mercredi 31 août 2011

Jean-Marc Mahy, l'ange gardien de la prison-musée de Tongres

Il y a des rencontres qui vous marquent pour la vie.

Ce fut le cas avec Jean-Marc Mahy. Je l'ai rencontré pour la première fois à Bruxelles, il y a cinq ans. J'étais dans le public, au Pianofabriek à Saint-Gilles, parmi des jeunes qui étaient venus l'écouter, lui et son ami Jean-François Lenvain, lors d'une de leurs nombreuses tournées de témoignage sur la détention et ses conséquences.

C'était peut-être dû au fait que Jean-François enseignait la religion dans les écoles les plus difficiles de Bruxelles, mais, tous les deux, ils me faisaient penser à des prêtres en mission ou en croisade. Prêchant contre le mal, qui pourrait arriver aux enfants du peuple si on ne s'occupait pas d'eux et de leur enseignement et si on ne leur offrait pas une issue à leur situation de désespoir.


Le discours de Jean-Marc n'était pas complaisant ou paternaliste. Il ne l'est jamais. Il ne cherche pas d'excuses, ni pour lui-même, ni pour les jeunes face à lui. Il a un style direct, il déclenche une avalanche d'idées qui interpellent, sans arrêt, sauf pendant la pause quand il va fumer sa cigarette. Il propose une réflexion, basée sur l'expérience de sa vie et de ses anciens co-détenus. Il confronte les jeunes, issus du milieu populaire, avec le choix à faire entre la délinquance et la vie, si difficile à vivre soit-elle. Depuis ce jour, le courant est passé entre lui et moi. On ne s'est plus perdu de vue depuis, bien qu'on soit chacun occupé à des choses tout à fait différentes.


Ils sont rares, ceux qui survivent à une incarcération qui a duré presque deux décennies. Nombreux sont ceux qui finissent par mettre fin à leur vie, physiquement ou socialement. Jean-Marc est une de ces personnes qui a survécu. Il a su transformer la souffrance et la violence carcérale vécue, en témoignage. Il est ainsi devenu un professeur pour les jeunes en difficulté et un acteur de société d'une qualité rare. Aidé par des professionnels du métier, il recourt au film, au théâtre et à l'écriture pour transmettre son message. Il réalise les dossiers pédagogiques qui accompagnent son travail. C'est un travail unique dans son genre. Je l'ai retrouvé en Irlande du Nord dans l'association ESC (l'Educational Shakespeare Society) lorsque des ex-détenus expriment leur vécu à travers des œuvres de Shakespeare transformées selon leur réalité.


En même temps, je l'ai vu ramer contre vents et marrées avec sa maigre allocation de chômage. parce que son travail n'était pas valorisé par les autorités et les scientifiques de l'incarcération. La surpopulation carcérale, les évasions, les suicides en prison... tout le monde sait que la Belgique et l'Europe sont confrontées à un énorme problème de société. Mais ceux qui nous dirigent n'ont souvent que deux mots magiques pour réponse : la sécurité et la répression. Veulent-ils vraiment trouver une solution? En octobre 2008, j'étais invité à l'Université Libre de Bruxelles pour parler de l'éducation en prison lors d'un colloque sous le titre : « États généraux sur les conditions carcérales en Europe ». Sur cette éducation en milieu carcéral, j'ai dit : « Si on veut vraiment que le droit à la formation en prison, reconnu par la loi, devienne une réalité, on a besoin de centaines de forces en plus...Il faut en premier lieu engager des gens de terrain. Il y a plein de gens compétents qui sont au chômage et qui pourraient avoir une contribution importante et décisive dans les prisons mais qui sont tenu à l’écart et qui sont condamnés au chômage ou même à la précarité. Je vois différentes catégories dans lesquels il faut puiser des forces : les ex-détenus comme Jean Marc Mahy qui se sont formés professionnellement comme éducateur spécialisé ; des membres de familles de détenus comme Samira Benallal, et en général du personnel issu de l’immigration ; des membres de famille de victimes qui pouvaient jouer un rôle positif comme Tinny Mast ou la grand-mère de Luna ; des acteurs du monde du travail qui ont et une expérience de la vie de l’immigration et une expérience du monde du travail et syndical, comme Roberto D’Orazio ou Silvio Marra ; des travailleurs au chômage, ou préprensionnés ou pensionnés qui ont une connaissance des métiers et de la technique. Le travail des scientifiques, du secteur artistique devait se mettre au service de ces gens là et ils devaient arrêter de considérer les prisons comme un Zoo. ». Trois ans plus tard, seul le nombre de détenus a explosé et avec lui, le nombre de nouvelles prisons qui ne fera qu'augmenter dans les années à venir. Quant au nombre de personnes à engager, que je citais dans mon intervention, lui, il n'a fait que stagner.


