détenus , en particulier des prisonniers d'opinion et des prisonniers politiques, considérés comme  moins dangereux pour la société, alors qu’en engorgeant les lieux de détention, ils participent à la propagation du virus, mettant en péril la santé et la vie des prisonniers de droit commun, et celle du personnel pénitentiaire qui pourraient à leur tour, propager le virus en ou hors de prison.

Luk Vervaet, ancien enseignant dans les prisons en Belgique, a lancé dès le 13 mars un appel urgent : « Les mesures prises contre le coronavirus au niveau de toute la société nous rapprochent tous du vécu des personnes détenues dans les lieux fermés : les prisons, les centres de détention pour réfugiés ou les hôpitaux psychiatriques. Cette crise nous apprend en même temps que nous avons créé des formes et des conditions de détention pour les exclus de notre société, qui sont déjà inacceptables en temps normal, mais qui, lors d’une crise comme on la connaît aujourd’hui, ne permettent pas d’assurer la santé des personnes détenues. Ce qui menace à son tour la santé publique au sein de la société dans son ensemble.
Nous savons tous que des milliers de personnes détenues sont aujourd’hui obligées de vivre les unes sur les autres et qu’ils n’ont qu’un accès limité aux soins et aux produits d’hygiène. Aujourd’hui, pour faire face à la crise corona, les autorités prennent des mesures supplémentaires d’isolement, dont l’interdiction des visites des familles ou l’annulation des cours et d’autres activités, déjà extrêmement rares en temps normal. La réaction de désespoir et de révolte contre cet isolement renforcé ne s’est pas fait attendre. » 

Les prisons du Maroc

 Le régime marocain bat des records en nombre de prisonniers par rapport à ses voisins. Par exemple en Espagne, où avec une population de 46,8 millions d'habitants, soit 10 millions de plus qu'au Maroc, il y a 27 250 prisonniers de moins qu'au Maroc.

Les conditions de vie des détenus y sont déplorables. Des ONG marocaines et d'autres pays ont demandé depuis des années la libération de prisonniers politiques et d'opinions, qui sont plus d'un millier dans des prisons surpeuplées du Maroc. 

Première ONG à réagir, l’ASDHOM titre son article : « Libérez tous les prisonniers politiques et d’opinion au Maroc»,  dont font partie ceux du Hirak du Rif (et de  Jerada). L'AMDH   considère que «le moment difficile que traverse aujourd’hui l’humanité toute entière et le Maroc en particulier, peut être celui d'une détente démocratique qui met fin aux violations des droits humains et ouvre la voie vers un État démocratique et respectueux des libertés, et que les autorités marocaines fassent preuve d'intelligence et de sérieux dans le traitement de ce dossier.» Nous l'espérons tous !

Plus récemment, selon le journaliste d'investigation Hicham Mansouri, dans l’espoir de lancer une nouvelle trajectoire pour «la réconciliation nationale » et d’alléger la surpopulation des prisons, une pétition lancée par des militants des droits humains a appelé à « libérer tous les prisonniers politiques et les prisonniers d’opinion, ainsi que les prisonniers des mouvements sociaux, y compris ceux du mouvement du Rif ». La libération des  mères, des personnes âgées et des malades est également demandée. Seul progrès notable jusque-là est la suspension de la tradition du baisemain à Sa Majesté, un protocole jugé par nombre d’activistes « révolu » et « humiliant »... et risqué pour sa majesté. Cette crise a également montré la fragilité des services publics et l’erreur qu’a été la marginalisation de secteurs vitaux jugés non rentables, comme la santé ou l’enseignement. « Le régime a continué à miser sur la sécurité, à tel point que c’est aujourd’hui le ministère de l’intérieur qui contrôle les autres ministères. », a commenté son ami Maâti Monjib.(...) Le haut-commissaire à la planification Ahmed Halimi estime que la crise a prouvé l’échec cuisant du néolibéralisme sauvage, qui a tenté de faire croire que le marché et le secteur privé pouvaient tout assurer. L’année 2020 sera la pire pour l’économie marocaine depuis 1999 » « Le retour à l’État social s’impose.

Que fait le Maroc pour lutter contre l’engorgement de ses prisons surpeuplées ?

Alors que l'Egypte, l'Algérie, la Birmanie, les USA, le Nicaragua, la Colombie, le Burundi, la RDC, et d'autres pays désengorgent leurs prisons, le Maroc a pris comme mesure pour aérer les geôles ...d'alterner les ateliers par demi-journées, pour les prisons qui en sont pourvues.

