lundi 12 mars 2012

France : une justice de plus en plus sévère

Que fait la justice pénale ? Le bilan statistique de l’année


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Les « chiffres clefs de la justice » ont été publiés par le ministère de la Justice début décembre 2011. Ils donnent les principaux repères concernant l’activité de la Justice en 2010. Par ailleurs, à la fin du même mois de décembre, le site Internet du ministère a également mis en ligne le volume statistique annuel intitulé « Les condamnations », toujours pour l’année 2010. Ensemble, ces productions permettent de faire un bilan chiffré de l'activité de la justice pénale ainsi que de la partie de la délinquance qu'elle traite. Comme toujours, ce bilan réserve  quelques surprises tant les discours politiques et le traitement médiatique des faits divers sont éloignés de la réalité quotidienne des commissariats de police, des brigades de gendarmerie et des palais de justice.

Du constat policier à la poursuite pénale
En 2010, l’ensemble des parquets ont reçu 5 millions de procès-verbaux. D’emblée, près de 60 % d’entre eux étaient inexploitables car l’auteur de l’infraction constatée ou dénoncée auprès de la police ou de la gendarmerie est demeuré inconnu (ce sont les « plaintes contre X », notamment pour des vols, des cambriolages et des dégradations). Faute d’élucidation policière, la justice est donc totalement désarmée. Elle élimine ensuite près d’un demi-million de procédures qui n’ont pas respecté le droit ou bien qui n’ont pas réuni de charges suffisantes pour permettre de poursuivre une ou plusieurs personnes. Au final, restent 1,4 million d’affaires effectivement « poursuivables ». Toutefois, il faut encore en retrancher un peu plus de 160 000 qui seront classées sans suite pour des raisons précises : impossibilité de trouver les auteurs, désistement du plaignant, état mental déficient du suspect, découverte de la responsabilité de la prétendue victime, caractère trop bénin du préjudice subi ou du trouble constaté. Le nombre de ces « classements sens suite » ne cesse toutefois de diminuer au fil des ans sous la pression politique de « tolérance zéro » donc de réponse systématique aux faits mêmes les moins graves ou les moins bien établis.
Au final, les parquets ont déclenché quelque 640 000 poursuites, la plupart devant les tribunaux correctionnels s’agissant de délits et non de crimes. Pour les contraventions, ils ont aussi transmis un peu plus de 50 000 affaires aux tribunaux de police. Enfin ils ont saisi les juges des enfants dans près de 54 000 affaires. Tous ces chiffres sont en légère baisse par rapport à 2009.
A côté de ces poursuites devant les tribunaux, les parquets ont aussi eu recours à des mesures « alternatives aux poursuites » (essentiellement des « rappels à la loi ») ainsi qu’à des « compositions pénales », un ensemble de procédures mises en place dans les années 1990 et qui permettent aux Procureurs de traiter rapidement des affaires peu graves (évitant ainsi de surcharger davantage les tribunaux et de rallonger encore les délais de traitement des affaires).
Enfin, les « chiffres-clefs » détaillent aussi le même schéma concernant spécifiquement les mineurs. Ces derniers représentent environ 10 % du volume d’affaires « poursuivables ». Ici, la pression politique (et médiatique) étant encore plus forte, la part des classements sans suite est encore plus réduite (6 % de l’ensemble). En échange, plus de la moitié des affaires sont traitées directement par les parquets avec des mesures « alternatives aux poursuites », essentiellement des « rappels à la loi » (admonestations). Au total, le « taux de réponse pénale » (c’est-à-dire la proportion d’affaires non classées sans suites) atteint 94 % chez mineurs, nettement plus que chez les majeurs.

