Monsieur Miguel
Ángel Peña Moreno –un ressortissant
chilien habitant en Belgique– est recherché par la justice
chilienne. Celle-ci
l'accuse injustement et sans preuves d’être mêlé à un attentat
ayant coûté la
vie au principal mentor idéologique du régime Pinochet : le
sénateur
d'extrême droite Jaime Guzmán.
Cette action avait été menée et
revendiquée, en
avril 1991, par une organisation de résistance, el Frente Patriótico Manuel Rodríguez (FPMR - Front
Patriotique
Manuel Rodríguez), contre un des acteurs-clé de la dictature
pinochettiste.
Jaime Guzmán était, en effet, le concepteur principal de la
Constitution
frauduleuse de 1980 (la Loi fondamentale qui aura permis à Augusto
Pinochet de
légitimer sa politique de terreur...).
Membre de l'Opus
Dei et admirateur du général Franco, Jaime Guzmán (ami
personnel d'Augusto
Pinochet sur qui il avait une grande influence) avait été l'un des
membres
fondateurs des milices fascistes Patria y
Libertad pendant la période présidentielle de Salvador
Allende. De
surcroît, Guzmán avait pu être désigné sénateur grâce aux
distorsions
provoquées par le système binominal qu’il avait lui-même
conçu pendant
le régime militaire ; cette manipulation légale lui a ainsi permis
d’être
élu avec 17% de voix contre Ricardo Lagos qui en avait recueilli
31%.
Les
faits et
le contexte historique
Miguel Peña est issu d’un
milieu défavorisé. Très
tôt, il a subi les conséquences économiques et répressives de la
dictature.
Tout comme de nombreux jeunes, il a résisté à l’arbitraire du
régime et voulu
apporter un élan d’espoir, de justice et de liberté à l’ensemble
de la société
chilienne. Son engagement dans la lutte contre le régime
dictatorial lui a valu
d’être fait prisonnier et torturé en 1984 par la CNI (la Central
Nacional de
Informaciones, un des appareils de répression de la
dictature) et ensuite
en 1986 par la DIPOLCAR
(la Dirección de
Inteligencia Policial de
Carabineros – la police militarisée chilienne). Ces faits
figurent dans les
registres de la Vicaría de
la Solidaridad
(une instance de l’église catholique chargée d'observer le respect
des droits
humains fondamentaux). Durant la journée de manifestation, à
l’occasion de
l’anniversaire du coup d’État, le 11 septembre 1986, il fut blessé
par balles
par des agents de sécurité en civil (cet acte répressif figure
dans les Annales
de la PDI, Policía de Investigaciones de Chile - la police
judiciaire
chilienne).
Se sachant poursuivi et recherché par
la justice
chilienne, Miguel Peña s’est réfugié en Belgique en 1998, où il a
introduit une
demande de reconnaissance au titre de réfugié politique.
Un an plus tard, Miguel Peña a été
inculpé par la
Justice chilienne, au motif qu'il aurait été la personne ayant
procuré la
voiture utilisée lors de l’attentat contre Guzmán. Or, non
seulement Monsieur
Peña a toujours contesté cette accusation non fondée sur des
preuves –l’inculpé
se trouvant par ailleurs dans une autre ville au moment des faits–, mais il continue
à dénoncer les nombreuses irrégularités de l’enquête judiciaire
chilienne qui
mena à inculper trois personnes différentes, lors de procès
successifs, pour ce
même fait. Malgré ce qui précède, le 14 décembre 2011 la Cour
Suprême de
Justice vient pourtant d’avaliser l’inculpation de Monsieur Peña
Moreno et de
donner feu vert au gouvernement chilien pour demander à la
Belgique de
l’extrader.
À ce jour, Miguel Peña ne connaît pas
avec
exactitude les accusations officielles qui pèsent contre lui car,
en vertu de
la loi antiterroriste chilienne, son avocat ne peut avoir qu’un
accès très
limité à son dossier. C'est finalement la presse chilienne qui a
informé
officieusement des charges qui seraient imputées à Miguel : que,
après avoir
été d’abord «suspect», puis «collaborateur», il deviendrait
maintenant
«auteur». Outre ces flagrantes irrégularités, le dernier verdict
émanant de la
Cour Suprême comporte, de surcroît, un vice de procédure. En
effet, l'un des
juges de la Cour Suprême, Hugo Dolmesch, avait déjà inculpé Miguel
Peña en
première instance et émis un jugement le concernant en 1999.
Tous ces antécédents nous mènent à
conclure qu'il
existe un acharnement politique et judiciaire de l’extrême-droite
chilienne et
du gouvernement, soucieux de démontrer leur efficacité dans cette
affaire en
choisissant comme bouc émissaire la personne de Miguel.
Le
cadre
juridique institutionnel tel qu'il prévaut au Chili
La Constitution de 1980
(édictée par la dictature
militaire sans la moindre norme garantissant une réelle expression
de la
volonté populaire) est toujours d'application au Chili. Pourtant,
c’est cette
Constitution qui a continué à déterminer l’itinéraire politique de
la société
et le cours des événements après la fin de la dictature (en 1989).
