jeudi 8 mars 2012

Le Journal de Farida : j'ai vu Ali

 
mercredi 7 mars 2012, 22:28 ·

Je ne suis pas triste...Je vous assure que je ne le suis plus! Mes pleurs sont devenus des pleurs de joie.
Le souvenir de ce magnifique moment partagé avec Ali m'accompagne encore.
Je sens toujours sa main droite toute froide entre les miennes. Je tentais de la réchauffer, en vain.
Ses yeux clairs braqués sur les miens, dans un silence qui en disait long.
Ma mère et ma sœur étaient toutes deux présentes aussi.... Cependant j'aurais tellement voulu le voir seul! Je ne comprends pas ce sentiment égoïste qui m'a envahi au point de vouloir me retrouver seule avec lui.
J'ai pris le temps d'observer les marques autour de ses poignets! Marques cicatrisées sombres qui me ramènent loin, j'imaginais mon frère pendu par les mains, mais Ali nous ramène très vite au présent en nous posant des questions concernant un peu tout le monde!

Je ne peux m'empêcher de remarquer une autre cicatrice au cou, derrière l'oreille droite, elle devait être bien profonde la blessure qu'il avait à cet endroit... mais encore une fois Ali fait en sorte qu'on ne s'attarde pas à en parler et préfère qu'on lui raconte des choses concernant le monde extérieur!
Pose des questions et nous répondons au fur et à mesure tout en riant des fois et pleurant d'autres fois.

Je lui ai demandé de se lever et de marcher devant nous. J'avais besoin de le regarder se déplacer et constater qu'il marchait bien. Il se leva et se mit à le faire et lorsqu'il se retourna pour s'approcher de nous, je ne pus m'empêcher de le serrer de nouveau dans mes bras...elhamdolillah il marchait bien.

Il nous disait que ses mains et pieds manquaient toujours de sensibilité. L’ouïe toujours affectée par la surdité.

Il nous disait…. « Le pire est passé, ne vous inquiétez pas »… en baissant le regard, un regard vide et à la fois si chargé de peine.

Pourtant il se contredit très vite en disant qu’il faudrait qu’il voit un psychiatre.
Il sent qu’il nous inquiète et il reprend en disant…: « C’est juste que j’ai toujours des sursauts si quelqu’un apparaît derrière moi, que je fais trop souvent des cauchemars qui me font mal et que les moments d’angoisses s’intensifient de temps à autre » A part ça tout va bien…

J’ai aussi demandé à Ali comment c’était la détention en isolation?!

Il nous répond :

"C’est horrible ! Insupportable ! Cela ne devrait pas exister !
Tu ne peux communiquer avec personne, tu ne peux t’adresser à personne, tu n’as jamais quelqu’un avec qui échanger le moindre mot.
C’est le silence complet ! Les minutes se transforment en heures très longues, les journées semblent être des éternités !
On ne peut pas vivre dans la solitude, sans pouvoir discuter avec quelqu’un.
La voix perd sa force, tes cordes vocales perdent l’habitude d’émettre des sons…

Tu es à la recherche du moindre son externe et pourtant rien ne s'entend comme bruit...

Oui même quand tu essaies de prononcer quelques mots, syllabes,….. Tu n’y arrives plus, car comme tu ne parles jamais, tu as beau essayer de parler ta voix s’estompe."

Je poursuis en lui demandant:

"Comment as-tu fait pour tenir, pour résister à l’isolation ?"

Ali reprend :

« Je me parlais à moi-même ! Je m’adressais des discours, je me racontais des histoires et me posais même des questions, auxquelles je répondais afin de casser la solitude qui au bout d’un moment devient on ne peut plus dure à supporter ! »

"Je me touchais les membres, pour réaliser que j’étais bien là, que j’étais bien vivant, que j’étais bien un humain malgré ces conditions de détention inhumaines et surtout gratuites !

J’ai pendant longtemps senti l’envie de me regarder, puisque je n’avais ni miroir ni rien pour m’observer.

A un moment, bien après mon extradition au Maroc et après la torture sauvage qu’on m’a infligée, j’ai remarqué, que dans la cellule sombre dans laquelle j’étais, il y avait à un moment déterminé de la journée, un petit rayon de soleil qui traversait la pièce et ne reflétait que sur une dalle qui paraissait brillante mais très sale sur l’un des murs de ce cachot. Je m’empressais donc de nettoyer cette dalle afin de m’en servir comme miroir au moment précis où le soleil venait se poser dessus. Je me suis finalement légèrement aperçu, ce qui me fit le plus grand bien. Même si l’image n’était pas très claire. Me regarder m'a fait prendre conscience que j'étais bien là, que j'existais."  Ali disait ceci avec beaucoup de mal.....

Il m’a dit tout doucement :

" Ma très chère sœur, ils m’ont fait des choses horribles, inhumaines, cela a commencé alors que j’étais à 26 jours de grève de la faim, mais cela ne les a point dissuadé de poursuivre encore et encore tout ce mal !
Ils m’ont torturé au point que j’implorais à chaque seconde le Tout Puissant de me garder la tête froide, que je ne faiblisse en subissant de tels sévices.

Ils m’ont montré de tas de photos, de tas de noms, ils me torturaient et me disaient que je devais reconnaitre ces personnes !

Allahou Akbar ! A aucun moment je n’ai cherché à me sauver en accusant à tort un autre innocent ! J’ai maintenu tout le long de ces douze jours de calvaire que je ne connaissais personne ! Chaque fois qu’ils entendaient NON de ma part, ils me battaient encore plus fort !
Je souffrais le martyre et pourtant j’ai tenu le coup !
J’ai épargné des innocents ! Je remercie Allah de m’avoir aidé à résister à l’horreur !

Je les entendais dire : « Celui là il a surement été formé et entrainé pour supporter tout ça sans parler » Moi de mon fort intérieur je ne cessais de remercier le Tout Puissant pour la force qu’il m’attribuait.

Aujourd’hui je suis fière de ce qu’Allah a fais de moi et de ne pas porter la honte d’avoir amené une autre personne innocente à la torture ou à la détention arbitraire !

Aujourd’hui plus que jamais je vous dis qu’il faut se battre, lutter contre toutes ces injustice.
Je suis fière d’avoir des sœurs comme vous, une femme comme Houria, des parents comme les miens, tout un comité de soutien des gens qui ont même écris un livre pour moi et des personnes qui me soutiennent de loin.

Je reçois des lettres de toute la Belgique et cela me redonne énormément d’espoir ! Je vous remercie tous infiniment et vous demande svp de ne pas baisser les bras, jusqu’à ce que toute la lumière se fasse sur cette affaire.

Il ne s’agit pas que de moi, il y a d’autres prisonniers innocents qui ont subi les mêmes sévices et les mêmes injustices, qui n’ont ni avocat ni proche pour s’occuper d’eux ni de leurs cas. Je vous demande aussi en leur nom de ne pas renoncer à cette lutte. Stoppons la corruption et faisons régner la vraie JUSTICE !"

Voilà les paroles d’Ali qui nous ont remplies de fierté et de joie !

Nous sommes sorties de là plus déterminées que jamais de l’aider en faisant un maximum pour qu’il recouvre sa liberté et que justice lui soit rendue !
 

1 commentaire:

  1. j ai lu et relu, je trouve celà 'emouvant et omprends ton moment d egoisme qui ne relate l amour.C est legitime.

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