mercredi 28 mars 2012

Le Journal de Souad : Mariage

Photo Marcel Mussen


C'est une belle journée, le soleil brille, il est au rendez-vous ; un cortège, c'est important pour les mariés et sans le soleil il n'y aura pas assez d'invités, on ne pourra pas exposer au monde le bonheur de sceller nos vies.
Mais que d'histoires reçues ! Quelles croyances nous ont enfermés dans ce genre de démonstration ? Tu sais pertinemment, au fond de toi, que tu es douteuse, pas heureuse, et tu affiches pourtant un sourire comme la vitrine d'un magasin.
Deux jours de cérémonie ont précédé ce cortège comme le veut la tradition. Et encore un soir pour les jeunes filles. Puis c'est le jour J mais c'est celui qui m'a le moins plu.
J'ai pleuré, je n'étais pas à l'aise ; trop de monde, je n'aimais pas, en mon for intérieur, cette exposition pour les autres. 
Mais combien de personnes sur ces 400 invités comptaient à mes yeux et pour qui est-ce que je comptais réellement ?

C'était pas prévu que j'aille vivre dès ce soir ou cette nuit chez lui, chez nous ou ensemble, non, mais si je note les 3 propositions c'est qu'il existait déjà, à la base, une prise de position malheureusement.
J'étais déjà une autre, et il le comprit à 3h : il déclara à ma mère que je partirai avec lui tout de suite ; c'était prévu pour le lendemain du cortège, mais il en décida autrement.
Je lui expliquais que je ne voulais pas et il trouva cela aberrant ; on se connaissait, on était mariés civilement depuis plus d'une année et demi et mon refus semblait marquer un caprice. Le visage baigné de larmes, j'acquiesçai et partis avec lui, pleine de rancœur. Mais qui était-il réellement ?
Comment devrais-je faire pour occulter ce manque de compréhension ? Ce n'était que le début d'une liste interminable de questions.
Quand nous sommes entrés chez moi, au 3ème étage de cette maison où nous avions loué deux mois auparavant, sa mère nous attendait, sourire aux lèvres, avec un plateau contenant des dattes et du lait. Il faut manger un datte et boire un peu de lait comme le veut la tradition - en voilà encore une -, symboles de prospérité, de bienvenue.

Elle se demandait quel genre de fille avait épousé son fils, pourquoi pleurait-elle pour quelques heures de plus ou de moins ? Elle ne me fit pas une seconde remarque, celle faite à la salle ce soir étant suffisante car elle m'avait dit : « Souris, ils vont tous croire que c'est un mariage forcé !

Mais ce que je comprenais ce soir là, c'est qu'en m imposant ce départ il m'amputait d'un droit et c'était le début d'une très longue liste.

Nous voilà seuls, tous sont partis, il m'explique qu'il ne comprend pas mon attitude, je lui rétorque que je ne comprends pas la sienne et qu'il m'a rendue triste. Impossible pour lui d'entendre cela. Nous finissons par avoir juste l'envie d'entendre l'autre faire des excuses, mais aucune ne cède.

La coiffeuse est arrivée, pour le cortège, nous partons de chez ma mère, c'était plannifié ainsi et c'est pour cela que je ne devais pas ètre dans mon appartement la veille.
Je l'aime beaucoup cette femme. Au-delà de ses qualités, c'est une artiste et elle connaît mon goût pour les belles choses mais pas extravagantes. D'ailleurs, pour la veille, la cérémonie du jour J, il était prévu que je mettrais les tenues de l'une et que, elle, se chargerait du maquillage. Malheureusement, cela n'a pas pu se faire, question d'orgueil je suppose.

Elle a apporté des fleurs naturelles pour mon chignon qui est magnifique : rien à voir avec la veille. J'ai beaucoup de mal avec les tenues et les maquillages outranciers. Elle, par contre, elle a fait dans la simplicité et le résultat me plaît énormément.
Lui, comme d'hab, il s'impatiente : « le soleil va partir ». Il tape sur la porte de ma chambre, vu que nous sommes chez ma mère puisque l'organisation du cortège se fait à partir de chez elle. Les invités sont là, on entend la musique, ça danse, ça bouge et me voilà enfin prête.
Voilà la mariée ! Compliments à droite et à gauche mais nous n'avons pas trop le temps c'est le mois de mars : le soleil se couche tôt.