À partir de
1990, cette Constitution illégitime a ainsi corseté toutes les
institutions du
pays, conservant son essence autoritaire et antidémocratique,
malgré
l’organisation d’élections. Les quelques modifications réalisées
ne changent
rien d’essentiel à cet état des choses.
La liste de jugements arbitraires
rendus par la
justice chilienne étant très longue, nous nous en tiendrons aux
plus récents.
Selon le Rapport 2011 de l'association Human
Rights Watch, jusqu’en juin 2010, 292 ex-militaires et
collaborateurs
civils de la dictature ont été condamnés pour des délits tels que
disparitions
forcées, exécutions extrajudiciaires et torture. En août 2010
moins du tiers de
ces condamnés purgeaient leurs peines car la Cour Suprême a
régulièrement
appliqué son pouvoir discrétionnaire pour les réduire.
Le 29 septembre 2011, le juge spécial
Mario Carroza
a refusé la demande de la famille de Salvador Allende de juger le
général Mario
López Tobar qui a pourtant reconnu avoir attaqué le palais
présidentiel de La Moneda
le 11 septembre 1973 avec
comme résultat la mort du Président du Chili. C’est ce même juge
spécial qui
demande aujourd’hui l’extradition de Miguel Peña vers le Chili.
Ce même 29 septembre 2011, la Cour
Suprême de
Justice a confirmé l’acquittement par la Cour d’Appel de
Valparaíso de dix-neuf
des vingt-neuf marins accusés d’avoir torturé et assassiné le
prêtre
anglo-chilien Michael Woodward en 1973...
D’un côté, il y a donc une série de
militaires et
de civils jugés et condamnés pour assassinats et disparitions et
qui n’ont fait
aucun jour de prison ou très peu ; de l’autre, il y a une réalité
de
répression et de discrimination subie par des centaines de
prisonniers
politiques, militants anti-dictature, défenseurs des droits
humains, de la
justice sociale et des peuples indigènes.
La grève de la faim restant l’arme
ultime pour
faire valoir ses droits, en 2005, 26 prisonniers politiques n’ont
pu retrouver
leur liberté qu’après 74 jours de grève de la faim. Malgré le fait
qu'il
s'agissait de civils, ces personnes avaient néanmoins été jugées
par la justice
militaire et la loi antiterroriste leur fut appliquée. Cette
législation avait
été instaurée en 1984 en pleine dictature : elle reste pourtant
toujours
d’application. De ce fait, les conditions de détention
infrahumaines auxquelles
ils furent soumis sont à comparer avec la sollicitude à laquelle
ont droit les
quelques rares militaires et collaborateurs civils condamnés à
purger leurs
peines : pour eux sont réservées des prisons dorées (comme par
exemple Punta Peuco).
Sans oublier que les prisonniers
politiques sont,
eux, soumis à de mauvais traitements (y compris la torture) et
qu’ils n’ont pas
pu bénéficier de procès impartiaux ni d’une défense judiciaire
équitable. Cas
récent : quatorze jeunes, accusés d’avoir placé des bombes. À la
suite
d’une grève de la faim, ils ont été libérés après avoir passé un
an en prison.
Le Procureur a essayé de les condamner pour association de
malfaiteurs sans
jamais arriver à prouver l’existence d'un quelconque «réseau» ;
or, il
s'agit là d'un des dossiers les plus polémiques de ces dernières
années car les
avocats ont pu prouver qu'il y avait eu, de la part de
l'accusation,
fabrication manifeste de fausses preuves. L’illégalité de la
majorité des
soi-disant preuves avancées par le Procureur ayant été clairement
démontrée,
les parlementaires Hugo Gutiérrez et Sergio Aguiló ont demandé la
démission du
ministre de l’Intérieur Rodrigo Hinzpeter et du Procureur (chargé
du procès de
ces quatorze jeunes) pour «participation à la fabrication de
faux»...
La
justice
chilienne et le droit international
Ces vingt dernières années,
les Rapports de
multiples organismes de défense des droits de l'Homme ont, de
manière
récurrente, condamné l’État chilien pour le caractère arbitraire
et partial de
sa justice, spécialement dans les affaires à connotation
politique. De leur
côté, les porte-parole des Nations
Unies
et de la Cour
Interaméricaine des Droits
Humains ont recommandé des réformes afin d’adapter le cadre
juridique
interne pour qu'il se conforme à l’ordre juridique international.
Il faut aussi dénoncer l’application
systématique
et à tort de la loi antiterroriste qui criminalise les mouvements
sociaux et
les revendications légitimes des communautés indigènes.
La volonté de l’État chilien de ne pas
changer sa
politique répressive étant avérée, la Cour
Interaméricaine des Droits Humains a pris, en août 2011, une
importante
décision : elle entend juger le Chili dont l’application de la loi
antiterroriste aux Mapuche
se traduit
par le recours à des témoins masqués (anonymes soudoyés ou
menacés), par
l’usage de constructions accusatoires fantaisistes de la part des
procureurs et
par la violation systématique du droit à la présomption
d’innocence.
