Photo Marcel Mussen
C'est une belle journée, le soleil
brille, il est au rendez-vous ; un cortège, c'est important
pour les mariés et sans le soleil il n'y aura pas assez d'invités,
on ne pourra pas exposer au monde le bonheur de sceller nos vies.
Mais que d'histoires reçues !
Quelles croyances nous ont enfermés dans ce genre de démonstration ?
Tu sais pertinemment, au fond de toi, que tu es douteuse, pas
heureuse, et tu affiches pourtant un sourire comme la vitrine d'un
magasin.
Deux jours de cérémonie ont précédé
ce cortège comme le veut la tradition. Et encore un soir pour les
jeunes filles. Puis c'est le jour J mais c'est celui qui m'a le moins
plu.
J'ai pleuré, je n'étais pas à
l'aise ; trop de monde, je n'aimais pas, en mon for intérieur,
cette exposition pour les autres.
Mais combien de personnes sur ces
400 invités comptaient à mes yeux et pour qui est-ce que je
comptais réellement ?
C'était pas prévu que j'aille vivre
dès ce soir ou cette nuit chez lui, chez nous ou ensemble, non, mais
si je note les 3 propositions c'est qu'il existait déjà, à la
base, une prise de position malheureusement.
J'étais déjà une autre, et il le
comprit à 3h : il déclara à ma mère que je partirai avec lui
tout de suite ; c'était prévu pour le lendemain du cortège,
mais il en décida autrement.
Je lui expliquais que je ne voulais pas
et il trouva cela aberrant ; on se connaissait, on était mariés
civilement depuis plus d'une année et demi et mon refus semblait
marquer un caprice. Le visage baigné de larmes, j'acquiesçai et
partis avec lui, pleine de rancœur. Mais qui était-il réellement ?
Comment devrais-je faire pour occulter
ce manque de compréhension ? Ce n'était que le début d'une
liste interminable de questions.
Quand nous sommes entrés chez moi, au
3ème étage de cette maison où nous avions loué deux mois
auparavant, sa mère nous attendait, sourire aux lèvres, avec un
plateau contenant des dattes et du lait. Il faut manger un datte et
boire un peu de lait comme le veut la tradition - en voilà encore
une -, symboles de prospérité, de bienvenue.
Elle se demandait quel genre de fille
avait épousé son fils, pourquoi pleurait-elle pour quelques heures
de plus ou de moins ? Elle ne me fit pas une seconde remarque,
celle faite à la salle ce soir étant suffisante car elle m'avait
dit : « Souris, ils vont tous croire que c'est un mariage
forcé !
Mais ce que je comprenais ce soir là,
c'est qu'en m imposant ce départ il m'amputait d'un droit et c'était
le début d'une très longue liste.
Nous voilà seuls, tous sont partis, il
m'explique qu'il ne comprend pas mon attitude, je lui rétorque que
je ne comprends pas la sienne et qu'il m'a rendue triste. Impossible
pour lui d'entendre cela. Nous finissons par avoir juste l'envie
d'entendre l'autre faire des excuses, mais aucune ne cède.
La coiffeuse est arrivée, pour le
cortège, nous partons de chez ma mère, c'était plannifié ainsi et
c'est pour cela que je ne devais pas ètre dans mon appartement la
veille.
Je l'aime beaucoup cette femme. Au-delà de ses qualités,
c'est une artiste et elle connaît mon goût pour les belles choses
mais pas extravagantes. D'ailleurs, pour la veille, la cérémonie du
jour J, il était prévu que je mettrais les tenues de l'une et que,
elle, se chargerait du maquillage. Malheureusement, cela n'a pas pu
se faire, question d'orgueil je suppose.
Elle a apporté des fleurs naturelles
pour mon chignon qui est magnifique : rien à voir avec la
veille. J'ai beaucoup de mal avec les tenues et les maquillages
outranciers. Elle, par contre, elle a fait dans la simplicité et le
résultat me plaît énormément.
Lui, comme d'hab, il s'impatiente :
« le soleil va partir ». Il tape sur la porte de ma
chambre, vu que nous sommes chez ma mère puisque l'organisation du
cortège se fait à partir de chez elle. Les invités sont là, on
entend la musique, ça danse, ça bouge et me voilà enfin prête.
Voilà la mariée ! Compliments à
droite et à gauche mais nous n'avons pas trop le temps c'est le mois
de mars : le soleil se couche tôt.
Nous avons fait du bruit, il n'aimait
pas trop ma coiffure, j'aimais.
Arrivés à l’Atomium, monument de
référence de Bruxelles, j'ai croisé le regard de ceux qui ont
compté pour moi : mes frères et sœurs, mes amies, mes
voisins, voisines, et aussi ceux qui devront compter pour moi à
l'avenir, les siens.
Dans mes yeux des images manquent, des
sourires, celui des absents, ma sœur décédée, mon frère
incarcéré, ma sœur imprévisible face à sa toxicomanie, mon père
qui vit à l'étranger, ma mère enfermée dans la tradition :
chez nous la maman de la mariée n'accompagne pas sa fille.
