mercredi 22 février 2012

Le Journal de Souad : Malines

 Photo Marcel Mussen


Malines.

Après Arlon, Bruges, Merksplaats, voilà la prison de Malines.
Le samedi, je m'y rends et de temps en temps je résiste : je préviens mon frère le vendredi que je ne viendrai pas.
J'ai 20 ans, je veux réussir, j'essaie de me détacher car, après les peines de prison purgées, il y a bien sûr le retour à la maison.
Avec le retour à la maison il y a, après quelques semaines au grand maximum, le retour de la drogue.
Alors cela implique leur changement ou leur isolement mais rien ne se passe comme on l'aurait souhaité, rien n'a abouti, la déception est trop grande.
J'essaie de me durcir mais ma raison me rattrape : je sais que la drogue nécessite un suivi et pas une condamnation de 4 ou 5 ans purgés aux deux-tiers pour les récidivistes. Mais dites-moi comment on ne récidive pas, dites-le moi ?
Qui a réussi à nous apporter cette solution entre 4 murs et l'éveil, l'horreur de se retrouver à nouveau enfermé ?
Combien de fois j'ai vu mon frère derrière le carreau dans un état piteux, sanglots ravalés pour ne pas me heurter.
Qui libérera ma mémoire ? Lui, chaque fois qu'il est libre il s'endort, mais moi je n'y arrive pas. Cela veux dire que pour l'heure nous devons nous préparer à l'éventualité de perdre 4 membres de la famille.
Je sais aussi qu'après une certaine limite on est en danger, et nous en avons fait l'expérience.
Alors, combien de familles vivent ce drame et surtout dans quelles circonstances prévoit-on la réinsertion de ces enfants ?
La période où mon frère est à Malines.
Ma sœur est décédée cet été, c'est un drame qui nous désunit en apparence mais on souffre tellement...
Lui, je le vois comme un zombie, il tourne à vélo pour s'approvisionner, il se reproche tellement de choses et on se reproche mutuellement des choses dans un silence qui nous tue. C'est une arme à double tranchant : on s'aime mais on s'aime mal.
Puis, un jour comme un autre, j'arrive de mes cours : arrestation spectaculaire pour un gars qui ne tient même pas debout.
Je m'en souviens comme si c'était hier. Ma mère ne dit plus rien. Elle a perdu dans un accident, il n'y a même pas trois mois, sa fille de 10 ans.
Elle nous aime et nous accuse, elle nous blesse et nous, on culpabilise et on fini par l’éviter.
J'ai enfilé un costume qui ne me sied guère, j’arrête pas de sortir ; le vide, ce vide m'habite de plus en plus.
Je sors mais ne me sens bien nulle part, je vais tout de même aller à Malines plus d'un an et demi.
Quand, à des moments de ma vie, je suis heureuse, je suis rattrapée, encerclée. Comment vivre la joie dans des circonstances pareilles. Pour l'heure, peu m'importe si on me juge : c'est ma vie et c'est ainsi que je l'ai vécue.

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