La
justice
internationale et le refus de l’extradition
Le cadre juridique
institutionnel existant au Chili
a déjà été étudié par d’autres États dans le cas de demandes
d’extraditions
pour des faits à connotation politique. Dans tous ces dossiers,
les
extraditions ont été refusées par les divers États sollicités. En
cause:
l’absence de garanties conduisant à des jugements équitables étant
donné
l’usage de la loi antiterroriste, les limitations et restrictions
du droit à la
défense et l'importance des peines imposées par l’État chilien.
L’asile politique octroyé à Patricio
Ortíz en
Suisse en 2005, à Claudio Molina en Argentine en 2002 et à
Galvarino Apablaza
en Argentine en 2010, illustre bien cette situation. Tous les
trois sont
d’anciens militants du FPMR
et sont
l'objet de mandats extraditionnels demandés par le Chili.
Précision importante : Galvarino
Apablaza
était accusé d’avoir été l'auteur intellectuel de l’attentat
contre Jaime
Guzmán, la même affaire pour laquelle est poursuivi aujourd’hui
Miguel Peña.
Or, l’accusation portée à l'encontre de G. Apablaza peut être
considérée comme
beaucoup plus grave que celle à l’encontre de Miguel. Pourtant G.
Apablaza a
obtenu l’asile politique en Argentine malgré la gravité de
l’accusation dont il
a été l'objet et malgré sa qualité de fondateur du Frente Patriótico Manuel Rodríguez. Constatant
qu’entre la date de
l'obtention de son statut de réfugié politique et aujourd’hui, la
justice
chilienne n’a pas surmonté son manque d’impartialité, ce cas
constitue un
précédent à considérer.
Le
Chili
n'est toujours pas un État de droit
L’existence d’un système
juridique toujours fondé
sur l’idéologie d'un régime militaire (lequel pérennise
l’application de la loi
antiterroriste et n’assure pas le droit à la défense ni les normes
d’un procès juste)
nous font affirmer que les conditions ne sont pas remplies pour
que Miguel Peña
puisse bénéficier d’un procès correct, impartial, équitable. Nous
avons donc de
très sérieuses raisons de nous inquiéter pour son intégrité
physique et morale.
Nous craignons aussi que son
arrestation soit
utilisée comme monnaie d’échange contre l’acquittement des
assassins et tortionnaires
du passé.
Si Miguel Peña est extradé vers le
Chili, il sera
jugé selon des lois mises en place par Jaime Guzmán, sous un
régime d'exception,
afin de pérenniser la dictature militaire et réprimer le peuple
chilien.
C’est-à-dire que la justice chilienne sera juge et partie contre
une personne
innocente.
Ces dernières années, un mouvement de
solidarité
pour la défense des droits humains au Chili s’est formé en
Belgique, comme dans
d’autres pays européens. Miguel a activement participé à ce
mouvement en
faisant (entre autres) partie des grévistes de la faim qui, lors
de
l’arrestation de Pinochet à Londres, ont demandé son extradition
vers
l’Espagne. Extradition qui n’a pas eu lieu, le dictateur ayant été
renvoyé vers
le Chili où il ne fut ni jugé ni condamné. Jamais.
L’engagement politique et social de
Miguel, dans un
contexte historique déterminé, peut être assimilé à l’engagement
des résistants
européens face au régime nazi.
Se sachant poursuivi et recherché par
la justice
chilienne, Miguel s’est réfugié en Belgique, il y a déjà 13 ans,
où il a
demandé l’asile politique, sans réponse positive à ce jour. Malgré
les
difficultés liées à son statut précaire, il a pu développer chez
nous une vie
sociale, professionnelle et affective normale, s’intégrant de
manière
transparente à la société belge. Il a suivi des études
d’infographie et d’aide
familiale. Actuellement, il travaille légalement en tant
qu’aide-soignant. Une
façon de concilier sa sensibilité sociale avec sa vie
professionnelle. Miguel
aime la lecture et faire du sport. C’est une personne qui se
caractérise par sa
grande sociabilité ; il se réserve toujours un temps pour partager
un
moment sincère et amical avec ses proches.
Au vu de tous ces éléments ci-dessus
évoqués, nous
demandons aux autorités compétentes d’octroyer l’asile politique à
Miguel Peña
car nous reconnaissons en lui un résistant à la dictature. Tout
comme les
milliers d’exilés politiques accueillis par la Belgique durant
«les années
Pinochet» ou comme les dizaines de prisonniers politiques, arrivés
au début des
années 90, dont les peines de prison furent changées en peine
d’exil.
Nous appelons tous les défenseurs des
causes justes
à se solidariser avec notre ami et camarade en danger
d’extradition.
Bruxelles, décembre 2011
GANE-Miguel Ángel Peña Moreno
(Groupe
d’Appui
Non à l’Extradition de Miguel Ángel Peña Moreno)
http://www.egalite.be/?p=1367
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