Que fait la justice pénale ? Le bilan statistique de l’année
Les « chiffres clefs de la justice »
ont été publiés par le ministère de la Justice début décembre 2011. Ils
donnent les principaux repères concernant l’activité de la Justice en
2010. Par ailleurs, à la fin du même mois de décembre, le site Internet
du ministère a également mis en ligne le volume statistique annuel
intitulé « Les condamnations »,
toujours pour l’année 2010. Ensemble, ces productions permettent de
faire un bilan chiffré de l'activité de la justice pénale ainsi que de
la partie de la délinquance qu'elle traite. Comme toujours, ce bilan
réserve quelques surprises tant les discours politiques et le
traitement médiatique des faits divers sont éloignés de la réalité
quotidienne des commissariats de police, des brigades de gendarmerie et
des palais de justice.
Du constat policier à la poursuite pénale
En 2010, l’ensemble des parquets ont reçu 5 millions de
procès-verbaux. D’emblée, près de 60 % d’entre eux étaient
inexploitables car l’auteur de l’infraction constatée ou dénoncée auprès
de la police ou de la gendarmerie est demeuré inconnu (ce sont les
« plaintes contre X », notamment pour des vols, des cambriolages et des
dégradations). Faute d’élucidation policière, la justice est donc
totalement désarmée. Elle élimine ensuite près d’un demi-million de
procédures qui n’ont pas respecté le droit ou bien qui n’ont pas réuni
de charges suffisantes pour permettre de poursuivre une ou plusieurs
personnes. Au final, restent 1,4 million d’affaires effectivement
« poursuivables ». Toutefois, il faut encore en retrancher un peu plus
de 160 000 qui seront classées sans suite pour des raisons précises :
impossibilité de trouver les auteurs, désistement du plaignant, état
mental déficient du suspect, découverte de la responsabilité de la
prétendue victime, caractère trop bénin du préjudice subi ou du trouble
constaté. Le nombre de ces « classements sens suite » ne cesse toutefois
de diminuer au fil des ans sous la pression politique de « tolérance
zéro » donc de réponse systématique aux faits mêmes les moins graves ou
les moins bien établis.
Au final, les parquets ont déclenché quelque 640 000 poursuites, la
plupart devant les tribunaux correctionnels s’agissant de délits et non
de crimes. Pour les contraventions, ils ont aussi transmis un peu plus
de 50 000 affaires aux tribunaux de police. Enfin ils ont saisi les
juges des enfants dans près de 54 000 affaires. Tous ces chiffres sont
en légère baisse par rapport à 2009.
A côté de ces poursuites devant les tribunaux, les parquets ont aussi
eu recours à des mesures « alternatives aux poursuites »
(essentiellement des « rappels à la loi ») ainsi qu’à des « compositions
pénales », un ensemble de procédures mises en place dans les années
1990 et qui permettent aux Procureurs de traiter rapidement des affaires
peu graves (évitant ainsi de surcharger davantage les tribunaux et de
rallonger encore les délais de traitement des affaires).
Enfin, les « chiffres-clefs » détaillent aussi le même schéma
concernant spécifiquement les mineurs. Ces derniers représentent environ
10 % du volume d’affaires « poursuivables ». Ici, la pression politique
(et médiatique) étant encore plus forte, la part des classements sans
suite est encore plus réduite (6 % de l’ensemble). En échange, plus de
la moitié des affaires sont traitées directement par les parquets avec
des mesures « alternatives aux poursuites », essentiellement des
« rappels à la loi » (admonestations). Au total, le « taux de réponse
pénale » (c’est-à-dire la proportion d’affaires non classées sans
suites) atteint 94 % chez mineurs, nettement plus que chez les majeurs.
Qui est condamné à quoi ?
Au terme des poursuites, un peu moins de 630 000 condamnations ont
été prononcées en 2010 et inscrites au Casier judiciaire, sanctionnant
quelque 940 000 infractions (une même condamnation peut englober
plusieurs infractions). Parmi ces infractions, 0,4 % étaient des crimes,
93,4 % étaient des délits et 6,2 % des contraventions de 5ème classe.
Les délits sont donc l’essentiel. Parmi eux, 35 % étaient des
infractions routières (conduite en état alcoolique, conduite sans
permis, défaut d’assurance...). Voilà en réalité le type de délinquance dont s’occupent en premier les institutions pénales de nos jours,
chose peu connue. Viennent ensuite - et c’est une seconde surprise -
avec près de 15 % de l’ensemble des délits les « infractions en matière
de stupéfiants » (dont 70 % sont de simples usages ou détentions).