C'est Jean-Marc qui m'a fait connaître la prison-musée de Tongres. Ouverte au public depuis 2005, cette unique prison-musée en Belgique avait déjà accueilli près de 200 000 visiteurs.

Jean-Marc y organisait régulièrement des visites guidées pour des jeunes en difficulté et même pour les tout petits du primaire. De nombreuses classes et associations ont ainsi pu y découvrir les différentes cellules, les douches, la promenade ou la surveillance et comprendre à quoi peut ressembler une vie en prison. Jean-Marc était devenu en quelque sorte l'ange gardien de cette prison. Il était convaincu que cette prison-musée était un trésor pédagogique et qu'une seule visite valait bien plus que tous les discours moralisateurs que l’on peut tenir à des jeunes. Il les rassemblait au préau et leur parlait de ses expériences derrière les barreaux. Il les confrontait à la réalité carcérale, qui était bien mise en évidence dans cette prison. Chaque cellule y était aménagée pour représenter une émotion : le temps qui passe, la frustration, la (l’in)justice. Réalité bien moins séduisante que les récits de fiction ou ceux des copains qui « crânent » après une expérience de détention.

Et puis, coup de tonnerre! Juste avant les grandes vacances 2007, nous apprenons que, faute de subsides, la prison musée de Tongres fermera ses portes en novembre pour être réaffectée comme prison pour 35 jeunes délinquants. Ce choix illustrait bien la politique sans perspectives vis-à-vis de la (jeune) délinquance en Belgique. C'était une gifle pour toutes ces personnes, éducateurs et éducatrices, qui essayaient de trouver des pistes alternatives à la prison. Comme le disait Christophe Rémion dans une tribune « Les éducateurs en colère » : « Les places dans les prisons "déguisées" ne doivent pas augmenter, mais diminuer. Ce n'est pas la prison qui freine la délinquance (que du contraire), mais bien le relationnel qui diminuera le nombre de demandes de prises en charge. Tout le monde sait, en effet, que l'emprisonnement, ou toute autre forme d'écartement à trop long terme, renforce la délinquance, l'accentue et, de plus, risque de détruire tout le travail qui a déjà été fait en amont. Tout le monde sait, mais on continue. C'est un bel exemple de délinquance adulte. Certaines personnes devront, bien sûr, inévitablement être placées car elles représentent un réel danger, mais aujourd'hui, il faut, dans la mesure du possible, tenter d'autres pistes qui existent, fonctionnent, et ne sont pas plus coûteuses. Elles ne demandent qu'à être exploitées. Quand allons-nous être écoutés et respectés dans notre travail ? Est-ce si fatiguant de trouver de l'énergie pour renforcer, quand c'est possible et que le jeune s'y prête, une autre dynamique qui donne des résultats et qui n'est pas plus onéreuse ? Il faut multiplier les projets éducatifs et créer des postes d'éducateurs qui suivront le jeune sur plusieurs années. »

C'est dans cet esprit que Jean-Marc et moi avons décidé de nous lancer dans une campagne « Sauvons la prison-musée de Tongres ». Pour que la prison-musée de Tongres soit conservée et développée en tant qu’outil d’un réel projet pédagogique de prévention. Aidés par la Revue Nouvelle, nous avons lancé un appel national, cosigné par quelques centaines de magistrats, professeurs, politiciens, acteurs de terrain des prisons et de la protection des enfants. Il a été suivi par des cartes blanches dans les journaux, une conférence de presse et même une manifestation à Tongres de quelques centaines de personnes.


Les ministres compétents n'ont jamais répondu à nos lettres ou à nos demandes d'être reçus pour plaider notre cause. Et puis, il y a eu une dernière activité à la prison-musée de Tongres, avant sa transformation en prison pour jeunes. C'était le 27 septembre 2007, quand l’Open VLD et Patrick Dewael y ont organisé leur bal politique annuel sous le nom de « Jailhouse Lounge ». L’invitation spécifiait que l’objectif était de renouveler la tradition des bals politiques. Elle insistait sur cette dernière occasion d’apprécier « l’atmosphère unique de la prison de Tongres avant sa transformation en une prison pour jeunes ».

Pour illustrer l'incompréhension et l'indifférence de ceux qui nous gouvernent, on n'aurait pas pu trouver mieux.

Luk Vervaet, août 2011

2 commentaires:

  1. Merci pour cette rencontre, ce partage avec cette personnalite qui pronne l espoir....
    dommage pour la fermeture du Musee de Tongres pour en faire une nouvelle fabrique de l exclusion.

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  2. Merci pour cette réflexion, c'est comme tu dis : l'espoir versus exclusion.

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