Nous avons fait du bruit, il n'aimait pas trop ma coiffure, j'aimais.
Arrivés à l’Atomium, monument de référence de Bruxelles, j'ai croisé le regard de ceux qui ont compté pour moi : mes frères et sœurs, mes amies, mes voisins, voisines, et aussi ceux qui devront compter pour moi à l'avenir, les siens.
Dans mes yeux des images manquent, des sourires, celui des absents, ma sœur décédée, mon frère incarcéré, ma sœur imprévisible face à sa toxicomanie, mon père qui vit à l'étranger, ma mère enfermée dans la tradition : chez nous la maman de la mariée n'accompagne pas sa fille. 
Que dire à cela ?
On se braque sur le futile, on se sépare de l'essentiel et je sais que moi aussi je suis partiellement absente car je démissionne de mes ambitions, je démissionné de la vrai fille que j'ai été ; c'était le mariage avec lui et le divorce d'avec moi.
Le mariage dans ma religion, tel qu'il devrait être, ne ressemble pas à ce schéma, les grandes lignes qui feront de nous des personnes à part entière ne figurent pas dans ce contrat, ne figurent pas à l'horizon.
Je me pose en victime, me laisse convaincre par mon ego que je n'ai pas pu vaincre car je l'épouse par défi, oui, je me regarde en face quelques secondes et je le reconnais amèrement : je voulais gagner. Nous le savions lui et moi et le temps nous le confirmera : il y avait une fille pendant notre séparation qui avait duré 10 mois, ils avaient vécu ensemble, même si nous étions mariés civilement et que le mariage n'avait pas été dissous, il existait ce lien.
Cette fille était enceinte de lui.
Devant son changement lorsqu'il m'avait revue, elle avait senti qu'elle risquait de le perdre et avait pris le risque de faire un enfant. Je le savais, il était venu me voir et je lui avais lancé un ultimatum de deux jours pour soit assumer sa paternité, soit prendre un appartement et faire notre mariage, en fait juste la cérémonie.
Voila où j'en étais arrivée par stupidité déguisée en amour. Il existe en nous tellement de conflits et d'exemples préjudiciables quant à nos modèles d'amour.
Nos parents nous transmettent des modèles de sentiments, et aussi la société, le noyau d'amis ; nous si on s'oublie, on finit par faire n'importe quoi.
Reconnaître l'amour est devenu une difficulté dans ce monde, tellement nous sommes éloignés de l'essence même des choses.
Voilà, elle était enceinte de 6 mois et je m'étais bien gardée de le dire à ma famille, j'avais honte. Avoir « gagné », c'est ce qui me faisait croire que je l'aimais, mais cette tristesse, cette lassitude, cette sensation d'éloignement venaient justement du fait que je n'étais pas en accord avec ce que je faisais, j'avais la foi et je n'obéissais pas au divin, j'allais épouser quelqu'un qui était marié avec moi civilement et qui avait abandonné une fille enceinte : c'était contraire à tous mes principes universels, même sans impliquer ma foi.
Le sens des responsabilités de cet être humain et de moi-même était médiocre non parce que j'avais pitié de cette fille, mais parce que nous n'étions pas honnêtes vis-à-vis l'un de l'autre, vis-à-vis de nous, vis-à-vis de nos familles, rien n'était clair, nous baignions dans une marre d'incertitudes. Que se passerait-il lorsqu'il saura que son enfant viendra au monde, allait-il être en contact avec elle à mon insu, d´ailleurs la voit-il encore?
Voudra-t-il reconnaître cet enfant ? Que ferai-je devant toutes ces situations ?
Il avait dit, quand il avait quitté leur appartement : « Je ne veux rien savoir, je n'ai pas voulu de cet enfant », etc, mais j'avais besoin d'y croire, et je creusais ma propre tombe.
Les mois à venir l'incertitude te tiendra compagnie ma chère, me suis-je répété, mais l'incertitude ne vient jamais seule, elle te tend la main pour la colère, elle te montre que tu dois être plus docile, te fondre pour ne pas perdre, l'incertitude te fait sillonner des routes que tu n'avais jamais eu l'idée d'emprunter, ce n est pas un voyage, c'est l'enfer.

Voilà l'après cortège, de retour chez ma mère ; seuls les intimes sont là : photos.
Puis la pièce montée, l'offre de bijoux pour le lendemain de la noce. Tu parles d'une tradition, la noce, laisse moi rire, hurler de douleur, je me méprise car je suis confuse : il ne me mérite pas et puis il ne mérite pas ça : je suis trop imbue de ma personne. Qui te mérite ? Qui te vaut ? C'est un chouette gars, il t'aime, il te l'a prouvé, il a laissé une fille enceinte pour toi...
Mais à la base, tu étais son épouse légitime.
Bref, je martèle mon esprit, je demeure dans un monologue néfaste, je le sais, je ne dois pas perdre le fil, c'est mon mariage, je suis la principale concernée et puis je le regarde comme si je venais de réaliser que faire cette mine, être ailleurs, ça le rend triste et c'est de ma faute. Alors me voici de retour, je décide d'emprunter le plus beau des masques, le sourire, c'est comme ça, je ris, je propose qu'on ouvre les cadeaux, je me distrais, j'oublie tout ce qui m'attend, et, oui, je le regarde et je comprends qu'il préfère que je sois celle-là.
Nous sommes restés tard jusqu'à ce que sa mère lance « Vous comptez pas rentrer chez vous ? C'est fini les parents » sur le ton de l'humour.

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