mardi 20 décembre 2011

La surpopulation carcérale en Belgique : Le palmares de Declerck & co

Un audit très critique sur la surpopulation carcérale

La Libre Belgique Annick Hovine
Mis en ligne le 20/12/2011 

La Cour des comptes a examiné les mesures prises depuis quinze ans. Son rapport est très sévère à l’égard d’une politique pénitentiaire erratique.
Les prisons sont au bord de l’explosion. Avec environ 11 500 détenus, pour 9 571 places, difficile de développer, dans les établissements pénitentiaires, des activités visant, à terme, à réinsérer les détenus dans la société. La surpopulation carcérale empoisonne l’action de la justice, avec pour effet de paralyser toute velléité de réforme en milieu carcéral.
Pour la première fois, le problème a attiré l’attention de la Cour des comptes, qui a pris l’initiative de réaliser un audit sur la surpopulation dans les prisons (lire ci-dessous).
Et, à en lire l’avant-projet du rapport, la situation ne risque guère de s’arranger dans les années à venir.
Selon des estimations, fin 2011, il devrait manquer 1 929 places dans les établissements pénitentiaires belges; un chiffre qui grimperait à... 2 414 en 2012.

Le problème de surpopulation carcérale est particulièrement aigu en Belgique, où on affiche un détestable score de 128,4 détenus pour 100 places, contre 98,4 % en moyenne dans les prisons européennes.

Pourquoi cette situation déplorable qui perdure depuis plus d’une décennie ? La Cour des comptes s’est livrée à un examen minutieux des mesures prises au cours des quinze dernières années (libération conditionnelle, surveillance électronique, peines de travail autonomes, mise en liberté provisoire...) pour tenter d’endiguer le phénomène.
En filigrane du volumineux rapport transparaît une critique en règle de la politique pénitentiaire menée par les gouvernements successifs. Entre les lignes, on comprend que les mesures censées lutter contre la surpopulation sont rarement chiffrées; qu’elles changent souvent d’objectif en cours de route et ne font l’objet d’aucune évaluation; qu’elles jouent sur un effet d’annonce et se basent sur des considérations à court terme (d’ailleurs pas toujours dénuées de populisme)...
Premier constat : malgré tous les dispositifs ajoutés, la surpopulation ne diminue pas structurellement. Seule la libération anticipée (avant la fin de la peine, avec ou sans conditions) a produit des effets positifs, en permettant de faire baisser le nombre de détenus. La Cour des comptes tempère quelque peu : il est possible que sans les peines de travail autonomes, la surveillance électronique ou la liberté sous conditions, les prisons soient encore davantage surpeuplées, "mais on ne dispose pas d’informations à ce propos" .
S’agissant du Masterplan (qui prévoit la construction de nouvelles prisons), que le précédent ministre de la Justice, Stefaan De Clerck (CD&V), brandissait fièrement comme solution, la Cour des comptes a calculé que si les nouveaux établissements pénitentiaires ouvraient leurs portes demain, et en tablant sur une stabilisation de la population carcérale, il manquerait encore 900 places...
En outre, il n’existe aucun aperçu actualisé de l’avancée du Masterplan, dont la Cour des comptes n’a pas pu, avec les informations disponibles, calculer l’impact budgétaire total.
Au niveau de l’élaboration de la politique de lutte contre la surpopulation, la Cour des comptes pointe surtout le manque d’évaluations "ex ante" ou d’analyse de l’impact éventuel de ces mesures : effets concrets, potentiels effets pervers, conditions pratiques préalables à leur mise en œuvre...
Il n’existe d’ailleurs aucune enquête scientifique récente sur la surpopulation et l’impact des mesures prises (notamment sur la récidive), souligne le rapport. Une telle enquête est rendue plus compliquée encore par l’incompatibilité des banques de données des différents acteurs (greffes, établissements pénitentiaires...). Difficile, dans ce contexte, d’évaluer de manière objective et réaliste les effets qu’on pourrait attendre de ces mesures sur la surpopulation carcérale.
La Cour des comptes souligne aussi cruellement que, pour certaines mesures, on pouvait savoir "à l’avance" l’impact limité sur la surpopulation carcérale. Exemple ? "Le nombre d’étrangers condamnés qui peuvent être concernés par un transfert (vers leur pays d’origine, NdlR) est très limité." Ou : "La plupart des condamnés qui écopent d’une peine de travail n’auraient jamais atterri en prison si cette mesure n’avait pas existé." Mais encore : "La plupart des surveillances électroniques sont accordées après une interruption de peine, ce qui a sans doute un effet très minime sur la surpopulation."
Gros point noir de la politique pénitentiaire, selon la Cour des comptes : il n’existe aucune définition légale de la notion de capacité (nombre de places) des prisons et aucun critère standardisé pour la calculer. Les intentions politiques sont rarement traduites en objectifs mesurables et la récente intention de s’engager vers une extension de capacité des prisons n’a pas été motivée, indique encore la Cour des comptes. Pour qui il manque, dans la lutte contre la surpopulation, une vision politique-coupole, qui intègre des objectifs et des instruments pour y parvenir dans une perspective pluriannuelle.
La lutte contre la surpopulation carcérale est complexe, reconnaît la Cour des comptes : quand plusieurs acteurs sont concernés, il manque souvent une coordination, un feedback et une concertation organisée. "C’est surtout la concertation avec la magistrature assise qui semble difficile", lit-on dans le rapport.
La Cour des comptes identifie un autre problème criant : plusieurs points de la loi Dupont (réglant l’administration des établissements pénitentiaires et le statut juridique des détenus) ne sont pas encore en vigueur, ce qui oblige l’administration pénitentiaire à travailler sur base de circulaires pour la surveillance électronique ou la mise en liberté provisoire. "Le pouvoir exécutif intervient ainsi dans des jugements du pouvoir judiciaire, ce qui porte atteinte à la séparation des pouvoirs et est donc en principe anticonstitutionnel."

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