(Photo Gianni Candido)
La salle d'attente est pleine à craquer, l'odeur de la cigarette est étouffante.
Pourtant il faut rester à l'intérieur, dehors il fait trop froid, mais pas plus froid que dans mon for intérieur.
Je décide d'ouvrir la porte de cette maudite salle d'attente qui possède pour unique garniture des casiers pour ranger les objets avant de passer aux parloirs.
Je respire de grandes bouffées d'air et cela me fait du bien car j'ai l'impression que le vent va m'étouffer à jamais et que je n'aurais pas à affronter le spectacle qui nous attend, ma belle-sœur et moi.
C'est la femme de l'aîné de la famille, je sais que ce sera un supplice ; j’appréhende mais c'est plus que ce sentiment ; c'est la logique.
Les heures passent, peut-être trois heures pour qu'enfin vienne notre tour.
Ils appellent par famille, le nom cité est celui du détenu.
Il y a vingt parloirs. Les cabines sont étroites : on vous enferme et vous n'avez pas la possibilité de sortir avant la fin de la visite.
On se parle dans un cornet de téléphone. Nous n'aurons droit à une visite à table qu'après le jugement ou après 4 mois de détention préventive.
Nous n'en sommes pas encore là, nous traversons un couloir et puis une petite cour si je me souviens bien, des grilles sont ouvertes et d'autres fermées, de temps en temps on aperçoit un détenu passant avec un maton.
Mon frère arrive du haut de ses dix-neuf ans, tu parles, son visage ne trompe pas : un enfant, il n'y a aucun doute à part pour les experts légistes. Le manque l'a rongé, la peau sur les os, mais les cernes sont noirs et la peau a carrément changé de couleur.
Voilà ce à quoi je fus confronté ce matin-là. Pas à l’école, pas à l'instruction.
Pas à la légèreté de mes 15 ans, non j'étais à l’école de ma vie et c'était notre vie, notre réalité et par conséquent elle avait un goût amer.
Tu vas bien ? Stupide question mais utile.
Je voyais que c'était atroce. On va bien.
Tu reçois des calmants ? Bien sûr. Puis il a demandé après "lwalida" : "la mère".
Là je n'ai pu qu’essayer de le rassurer. Elle t'embrasse et te souhaite du courage, elle te demande de te soigner.
Il y avait aussi quelques petites choses que l'on ne s'autorisait pas à dire.
Du genre pourquoi elle n'était pas venue le voir ?
Il savait pertinemment qu'elle était en souffrance, que le voir dans cet état lui serait insurmontable : ajouter à son calvaire le supplice multiplié par deux.
Que dire de toi, poudre destructrice, animal féroce, jungle pour celui qui croit se détendre dans tes palais; bien sûr, les premières fois ?
Tu as assassiné mais avant, tu nous as faits descendre plus bas que l'on a pu se l'imaginer.
Face à toi, pas de maître, que des soumis, des perdus.
Celui qui ose te défier ou se détourner de toi, tu uses de tous tes stratagèmes pour avoir raison de lui.
S'il te résiste, tu finis par être la maîtresse, tu abandonnes qui pensait avoir tout acquis.
Tu es la drogue, et la drogue , je veux t'éradiquer dans le regard de ceux que tu habites, je veux t'éliminer de la pupille sur laquelle tu t'es fixée.
Tu as aliéné nos alliés, il en faut peu pour te rencontrer.
Ils ont tout planifié jusqu'à nos douleurs.
Ils ont tout calculé, et nous nous ne faisons qu'aduler.
Ils t'ont appris à fermer les yeux pour ne pas regarder ceux qui se font tuer.
Ils t'ont appris à occulter que le drame demain te reviendra.
Tu regardes et ne vois rien.
Tu parles et ne comprends rien.
Le pire c'est d'entendre l'indifférence.
Le pire c'est de regarder l'aveugle et ne pas comprendre que tu as des yeux.
Le pire est à venir, en fermant les yeux, tu libères l'espace, celui de la pensée.
En fermant les bras, tu libères le danger et le laisses atteindre ton prochain.
Je me tenais debout, immobile, la peur me tenait jusque dans le ventre.
Au plus profond de moi même, et pour la énième fois, je me sentais mourir pour quelque chose qui ne me concernait pas.
Personne ne bouge, restez à vos places respectives.
L' « autorité » avait parlé, il fallait s’exécuter.
