dimanche 15 novembre 2020

La nuit de Noël en prison, je voudrais l'effacer de ma mémoire, par Marcus


Avec vingt années de prison derrière moi, la chose la plus troublante restera sans nul doute, les réveillons de Noël. Je voudrais effacer de ma mémoire cette nuit de fête. 

Si pour vous, le réveillon commence dans la soirée, il en est tout autre à cet endroit. Je me souviens qu'à cette occasion, le souper avait été servi aux environs de dix-huit heures, dans le large couloir des cellules, sur les quatre tables servant à jouer aux cartes, sans nappe ni déco évidemment. 

Toute l'aile pouvait, jusqu'à neuf heures, se distraire calmement. Une personne apporta sa radiocassette pour cette unique occasion. Pour seules boissons, nous n'avions que celles fournies par la cantine. Ambiance très froide me direz-vous ? C'est la prison et tout vous le rappelle. 

La chose qui me troubla fut de voir des hommes danser seuls, ce qui réveilla chez moi le spectre d'un dictateur Chilien auquel Sting consacra une chanson" She dances alone ". 


A huit heures quarante-cinq , les gardiens réapparurent, un gamin court vers moi avec une tasse vide; son trio n'a même pas du café en cette nuit. Ils sont nombreux à chercher dans cette dernière minute, une aide matérielle si infime soit-elle. Un autre me demande si je n'ai pas un peu de tabac car le service social débordé, il n'a pu fournir que des demis paquets.  

La nuit la plus longue de l'année peut maintenant commencer, loin de tous ceux que l'on aime, accroché aux programmes TV de celui qui en a payé la location.

A minuit pile, il se passe quelque chose qui n'arrive nulle part ailleurs : le concert des exclus de notre société peut commencer.  Chacun prend son plateau ou sa cafetière métallique et attend derrière sa porte le coup d'envois, on frappe alors de toutes ses forces et le plus longtemps possible sur cette porte fermée ou sur les barreaux pour rappeler à ceux qui nous auraient oublié, que nous sommes encore là, encore vivant. C'est un délire de quelques minutes auquel évidemment je ne déroge. Ce rituel, je l'ai vécu à maintes reprises sauf une fois ; c'était à la prison de Tournai, j'étais parvenu à soudoyer un gardien qui m'apporta un litre de vodka. Je me rappelle surtout du réveil, au cachot, et à poil, le lendemain du 25 décembre. 


 Noël, c'est aussi le colis que l'on peut recevoir. Comme dans les champs de batailles ou encore dans les camps sauf que l'administration y met son nez. Pas de parfum, pas de boîtes, pas de pralines, pas de plats préparés, pas de gâteaux! Que reste t-il me demanderez-vous? Demandez-leurs, je ne suis pas devin. 

De toute façon, pour avoir un colis, il faut avoir de la visite. 

Pour avoir un colis , il faut d'abord exister pour quelqu'un ! " 

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