Les conditions d'emprisonnement et de travail des médecins et du personnel y sont déplorables. Ayour Anoual, médecin marocain, publie sur Internet son cri de désespoir (extraits) :

« Ce matin je me prépare à assurer une garde, avec mon avant dernier masque...A ce jour , le 27 mars, 11 médecins sont atteints au Maroc, sans compter ceux qui ne sont pas testés ! Contrairement aux policiers, nous n’avons pas de masques mis à notre disposition. Nous sommes peut- être infectés et l’examen clinique nous oblige à être tout près du malade. Pourquoi n’avons nous pas droit à des tests lorsque nous avons des symptômes ??? Certains médecins et paramédicaux ont demandé des hôtels, pas pour le luxe mais pour que le personnel soignant ne contamine pas leurs familles. Plusieurs médecins présentant des symptômes inquiétants se sont vus refuser le test alors qu’un ministre a été testé et mis sous tous les traitements sans signe de gravité!!! Pas le médecin qui s’est occupé de lui !
Dans l’intérêt de tous, demandons à avoir de quoi nous protéger et à être dépistés et isolés si nous sommes positifs !
Trop c’est trop!!! »

Le 31 mars, Reda Mouhsine journaliste de www.h24info pose enfin la question : Coronavirus: qu’attend le Maroc pour désengorger les prisons?

Photo Bladi.net 2017 DR 
On sait que la situation carcérale dans le royaume est pourtant alarmante. Le taux d’occupation des prisons dépasse les 300% et le pays ne compte que 82 établissements pénitentiaires pour plus de 80.000 détenus. Les appels à libérer certaines catégories de prisonniers se sont pourtant multipliés ces derniers jours, à l’instar de celui publié par l’Observatoire marocain des prisons (OMP) qui estime qu’il est urgent de libérer plusieurs détenus, compte tenu de la «vulnérabilité des populations carcérales de par leur confinement et leur promiscuité, aggravée par la carence criante d’infrastructures et de personnels soignants dans les établissements pénitentiaires».

L’OMP recommande notamment de libérer immédiatement les détenus devant sortir en mars 2020, de libérer les mineurs en attente de procès, de libérer les personnes âgées de plus de 65 ans ou encore de libérer les prisonniers d’opinion et les militants pacifiques. Cet appel a été partagé par plusieurs acteurs de la société civile marocaine.

L’ancienne présidente de l’AMDH, Khadija Riyadi ne cache pas son inquiétude. «Les conditions d’incarcération sont très mauvaises. Nos prisons sont surpeuplées. Nous soutenons à 100% les recommandations émises par l’OMP et nous estimons qu’il faut absolument donner la priorité aux prisonniers politiques et aux prisonniers d’opinion». Ce sont des milliers de détenus que le Maroc devrait libérer, d’autant que «la moitié des prisonniers sont des détenus en attente de jugement.»

Le Maroc va s'inspirer des autres pays pour imposer à la société certaines règles pour faire respecter le confinement. Il va même jusqu'à envoyer dans les rues les forces de l'ordre et des blindés «pour rassurer et dissuader les désobéissances». Mais il n'est toujours pas question de désengorger les prisons.

Selon Maâti Monjib « Sur le plan théologique, pour le Marocain, Dieu ne saurait se mettre en colère contre un peuple croyant, mais uniquement contre les tyrans qui ne respectent pas la religion, la justice et la volonté divine. Et dans un pays où la majorité écrasante croit profondément que la volonté divine est au-dessus de celle du roi et des autorités, « cela ne peut qu’affaiblir la légitimité religieuse du régime ». Car « selon la mentalité dominante, si l’autorité est bonne et qu’elle suit le chemin de Dieu, de telles choses qui menaceraient l’existence des musulmans ne sauraient advenir ».

Devant la précarité des infrastructures et des services sanitaires, se tourner vers Dieu reste pour beaucoup le seul refuge. À Tanger, à Tétouan (nord du pays) et à Fès, des habitants ont ainsi scandé : « Dieu est grand, et Il est le seul capable de nous aider ! » (
Hicham Mansouri  Orient xxi : «Le roi, le coronavirus et "la volonté divine»)

Être Sahraoui en prison marocaine, à l’est ou à l’ouest du mur

Depuis 1975, année de l’annexion du Sahara Occidental par le Maroc, les familles sahraouies sont séparées. Une partie de la population a fui les chars et les bombardements au napalm pour se réfugier en Algérie, dans la région proche de Tindouf. Les autres sont restés dans leur pays. Après cette occupation illégale, le Maroc, aidé par la France et Israël, a érigé un mur de 2700 km destiné à protéger ses précieux bien pillés sur terre et en mer sahraouies.

À l’ouest du mur, dans “les territoires occupés ” par le Maroc, les emprisonnements sont presque journaliers, basés sur des “ aveux” arrachés sous la torture .

À l’est du mur, dans les “ territoires libérés” par le Polisario, et en Algérie dans la région désertique de Tindouf, les réfugiés se sont installés “provisoirement”, pour déjà 45 ans de vie précaire, mais de jouir de la liberté.

Toujours séparés par le mur, les Sahraouis vont vivre le coronavirus de manière très différente.

Le 22 mars 2020 Brahim Ghali, le président de la République du Sahara Occidental a attiré l'attention du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, sur la situation dangereuse dans laquelle se trouvent les prisonniers civils sahraouis en prisons marocaines, appelant l'ONU à intervenir d'urgence pour les libérer immédiatement afin d'éviter une tragédie humanitaire dans les prisons, compte tenu de la propagation du nouveau coronavirus.