Que dire
à cela ?
On se braque sur le futile, on se
sépare de l'essentiel et je sais que moi aussi je suis partiellement
absente car je démissionne de mes ambitions, je démissionné de la
vrai fille que j'ai été ; c'était le mariage avec lui et le
divorce d'avec moi.
Le mariage dans ma religion, tel qu'il
devrait être, ne ressemble pas à ce schéma, les grandes lignes qui
feront de nous des personnes à part entière ne figurent pas dans ce
contrat, ne figurent pas à l'horizon.
Je me pose en victime, me laisse
convaincre par mon ego que je n'ai pas pu vaincre car je l'épouse
par défi, oui, je me regarde en face quelques secondes et je le
reconnais amèrement : je voulais gagner. Nous le savions lui et
moi et le temps nous le confirmera : il y avait une fille
pendant notre séparation qui avait duré 10 mois, ils avaient vécu
ensemble, même si nous étions mariés civilement et que le mariage
n'avait pas été dissous, il existait ce lien.
Cette fille était enceinte de lui.
Devant son changement lorsqu'il m'avait
revue, elle avait senti qu'elle risquait de le perdre et avait pris
le risque de faire un enfant. Je le savais, il était venu me voir et
je lui avais lancé un ultimatum de deux jours pour soit assumer sa
paternité, soit prendre un appartement et faire notre mariage, en
fait juste la cérémonie.
Voila où j'en étais arrivée par
stupidité déguisée en amour. Il existe en nous tellement de
conflits et d'exemples préjudiciables quant à nos modèles d'amour.
Nos parents nous transmettent des
modèles de sentiments, et aussi la société, le noyau d'amis ;
nous si on s'oublie, on finit par faire n'importe quoi.
Reconnaître l'amour est devenu une
difficulté dans ce monde, tellement nous sommes éloignés de
l'essence même des choses.
Voilà, elle était enceinte de 6 mois
et je m'étais bien gardée de le dire à ma famille, j'avais honte.
Avoir « gagné », c'est ce qui me faisait croire que je
l'aimais, mais cette tristesse, cette lassitude, cette sensation
d'éloignement venaient justement du fait que je n'étais pas en
accord avec ce que je faisais, j'avais la foi et je n'obéissais pas
au divin, j'allais épouser quelqu'un qui était marié avec moi
civilement et qui avait abandonné une fille enceinte : c'était
contraire à tous mes principes universels, même sans impliquer ma
foi.
Le sens des responsabilités de cet
être humain et de moi-même était médiocre non parce que j'avais
pitié de cette fille, mais parce que nous n'étions pas honnêtes
vis-à-vis l'un de l'autre, vis-à-vis de nous, vis-à-vis de nos
familles, rien n'était clair, nous baignions dans une marre
d'incertitudes. Que se passerait-il lorsqu'il saura que son enfant
viendra au monde, allait-il être en contact avec elle à mon insu,
d´ailleurs la voit-il encore?
Voudra-t-il reconnaître cet enfant ?
Que ferai-je devant toutes ces situations ?
Il avait dit, quand il avait quitté
leur appartement : « Je ne veux rien savoir, je n'ai pas
voulu de cet enfant », etc, mais j'avais besoin d'y croire, et
je creusais ma propre tombe.
Les mois à venir l'incertitude te
tiendra compagnie ma chère, me suis-je répété, mais l'incertitude
ne vient jamais seule, elle te tend la main pour la colère, elle te
montre que tu dois être plus docile, te fondre pour ne pas perdre,
l'incertitude te fait sillonner des routes que tu n'avais jamais eu
l'idée d'emprunter, ce n est pas un voyage, c'est l'enfer.
Voilà l'après cortège, de retour
chez ma mère ; seuls les intimes sont là : photos.
Puis la pièce montée, l'offre de
bijoux pour le lendemain de la noce. Tu parles d'une tradition, la
noce, laisse moi rire, hurler de douleur, je me méprise car je suis
confuse : il ne me mérite pas et puis il ne mérite pas ça :
je suis trop imbue de ma personne. Qui te mérite ? Qui te
vaut ? C'est un chouette gars, il t'aime, il te l'a prouvé, il
a laissé une fille enceinte pour toi...
Mais à la base, tu étais son épouse
légitime.
Bref, je martèle mon esprit, je
demeure dans un monologue néfaste, je le sais, je ne dois pas perdre
le fil, c'est mon mariage, je suis la principale concernée et puis
je le regarde comme si je venais de réaliser que faire cette mine,
être ailleurs, ça le rend triste et c'est de ma faute. Alors me
voici de retour, je décide d'emprunter le plus beau des masques, le
sourire, c'est comme ça, je ris, je propose qu'on ouvre les cadeaux,
je me distrais, j'oublie tout ce qui m'attend, et, oui, je le regarde
et je comprends qu'il préfère que je sois celle-là.
Nous sommes restés tard jusqu'à ce
que sa mère lance « Vous comptez pas rentrer chez vous ?
C'est fini les parents » sur le ton de l'humour.