Les détenus dénoncent les conditions de détention des quartiers de haute sécurité
Certains détenus passent plus d'un an dans les quartiers de haute sécurité, en isolement total, sans pouvoir bénéficier d'aucune activité ou interaction avec tout autre prisonnier, automatiquement menottés à toute sortie de cellule, y compris lors de la visite de leurs avocats. Farid Bamouhammad, par exemple, porte menottes aux poignets et chaînes au pied de façon systématique lorsqu'il se déplace pour faire 15 mètres afin de se rendre à la douche ou au préau individuel. Pour Messieurs Benallal et Bamouhammad, aujourd'hui en grève de la faim, s'additionnent à la sévérité accrue de leur régime carcéral particulier l'éloignement familial et l'impossibilité, de ce fait, de recevoir des visites ainsi que le problème de la langue des agents pénitentiaires, qu'ils ne maîtrisent pas.
Les Quartiers de Mesures de Sécurité Particulières Individuelles (QMSPI), plus communément appelés Quartiers Haute Sécurité, ont été créés en juin 2008, à Lantin et à Bruges. L'OIP et la Ligue des Droits de l'Homme récoltent, depuis leur ouverture, de nombreuses informations particulièrement interpellantes quant au régime carcéral qui y est imposé.
Le CPT1, qui a visité le QMSPI de Bruges en 2009, a constaté que la plupart des détenus qui s'y trouvaient ne répondaient pas aux conditions de placement au sein de ces unités spécialisées censées n'accueillir que des détenus dont le comportement actuel en détention pose problème. Dans les faits, on y trouve davantage d'internés, de personnalités médiatisées ou d'individus potentiellement dangereux sans faits avérés.
La sévérité du régime s'additionne à une infrastructure qui pose question : aucune possibilité de vue vers l'extérieur de par l'érection de hauts murs à deux pas des barreaux, éclairage puissant de projecteurs extérieurs empêchant les détenus de dormir la nuit (Bruges), nourriture systématiquement froide, manque d'activité et de stimuli, interdiction totale de contact entre prisonniers pour l'écrasante majorité d'entre eux.
Certains détenus voient leur régime en QMSPI prolongé sans fin alors que, de l'avis même de la direction et du personnel de Bruges, l’expérience a montré qu’un séjour au sein du QMSPI de plus de six mois s’avérait généralement contre productif2 . Rappelons encore que malgré qu'il soit prévu dans la loi Dupont3, le droit d'interjeter appel contre la décision de placement en QMSPI n'est pas entré en vigueur.
Un tel régime entraîne des conséquences dramatiques pour les reclus : plusieurs incidents nous ont ainsi été rapportés. Émeutes collectives et destruction de cellule, tant à Lantin qu'à Bruges, incendie de cellule, tentatives de suicide, jusqu'à la destruction générale du QMSPI de Lantin en janvier 2010.
Selon le CPT, « à l’évidence, le projet initial - la création d’unités spécialisées pour le traitement des détenus présentant une agressivité extrême, lancé quelques 18 mois auparavant - avait déjà été largement détourné de son objectif »4 dès 2009. Il s'apparente davantage à un système d'isolement sévère et total.
De plus, ces QMSPI avaient été mis en place pour mettre fin au « carrousel pénitentiaire », pratique consistant à transférer les détenus difficiles d'une prison à une autre de manière régulière. Or, force est de constater que cette pratique a toujours cours. L'Etat belge a été condamné pour traitement inhumains et dégradants envers la personne de Monsieur Bamouhammad pour, entre autres, les raisons suivantes : transfèrements successifs, menottages systématiques, placement en régime de sécurité particulier individuel pendant plus d'un an sans justification appropriée.5 L'Etat belge s'étant pourvu en appel de cette décision, le carrousel pénitentiaire, les menottes et entraves aux pieds ainsi que les placements en QMSPI continuent.
Cette situation illustre la difficulté à donner un sens aux longues peines de prison, sans perspectives d'amélioration des conditions d'incarcération ni mise en place d'un régime de détention ouvrant des possibilités de reconstruction personnelle. Dans les faits, c'est tout le contraire qui se produit : les longues peines de prison aboutissent à des effets déstructurants, dépersonnalisants et destructeurs. Force est de constater que l'administration pénitentiaire ne trouve pas les moyens adéquats afin de gérer ces situations qu'elle participe à engendrer.
L'OIP et la Ligue des Droits de l'Homme prônent la fermeture pure et simple des Quartiers de Mesures de Sécurité Particulières et appellent le monde politique et judiciaire à une réflexion de fond sur le sens même, pour la société, les victimes et les auteurs, des longues peines privatives de liberté, aux effets particulièrement néfastes. |
Pour l'Observatoire International des Prisons – section belge,
Florence Dufaux
Pour la Ligue des Droits de l'Homme,
Manu Lambert
1 Comité pour la prévention de la Torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l'Europe.
2 CPT, Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le
Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou
dégradants (CPT) du 28 septembre au 7 octobre 2009, Strasbourg, 23 juillet 2010, p. 45.
3 Loi de principe concernant l'administration des établissements pénitentiaires et le statut juridique des détenus, 12/01/2005.
4 CPT, Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 28 septembre au 7 octobre 2009, Strasbourg, 23 juillet 2010, p. 43.
5Arrêt de la 6ème chambre du Tribunal de Première Instance de Liège, Bamouhammad contre Etat belge, 22/03/2010.
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