L'absence de conditions sanitaires dans ces prisons marocaines surpeuplées avait déjà entraîné de nombreux désagrément pour la santé de ces détenus sahraouis, ce qui laisse présager « des conséquences désastreuses imminentes » avec les risques d'infections par le coronavirus.

Ces prisonniers civils sahraouis sont emprisonnés pour avoir réclamé leur droit à l'autodétermination et à l'indépendance, un droit garanti par la Charte et les résolutions des Nations Unies, mais non accepté par l’occupant : procès militaires, répression violente, tortures, pillages des biens et expulsions loin de leurs familles. « Au fur et à mesure que l'épidémie de Corona se propage, les maintenir dans ces conditions est carrément du terrorisme et une action irresponsable ; la communauté internationale ne peut rester indifférente à un tel mépris de la vie humaine ».

Dans son rapport annuel de 2019 sur les droits de l'Homme, l’ONG américaine HRW a rappelé  « la détention continue de 23 Sahraouis par le Maroc après avoir été condamnés à la suite de procès inéquitables en 2013 et 2017 sur la base d'aveux forcés, sans enquête sérieuse sur leur torture physique dans les postes de police et de la gendarmerie, après les affrontements qui ont éclaté suite au démantèlement violent et sanglant par les autorités marocaines du camp de protestation Gdeim Izik près d'El-Ayoun occupée, en 2010 ».

Ensemble, nous résisterons 

Le 31 mars, des Sahraouis lancent une campagne de solidarité avec l'Espagne, l'Italie et l'Algérie : « Ensemble, nous résisterons » en solidarité avec ses voisins espagnol, italien et algérien, touchés par la pandémie de coronavirus, pour remercier du soutien reçu durant les quatre dernières décennies d'occupation. 
« Nous parlons d'expérience, nous avons pratiquement vécu dans une sorte de quarantaine depuis 45 ans et ça continue à ce jour », déclare à Efe son co-fondateur, Mohamedsalem Werad, du camp de réfugiés de Smara, dans la région désertique algérienne de Tindouf.

Il rappelle comment les peuples d'Espagne et d'Italie ont apporté leur aide depuis l'occupation marocaine en 1975, en accueillant des centaines d'enfants chaque été et en envoyant des caravanes médicales et de l'aide humanitaire. En outre, ils n'oublient pas le rôle de l'Algérie, qui a accueilli la moitié de la population sahraouie, à laquelle elle a offert une protection internationale.

Jusqu'à présent, les autorités sahraouies affirment qu'il n'y a pas eu de cas positifs ni même de soupçons de contagion dans les camps, bien que 21 personnes soient en quarantaine préventive après être rentrées d'autres pays.

Préoccupé par les effets de l'épidémie, le Front Polisario a ordonné le bouclage du périmètre avec l'Algérie le 19 mars, la fermeture de toutes les communications terrestres et aériennes, la fermeture des espaces publics, la suspension de toutes les manifestations sociales, culturelles et sportives ; il a limité les déplacements entre les camps et a renforcé les mesures de surveillance sanitaire et de prévention.

Le conflit dans l'ancienne colonie espagnole du Sahara occidental a commencé à l'automne 1975 lorsque les troupes marocaines ont profité de la faiblesse de la fin de la dictature franquiste pour prendre le contrôle du territoire. L'occupation a déclenché une guerre avec le Maroc impliquant la Mauritanie, qui a été suspendue en 1991, lorsqu'un cessez-le-feu a été déclaré et qu'un référendum sur l'autodétermination supervisé par l'ONU a été convenu.

Depuis lors, Rabat et la République arabe sahraouie démocratique (RASD), reconnue par l'Union africaine, se battent pour la mise en œuvre du référendum, s’affrontant sur la questions des listes électorales. 


Dans l'intérêt de tous, militants des droits de l'Homme ou non, pour tenter d'étouffer le virus, les prisons devraient être vidées au maximum. 

Les militants du Hirak du Rif purgent des peines de de 2 à 20 ans pour avoir exprimé leur besoin urgent d'hôpital, d'université, ou tout simplement d'emploi, ce qui bien sûr, ne représente aucun danger pour leurs compatriotes, qui ont les mêmes revendications depuis des années. Et il faudrait libérer en priorité les nombreux enfants prisonniers rifains, parfois âgés à peine de plus  de 10 ans, pour avoir suivi les manifestations des ainés, internés pendant plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois ou même plusieurs années pour des adolescents, humiliés, torturés.

 Il faut aussi libérer d'urgence les prisonniers politiques sahraouis, en prisons marocaines dans des conditions effroyables pour avoir demandé que soit organisé le référendum d'autodétermination que le Maroc leur refuse. Des peines de prison allant de deux ans à la perpétuité. 

De nombreux militants marocains, eux aussi arrêtés et torturés pour avouer des crimes et être désignés comme "droits communs" :  des jeunes du Mouvement du 20 février 2011, réclamant la démocratie et la justice sociale, qui côtoient tant de compatriotes qui, eux aussi réclament la justice sociale, la grande absente du "plus beau pays du monde " !


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Marie Jo Fressard
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