Dans tous les étages de la maison, ils avaient pris place ne se souciant de rien, ni de personne : à leur yeux nous étions tous coupables.
En quelques minutes ils avaient pris possession des lieux et de chacune des personnes, ils allaient devenir maîtres.
Mon frère était déjà au poste de police, ils passaient au peigne fin chaque chaque parcelle de la maison et, pour nous les membres de la famille, fouille corporelle bien évidemment. Il y avait des femmes policières. J'avais tout juste 15 ans, mais ce jour-là, j'en avait dix d'amertume, dix autres de frayeur sans aucun doute quinze ans d'incompréhension.
Qu'était-il arrivé à ma famille pour être aussi désemparée ? Je justifiais mon état comme étant la conséquence de leurs problèmes respectifs.
Jamais je ne voulais analyser la vie, ou tout simplement la détresse qui amène autant de membres d'une seule famille à s'autodétruire.
Ce frère-là avait 19 ans en novembre 86, et nous étions en janvier ou février 1987.
Ce n'était pas sa première arrestation et ce ne fut pas la dernière malheureusement.
Après s'être fait fouiller complètement, humilié, je pouvais rejoindre les autres au premier. L'une des agentes désigna une veste suspendue à un crochet et lança « à qui appartient cette veste ? » « A moi », répondis je. « Tu l'as achetée comment ? ». Je m’apprêtais à lui répondre quand un collègue lui rétorqua, tout en lui faisant un signe de la tête, « On est pas là pour cela, laisse ». Elle s’exécuta mais je sentis sa déception.
Son collègue avait raison : d'après leurs dires, ils étaient là pour saisir d'importantes quantités de drogue.
On ne pouvait toujours pas bouger. Ma mère travaillait jusqu'à 20 h et n'arrivait jamais avant 20h30. Ce jour-là, elle eut droit à une escorte spéciale : ils se sont permis d'aller la chercher au boulot.
En attendant, pour nous, cela devenait infernal. Nous avions des petits en bas âge : le fait de ne pas les laisser bouger à leur guise empoisonnait l'atmosphère davantage.
Je me souviens que ce fut long : à peu près 6 heures de perquisition.
Ensuite, nous avons dû aller avec eux au poste de police pour les procès verbaux.
Le lendemain, il était clair que je n'irais pas au cours.
Que je serais dégoûté de mon existence et que j'aurais la haine envers et contre tous.
Ils ont arrêté mon autre frère au même moment, celui qui est son aîné de quatre ans, pour les mêmes faits. Il était considéré comme le bras droit du plus jeune, qui lui, était considéré comme le plus grand des dealers de Bruxelles, de son âge, de son milieu , de sa race, etc.
Et à chaque arrestation, le médecin légiste déclarait que mes frères n'étaient pas des toxicomanes, que leur corps ne présentait aucunes séquelles ; par conséquent, ils seront jugés comme dealers, donc la peine maximum du fait qu'ils dealaient dans le but de s'enrichir...
L'arrestation, cette fois-là, était basée sur une déclaration d'un autre toxicomane qui était connu comme indic.
Ce dernier leur livra l'occasion de venir et ils ne se firent pas prier : toujours au rendez vous.
Très beau et très touchant, chère Souad.J'espère que ta parole en libérera d'autres qui, comme toi, ont tant à dire et à donner, mais que trop peu écoutent...
RépondreSupprimerMerci Nadine, ce qui m importe aujourd hui, c est que j avais raison de croire que le monde regorge de personne humaine, comme vous ...
RépondreSupprimermerci a toi , a Luk ...et ceux qui sont rester proche d eux mème pour toujours reconnaìtre la douleur.biz
Merci Souad. Ton témoignage est bouleversant^et précieux. Je travaille dans un théâtre qui a un projet de création sur la justice et la prison. Je transmets ton texte au metteur en scène. Pourrais tu si tu le désires me donner ton adresse email et ton gsm, au cas où il voudrait prendre contact avec toi?
RépondreSupprimerCourage,
mon email: f.thirionet@wol.be
Françoise
Bonjour Françoise, merci pour ton commentaire encourageant sur les deux textes de Souad. Ton idée d'une mise en scène est génial, on devrait une fois en discuter plus sérieusement.
RépondreSupprimerMerci Françoise pour tes encouragements,c est important, et comme le suggere Luk on peut en discuter.Voir ce qui peu etre projete pourquoi pas?
RépondreSupprimerje te soumet mon adresse email et mon gsm.
à bientôt.