Photo : clarapeix - flickr - licence cc

Qui est condamné à quoi ?
Au terme des poursuites, un peu moins de 630 000 condamnations ont été prononcées en 2010 et inscrites au Casier judiciaire, sanctionnant quelque 940 000 infractions (une même condamnation peut englober plusieurs infractions). Parmi ces infractions, 0,4 % étaient des crimes, 93,4 % étaient des délits et 6,2 % des contraventions de 5ème classe. Les délits sont donc l’essentiel. Parmi eux, 35 % étaient des infractions routières (conduite en état alcoolique, conduite sans permis, défaut d’assurance...). Voilà en réalité le type de délinquance dont s’occupent en premier les institutions pénales de nos jours, chose peu connue. Viennent ensuite - et c’est une seconde surprise - avec près de 15 % de l’ensemble des délits les « infractions en matière de stupéfiants » (dont 70 % sont de simples usages ou détentions). L’ensemble des vols et recels n’arrivent qu’en troisième position avec quelques 127 000 infractions sanctionnées. Puis ce sont les violences physiques avec un peu moins de 80 000 infractions sanctionnées (dont 80 % parmi les moins graves selon le critère du nombre de jours d’ITT - incapacité totale de travail). Dernière surprise, viennent ensuite quelques 36 000 « infractions à personnes dépositaires de l’autorité publique » (principalement des policiers), dont près de 60 % sont de simples « outrages » (insultes, gestes obscènes, etc.).
Au total, on mesure ici le décalage - pour ne pas dire le gouffre - qui sépare le débat public de la réalité quotidienne des salles d’audiences correctionnelles. Le premier est alimenté par des discours politiques dramatisateurs et accusateurs ainsi que par des médias en mal de sensation à travers les faits divers les plus graves mais qui sont aussi les moins représentatifs. Dans l’ensemble des infractions sanctionnées par la justice, les crimes ne représentent que 0,4 %. La moitié sont des viols, puis viennent les homicides et enfin certains vols à main armée.
Enfin, du côté des auteurs, la justice a condamné en 2010 près de 630 000 personnes, dont les principaux éléments descriptifs sont inchangés par rapport à l’année antérieure. 90,6 % étaient des condamnés sont des hommes, et c’est à la virgule près exactement le même chiffre que l’année passée (ce qui contredit une fois de plus l’idée selon laquelle les femmes seraient de plus engagées dans la délinquance). 8,4 % étaient des mineurs et c’était 8,7 % l’année précédente, ce qui contredit là encore les discours convenus sur l’augmentation permanente de la délinquance des mineurs et invite à s'interroger sur la priorité politique dont ils « bénéficient » en France (quant aux mineurs de moins de 13 ans, récemment visé par de nouvelles lois, ils représentent moins de 0,3 % de l’ensemble des personnes condamnées en 2010). Enfin, 82,2 % des condamnés étaient de nationalité française, 12,7 % de nationalité étrangère et le reste de nationalité inconnue. Les nationalités les plus fréquentes parmi ces personnes condamnées étaient à égalité les Algériens et les Marocains, devant les Portugais, les Roumains, les Tunisiens et les Turcs.

Photo : deneux_jacques - flickr - licence cc

Une justice de plus en plus sévère, en particulier avec les mineurs
Une dernier lieu commun des discours politiques et de ceux du café du commerce est celui qui veut que la justice soit toujours terriblement « laxiste » face à la délinquance. Or ces statistiques portant sur l’ensemble des activités de la justice pénale française semblent démentir ce préjugé. En effet, près de la moitié des 630 000 condamnations prononcées par les tribunaux en 2010 ont été des peines d’emprisonnement et de réclusion (49 %), suivies par les amendes (36 %), les peines de substitution (10 %) et les mesures éducatives (4 %).
Cette sévérité croissante de la justice est particulièrement sensible concernant les mineurs, preuve que le véritable arsenal déployé contre eux par le gouvernement et le parlement ces dernières années impacte progressivement les pratiques judiciaires, y compris celles des juges des enfants qui sont sans doute la cible principale du pouvoir politique actuel. Non seulement, on l’a vu, c’est ici que la « réponse pénale » est la plus forte. L’examen des décisions des juges des enfants indique en effet une nette augmentation de leur sévérité. Lors même qu’ils ont été moins souvent saisi en 2010 qu’en 2009, ces juges ont d’abord prononcé davantage de mesures présentencielles contraignantes (placements, contrôle judiciaire et détention provisoire) au cours des procédures. Ensuite, à l’issue de leurs instructions, ils ont également prononcé nettement moins de mesures éducatives et d’amendes et, au contraire, davantage de peines d’emprisonnement. L’on trouve enfin un dernier indice de cette sévérité spéciale concernant les mineurs dans les statistiques pénitentiaires. Tandis que l’ensemble de la population carcérale a augmenté de 1,3 % en 2010, cette augmentation a été la plus forte chez les mineurs (3 %).

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