L’ensemble des vols et recels n’arrivent qu’en troisième position avec
quelques 127 000 infractions sanctionnées. Puis ce sont les violences
physiques avec un peu moins de 80 000 infractions sanctionnées (dont 80 %
parmi les moins graves selon le critère du nombre de jours d’ITT -
incapacité totale de travail). Dernière surprise, viennent ensuite
quelques 36 000 « infractions à personnes dépositaires de l’autorité
publique » (principalement des policiers), dont près de 60 % sont de
simples « outrages » (insultes, gestes obscènes, etc.).
Au total, on mesure ici le décalage - pour ne pas dire le gouffre -
qui sépare le débat public de la réalité quotidienne des salles
d’audiences correctionnelles. Le premier est alimenté par des discours
politiques dramatisateurs et accusateurs ainsi que par des médias en mal
de sensation à travers les faits divers les plus graves mais qui sont
aussi les moins représentatifs. Dans l’ensemble des infractions
sanctionnées par la justice, les crimes ne représentent que 0,4 %. La
moitié sont des viols, puis viennent les homicides et enfin certains
vols à main armée.
Enfin, du côté des auteurs, la justice a condamné en 2010 près de
630 000 personnes, dont les principaux éléments descriptifs sont
inchangés par rapport à l’année antérieure. 90,6 % étaient des condamnés
sont des hommes, et c’est à la virgule près exactement le même chiffre
que l’année passée (ce qui contredit une fois de plus l’idée selon
laquelle les femmes seraient de plus engagées dans la délinquance). 8,4 %
étaient des mineurs et c’était 8,7 % l’année précédente, ce qui
contredit là encore les discours convenus sur l’augmentation permanente
de la délinquance des mineurs et invite à s'interroger sur la priorité
politique dont ils « bénéficient » en France (quant aux mineurs de moins
de 13 ans, récemment visé par de nouvelles lois, ils représentent moins
de 0,3 % de l’ensemble des personnes condamnées en 2010). Enfin, 82,2 %
des condamnés étaient de nationalité française, 12,7 % de nationalité
étrangère et le reste de nationalité inconnue. Les nationalités les plus
fréquentes parmi ces personnes condamnées étaient à égalité les
Algériens et les Marocains, devant les Portugais, les Roumains, les
Tunisiens et les Turcs.
Une justice de plus en plus sévère, en particulier avec les mineurs
Une dernier lieu commun des discours politiques et de ceux du café du
commerce est celui qui veut que la justice soit toujours terriblement
« laxiste » face à la délinquance. Or ces statistiques portant sur
l’ensemble des activités de la justice pénale française semblent
démentir ce préjugé. En effet, près de la moitié des 630 000
condamnations prononcées par les tribunaux en 2010 ont été des peines
d’emprisonnement et de réclusion (49 %), suivies par les amendes (36 %),
les peines de substitution (10 %) et les mesures éducatives (4 %).
Cette sévérité croissante de la justice est particulièrement sensible
concernant les mineurs, preuve que le véritable arsenal déployé contre
eux par le gouvernement et le parlement ces dernières années impacte
progressivement les pratiques judiciaires, y compris celles des juges
des enfants qui sont sans doute la cible principale du pouvoir politique
actuel. Non seulement, on l’a vu, c’est ici que la « réponse pénale »
est la plus forte. L’examen des décisions des juges des enfants indique
en effet une nette augmentation de leur sévérité. Lors même qu’ils ont
été moins souvent saisi en 2010 qu’en 2009, ces juges ont d’abord
prononcé davantage de mesures présentencielles contraignantes
(placements, contrôle judiciaire et détention provisoire) au cours des
procédures. Ensuite, à l’issue de leurs instructions, ils ont également
prononcé nettement moins de mesures éducatives et d’amendes et, au
contraire, davantage de peines d’emprisonnement. L’on trouve enfin un
dernier indice de cette sévérité spéciale concernant les mineurs dans
les statistiques pénitentiaires. Tandis que l’ensemble de la population
carcérale a augmenté de 1,3 % en 2010, cette augmentation a été la plus
forte chez les mineurs (3 %).
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